Nuri est apiculteur, sa femme, Afra, est artiste. Ils vivent tous deux avec leur jeune fils, Sami, dans la magnifique ville d'Alep, en Syrie. La guerre éclate et ravage tout, jusqu'aux précieuses ruches de Nuri. Et l'inimaginable se produit. Afra ne veut plus bouger de sa chambre. Pourtant, ils n'ont pas le choix et Nuri déploie des trésors d'affection pour la convaincre de partir.
Fous de douleur, impuissants, ils entament alors un long périple où ils devront apprendre à faire le deuil de tout ce qu'ils ont aimé. Et apprendre à se retrouver, peut-être, à la fin du voyage, dans un Londres où les attendent des êtres proches. Pour reconstruire les ruches et leur vie.
Christy Lefteri est née à Londres de parents chypriotes. Elle anime un atelier d'écriture à l'université Brunel. "L'Apiculteur d'Alep", son deuxième roman, lui a été inspiré par son travail de bénévole dans un camp de migrants à Athènes.
"Derrière l'immense tragédie impersonnelle des réfugiés, Christy Lefteri fait émerger une histoire personnelle subtile et bouleversante." Kirkus Review
"Impossible de ne pas être touché par cette ode à l'humanité." The Guardian
Traduit de l'anglais par Karine Lalechère
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En fin d'après-midi, le coucher de soleil et le lac se confondent. Des traînées délavées roses et rouges strient le ciel lumineux.

Le matin, l'appel du muezzin invitait les maisons vides à la prière. Je sortis pour essayer de trouver de la farine et des œufs, car il n'y avait presque plus de pain. Je marchais dans la poussière. Elle était si dense qu'on avait la sensation de patauger dans la neige. Il y avait des voitures carbonisées, des cordes à linge avec des vêtements crasseux sur des terrasses abandonnées, des fils électriques qui pendouillaient dans les rues, des magasins éventrés, des immeubles au toit arraché, des tas d'ordures sur les trottoirs. Ça puait la mort et le caoutchouc brulé. Au loin, des serpentins de fumée s'élevaient dans le ciel. J'avais la bouche sèche, les mains crispées et tremblantes. Je me sentais prisonnier de ces rues distordues. Dans la campagne, les villages étaient incendiés et un flot humain se déversait sur les routes, les femmes terrorisées parce que personne ne contrôlait les milices et qu'elles craignaient d'être violées. Pourtant, ici, à côté de moi, il y avait un rosier de Damas en fleur. Je fermai les yeux, humant son parfum, et pendant un instant je pus faire comme si je n'avais pas vu ce que j'avais vu.
Dépense ton argent sagement : les passeurs tenteront de t'extorquer le maximum, mais n'oublie pas que le voyage sera long. Tu dois apprendre à marchander. Les êtres humains sont très différents des abeilles. Nous ne travaillons pas ensemble, nous n'avons pas de véritable notion du bien commun. Voilà ce que j'ai découvert.
Le gel recouvrait les champs d'une fine pellicule d'argent.
Elle portait un monde en elle, et ils s'en rendaient compte. Quand ils regardaient le tableau, puis la regardaient elle, ils comprenaient. Son âme était aussi vaste que les champs, le désert, le ciel, la mer et les rivières qu'elle peignait. et aussi mystérieuse. On n'en finissait pas de la découvrir.
La banque m’offrait une situation attirante, stable. Je bénéficierais d’une plus grande sécurité économique, et je serais même riche. Je ne serais pas tributaire de la météo et des saisons comme mes aïeux. C’était du moins ce que m’assurait mon père. Nous ignorions que la finance avait elle aussi ses tempêtes et ses sécheresses.
Là où il y a de l'amour, il y a un refuge pour la tristesse.
Chaque matin, je sortais et je fouillais les ruines pour trouver à manger, et je lui rapportais un cadeau. Je déterrais un tas d'objets dépareillés, des morceaux de la vie des gens, cassés ou intacts : une basket d'enfant, un collier de chien, un téléphone portable, un gant, une clé. C'est bizarre de trouver une clé lorsqu'il n'y a plus de portes à ouvrir. À vrai dire, ça l'est encore plus de trouver une chaussure ou un gant quand il n'y a plus ni pied ni main pour les enfiler.
Parfois, la terre nous parle. Elle nous transmet un message. Encore faut-il être capable de la regarder et de l'écouter avec notre âme d'enfant.
Derrière un buisson de romarin, un chat rayé comme un tigre guette une libellule égarée loin de la rivière : un insecte écarlate aux ailes fantomatiques veinées de rouge.