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Citations de Christos Ikonòmou (20)


Mihàlis regarde Vàyos encore debout à la fenêtre et Vàyos lui cligne de l'œil sans sourire met le doigt sur ses lèvres puis sur sa tempe. Il quitte la fenêtre s'assoit face à l'amiral et remplit les verres. Il boit puis se penche en avant et allume une cigarette à la bougie.
Ça porte malheur, dit l'amiral.
L'autre toujours penché sur la bougie le regarde la cigarette entre les dents. Dans la pénombre son visage se remplit d'ombres bizarres effrayantes.
Ça porte malheur d'allumer une cigarette à une bougie. Sur les bateaux on disait que si on le fait un marin va mourir.
Qu'est-ce que ça peut te foutre ? dit Mihàlis. Maintenant que tu as débarqué.
L'amiral relève la tête et nous regarde comme un malade qui sort du coma et cherche à reconnaître ceux qui l'entourent. Ses yeux troubles comme des vitres pleines de buée.
Puis il se penche et souffle la bougie. La flamme vacille va pour s'éteindre puis se remet droite.
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Et alors tu es pris d'une autre peur, plus grande, parce que tu comprends comme c'est terrifiant d'avoir commencé à réagir non comme un être humain mais comme quelque chose d'autre, vu qu'aucun être humain ne se demanderait jamais si la lumière est pire que la nuit, si la peur qui vient du feu est pire que la peur qui vient de la nuit. Ce qui te terrifie c'est que tu ne sais pas ce que c'est, ce quelque chose d'autre que tu commences à devenir - qu'est ce qui existe après, que peut devenir quelqu'un s'il cesse d'être humain, qu'est ce qui existe après l'être humain ?
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Tàkis se souvient de ce qui s’est passé ici ce soir-là rit de nouveau rit aux éclats et à la lumière menteuse de la lampe je vois sa bouche prendre une forme bizarre et les rides au coin de ses yeux ressemblent aux traces de pas que laissent les petits oiseaux sur la terre humide, plein de petites rides, fines crevasses, traces d’oiseaux effrayés envolés.
Je remplis les verres, on boit. […]
Et le boulot mon vieux. Jour et nuits je vois des hommes brisés par le boulot. Des hommes fatigués effrayés. On dirait qu’on ne peut plus travailler sans peur. On dirait qu’on n’est plus payé pour vivre mais pour avoir peur. Et je me dis. Je me dis faut pas que ça m’arrive à moi aussi faut que je résiste et pas me laisser bouffer. Mais comment tenir le coup ? Plus le temps passe moi j’avance tandis que mon cœur et mon cerveau se tournent vers le passé. Et je me dis t va voir qu’un jour on va se perdre nus trois moi mon cœur et mon cerveau. Tu vas voir qu’un jour je perdrai mon cœur et mon cerveau et alors il se passera quoi ? Je ne sais pas quoi. Un jour. Voilà.
Dehors il fait plus noir encore, les rues sont désertes, les vitres gémissent dans le vent.
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Le plus terrifiant, c'est le travail. C'est attendre la paye tous les 15 et 30 du mois. Diviser ta vie en tranches de quinze jours. Savoir que si ça les fait bander, les patrons, de ne pas te payer une fois ou deux ou dix tu ne peux rien y faire. Ta vie entière est entre leurs mains. Diviser ta vie en tranches de quinze jours. C'est ça le plus terrifiant.
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C'est ça l'amour. La même nuit à la même heure faire le même rêve que la personne qui dort à côté de toi. A qui le dire et qui le croira? Nous sommes seuls au monde tous les deux. On s'aime jusque dans notre sommeil.
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Ensuite en 42 il y a eu la soupe populaire ici et un jour une petite fille est venue habillée en garçon avec une moustache sur la figure et les gens l'ont vu ça les a surpris. Quand ils l'ont questionnée elle a dit que sa mère était morte de faim sa grand-mère aussi que toutes les filles dans la famille étaient mortes de faim et c'est pour ça qu'elle était mise en garçon tu comprends pour tromper la mort - elle me prendra pour un garçon qu'elle leur a dit, et me laissera vivre. Sur la tête du Christ, c'est qu'elle a dit. Une petite fille je te dis, toute petite, sept-huit ans. Tu comprends. Elle s'était fait une toute petite moustache au charbon. Habillée en garçon. Pour tromper la mort.
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On regardait la mer, le ciel, les îles qui noircissaient dans le fond – Mìlos, Kìmolos, Pòlyvos. La mer étincelait, je me souviens, comme un miroir brisé, les mille éclats des vagues, mais je n’ai rien dit, ça porte malheur. Tàssos non plus. À un moment seulement, vers la fin, il a redit que le salut viendra de la mer. Le salut viendra de la mer. Je ne sais pas d’où ça lui venait, il répétait ça tout le temps. Et il disait toujours pareil, d’une voix chantante, et si tu lui demandais, il répondait que c’était dans une chanson. Quelle chanson, personne ne le savait, personne n’avait entendu ça. Mais c’est contagieux à force, et maintenant nous le disons nous aussi tout le temps. Chaque fois que nos affaires tournent mal, chaque fois qu’arrive une mauvaise nouvelle, on dit patience, le salut viendra de la mer. Un truc à nous, tu comprends, un mot de passe qu’on se dit nous autres, ceux d’aut’part.
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Et pourquoi tout ça ? Pour rien. Groupements solidaires, réseaux de consommateurs, produits sans intermédiaires. Pauvre Tàssos. Il rêvait de nous faire fonder une coopérative, lancer notre marché à nous, aider les gens, créer des situations nouvelles en Grèce, sans patrons, sans politicards, sans vols et sans magouilles. Pauvre Tàssos. Naïf, une vraie rosière. Le pied à peine posé sur l’île, criant, courant, se démenant pour nous organiser nous autres et les rats aussi. Pour quel résultat ? Zéro. Il est tombé dans un trou noir. Pourquoi ? Pour rien. Pour une botte d’oignons et deux kilos de tomates, mettons. Rien.
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Et je me dis que si la terre tremble et si le monde est secoué ça changera quelque chose peut-être. Et d'avoir des idées pareilles, ça m'effraie. Je me dis, sans bonheur quelle vie on peut vivre ?
Quelle vie peut-on vivre si on attend du malheur qu'il nous sauve du malheur ?
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Entretemps il y a du nouveau dans le quartier. La semaine dernière la municipalité a distribué ces grandes bennes bleues pour le recyclage une au coin de chaque rue avec des brochures et des sacs spéciaux pour les papiers et les conserves qu’ils disent. Le progrès. Et jeudi soir on était chez Satanas quand l’amiral est venu nous demander si on savait ce qui est arrivé à Sofrònis, celui qui habite à côté de l’école.
Non, a dit Vàyos. Il est mort ?
Il a pété les plombs le malheureux a dit l’amiral. Hier soir mon fils rentrait du boulot et il tombe sur lui en train de se démener pour se glisser dans la poubelle du recyclage. Il est arrivé juste à temps. Qu’est-ce que tu fais là mon vieux Tàssos ? qu’il lui dit. Tu es devenu fou ? Tu veux aller dans les ordures ? Et l’autre qu’est-ce qu’il lui dit ? Laisse-moi Stèfanos. Laisse-moi s’il te plaît. L’homme qui laisse mourir sa femme sans l’aider faut le jeter aux ordures. Laisse-les m’emmener pour me recycler je deviendrai peut-être meilleur. Écoutez les gars. Écoutez ce qui se passe dans le monde. Mon fils a eu un mal fou à le calmer. Après ça il paraît qu’il s’est assis dans un coin en riant tout seul comme un malade. On ne va pas bien du tout. Voilà ce que j’ai à dire. On ne va pas bien du tout. (« Mao »)
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Ils l’ont encore chopé aujourd’hui le connard et il a pris la branlée du siècle. Des flics en civils sans doute, catogan et anneau dans l’oreille—deux le tenaient quatre cognaient. A Pèrama aux chantiers navals. Les ouvriers manifestaient après la mort de deux types sur un pétrolier et il y est allé aussi crier des slogans et bomber les murs. Crier bomber quelle idée. Comme si c’était son truc les marteaux burineurs et les sableuses. Connard. Si seulement il était encarté—ceux-là ils volent en escadrille et font gaffe, ils connaissent la musique. Mais notre jobard, lui, se pointe en solitaire aux rassemblements aux manifs et après qui c’est qui court à l’hosto et chez les bourres pour le tirer de là ? Il s’est fait virer de son boulot en plus et n’a pas mis les pieds à la maison depuis un mois. Qu’est-ce qu’il mange où il dort ? Avec quel argent ? Connard. Il nous rend cardiaques. Voyou. Connard.
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C'est bizarre comment les choses arrivent quelquefois. On grandit on vit des situations on lit des livres on voit des gens des lieux et on arrive à un âge où on croit, où on est sûr que la vue n'est faite que de hasard, que notre vie à nous et la vie de chaque être humain est un petit univers inversé où tout se balade à l'aveuglette sans but, un univers sans dieu, sans loi, sans but - un chaos. Puis quelque chose se passe et notre croyance est ébranlée alors on se demande si on ne se serait pas trompé, peut-être qu'il y a quelque chose après tout qui donne un sens au chaos, une corde peut-être qui relie toutes les choses de notre vie, une corde cachée qui attache ensemble tous les éléments de ta vie, une corde caché qui attache ensemble tous les éléments de ta vie, une corde cachée qui attache ta vie aux vies des autres. Et tu es terrifié. Terrifié parce que si c'est vraiment terrifiant de savoir qu'on ne vit pas dans le chaos, c'est deux plus terrifiant de savoir qu'on ne vit pas dans le chaos mais dans un monde avec des lois et des règles mais qu'on ne les connaîtra jamais, qu'on est incapable de les apprendre - on aura beau chercher, on ne pourra jamais la trouver cette fine corde cachée, s'y accrocher pour s'en sortir, pour savoir où elle commence où elle est finit.
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On a perdu Tàssos à cause de la solidarité et de la justice. Solidarité, justice – du vent, des mots que disent les pauvres, sans y croire, ils sont pauvres, c’est tout.
Mais aucun de nous ne s’attendait à ce qu’il ait une fin pareille.
On s’attendait à plus de courage, plus d’héroïsme. À quelque chose qu’on montrerait à la télé, sur Internet, qui obligerait ces crapules à dire au moins deux mots dans leur Parlement. Aujourd’hui encore, quand on monte à Kataflyi et qu’on regarde depuis là-haut la mer, on se dit qu’il aurait dû choisir une autre fin, plus courageuse, plus héroïque. On se rappelle ses paroles dingues, comme quoi le salut allait venir de la mer, et on se dit que s’il s’était montré plus courageux, plus héroïque, peut-être que les gens l’auraient su et se seraient soulevés. Quelque chose aurait bougé, aurait changé. Peut-être, qui sait.
Tu me diras, c’est des histoires tout ça, je le sais. Comme dans les contes. Mais faut pas croire, l’homme en a besoin, des contes. Les hommes ont découvert les contes et les ont remplis de monstres pour ne pas devenir eux-mêmes des monstres. Car la vérité peut faire de toi un monstre. Tu dois devenir un monstre pour supporter la vérité.
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21 décembre. Samedi soir. Dans quatre jours Noël. Par la fenêtre de la cuisine je vois les petites lumières multicolores qui clignotent aux fenêtres aux balcons et dans les cours des maisons. Rouges vertes jaunes bleues. Etoiles guirlandes pères Noël traîneaux et rennes. Une foule de petites lumières. On se croirait dans un immense casino où les maisons seraient les machines à sous. Ciment, pauvreté, lumières multicolores - un peu de Bangladesh un peu de Las Vegas.
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C'est bizarre comment les choses arrivent quelquefois. On grandit on vit des situations on lit des livres on voit des gens des lieux et on arrive à un âge où on croit, où on est sûr que la vie n'est faite que de hasard, que notre vie à nous et la vie de chaque être humain est un petit univers inversé où tout se balade à l'aveuglette sans but, un univers sans dieu, sans loi, sans but - un chaos. Puis quelque chose se passe et notre croyance est ébranlée alors on se demande si on ne se serait pas trompé, peut-être qu'il y a quelque chose après tout qui donne un sens au chaos, une corde peut-être qui relie toutes les choses de notre vie, une corde cachée qui attache ensemble tous les éléments de ta vie aux vies des autres. Et tu es terrifié. Terrifié parce que si c'est vraiment terrifiant de vivre dans le chaos c'est deux fois plus terrifiant de savoir qu'on ne vit pas dans le chaos mais dans un monde avec des lois et des règles mais qu'on ne les connaîtra jamais, qu'on est incapable de les apprendre - on aura beau chercher, on ne pourra jamais la trouver cette fine corde cachée, s'y accrocher pour s'en sortir, pour savoir où elle commence où elle finit.
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Un trouble bizarre me prend ce soir tandis que j'entends tout non par les oreilles mais par le coeur. Et je me dis que peut-être c'est mauvais signe, peut-être que je commence à perdre le contrôle et je m'inquiète et j'ai peur car tout le monde le dit, les riches comme les pauvres, aujourd'hui pour s'en tirer il faut avoir le coeur plus sourd que les oreilles. Riches et pauvres ils disent tous la même chose.
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On parle on parle et plus on parle plus je comprends que ce qui nous lie c'est la peur et la haine. Comment on en est venus là ? D'où vient toute cette haine et toute cette peur dis-moi ? Et plus le temps passe plus ça s'aggrave. Moi aussi certains jours je vois des trucs et ça me donne envie de tuer. Je vous jure. J'en ai bavé sur les bateaux drôlement bavé et jamais ça ne m'avait pris. Jamais. Mais maintenant c'est plus fort que moi. J'étouffe, comment dire autrement ? J'étouffe.
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Mais c'est bizarre. La force de la haine. Des fois je me dis que la haine c'est comme l'air que nous respirons ici dans les villes. Elle te tue tout doucement mais sans elle tu ne peux pas vivre.
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Le nuage grandit encore et nous cache la mer.
Un faux sapin dégringole du balcon d’en face et tombe en tournoyant sans bruit dans le vide. Je crois que c’est la chose la plus terrifiante que j’aie vue de ma vie.
Mais non, dis-je. Le plus terrifiant, c’est le travail. C’est attendre la paie tous les 15 et les 30 du mois. Diviser ta vie en tranches de quinze jours. Savoir que si ça les fait bander, les patrons, de ne pas te payer une fois ou deux ou dix tu ne peux rien y faire. Ta vie entière est entre leurs mains. Diviser ta vie en tranches de quinze jours. C’est ça le plus terrifiant.
Je rentre, dit Lèna. Je ne supporte pas quand tu parles comme ça. Je ne veux pas voir ça. Allons viens je te dis.
Mais nous n’allons nulle part. Nos verres à la main nous restons silencieux à regarder la pluie qui approche venue du couchant. Nous regardons le rideau de pluie noir qui se referme lentement sans bruit et qui lentement sans bruit engloutit les formes les couleurs et la rumeur du couchant.
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Tàkis travaille ici comme serveur le soir de cinq heures à minuit ou une heure ou point d’heure. Le matin il travaille à la mairie en CDI. Il a deux boulots parce qu’il a deux enfants. Sa femme Vàsso est morte quarante-neuf jours plus tôt. Elle était en voiture à Fàliro quand elle a eu un infarctus et un passant l’a emmenée au Metropolitan – elle était encore vivante elle luttait ne cédait pas – mais là un problème s’est posé car on a refusé de la prendre en charge si l’homme ne payait pas son admission une histoire comme ça et le type a protesté naturellement – il ne la connaissait pas il passait par là quelle chose absurde on lui demandait là – et tandis que les pourparlers traînaient Vàsso est morte là dans le couloir de l’hosto entre des inconnus, loin de Tàkis et de ses enfants et Tàkis dit que s’il était un homme un vrai s’il avait deux sous de dignité il aurait dû le même jour entrer dans l’hosto avec deux grenades et faire sauter tout le bordel et ses habitants, médecins infirmières directeurs, tous ces guignols et quelques autres encore. S’il était un homme un vrai s’il avait le sens de l’honneur s’il n’avait pas deux enfants et des prêts à rembourser et son appartement sous hypothèque. (« Moustache au charbon »)
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