Le Book Club pénètre la sphère de l'intime et s'intéresse au toucher et aux affects, grâce au regard des auteurs Claire Richard et Georges Didi-Huberman.
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4. Excipit : « Je ferme l'ordinateur et je m'allonge auprès de mon amoureux endormi.
Dans le noir, je pense aux citadelles que je ne connais pas, aux ados qui découvrent sur Tumblr leurs premiers émois, aux vies pornographiques qui s'ébauchent sous les couettes, sur les téléphones, au 21e siècle.
Il y a tant de désirs à créer et à satisfaire, tant de chemins qui ne cessent de se faire.
Je pense aux palais qui ne cessent d'éclore et aux rencontres qui m'attendent encore.
De ces jungles qui ne cessent de pousser, l'écriture ne peut rien prendre, rien tarir, rien abîmer.
Et je m'endors le cœur léger. »
Il doit exister quelque part un espace limbique pour les gestes imaginaires, tous ceux qu'on n'a pas fait, ou pas reçus. Le purgatoire des gestes qui n'ont pas été tentés.
Alors je cherche moi aussi une écriture fragmentaire, hétérogène, instable, une écriture qui tisse le personnel et le collectif, qui soit impure _contaminée de partout.
Je milite pour la réappropriation du corps des femmes par elles-mêmes, je suis pro-sexe, j'admire Ovidie, je suis fan d'Annie Sprinkle, j'ai lu Wendy Delorme. Mais le porno féministe ne me fait pas envie. J'ai beau dire, je suis conditionnée. Je mouille sur du porno mainstream. Comme on peut être pour l'agriculture durable et secrètement adorer les Triple Whooper de Burger King.
10. Excipit : « Ce soir, de retour de vacances, C. attrape une photo où il figure, déjà froissée parce qu'il la saisit à pleine main. Il pointe doucement son index vers son sternum, puis pose le bout de son doigt sur ma poitrine pour dire maman. Et juste après, c'est la télécommande qu'il dirige vers moi avant de la porter à son oreille et de claironner : Allô ? »
L'"haptique" désigne la dimension tactile du monde, mais contrairement à l'optique ou l'acoustique, ce mot n'est presque jamais utilisé.
2. « 'Matrophobia' est le seul mot qui me semble ouvrir un espace au lieu de le fermer. Le seul qui me semble décrire ce contre quoi je bute, un faisceau de sensations et de structures, quelque chose que je sens m'habiter, autour de quoi j'ai développé des réactions et des affects comme des coraux ou des bouquets.
En creusant, j'apprends que le mot désigne un sentiment plus précis : non la peur de la maternité ou de sa propre mère, mais la "peur de devenir comme sa propre mère". Le terme est inventé par la critique littéraire américaine Lynn Sukenick, puis repris dans _Naître d'une femme_ par la poétesse Adrienne Rich, qui le développe ainsi : "Des milliers de filles ont le sentiment que leurs mères leur ont enseigné le compromis et la haine de soi dont elles luttent si fort pour se libérer. Leur mère est celle à travers laquelle les restrictions et les dégradations d'une existence féminine ont été transmises de force." La matrophobie, ou le rejet de la condition féminine telle que sa mère l'annonce et l'incarne : le désir forcené de "ne pas en être", la rage retournée contre celle qui incarne la mauvaise nouvelle et en a enseigné, consciemment ou non, la loi. » (p. 30)
4. « [À la crèche] […] Comme la mère compétente, il est évident qu'elles en savent sur les bébés bien plus que moi. "S'il pleure c'est peut-être parce qu'il est fatigué, il a les yeux brillants", me dit avec tact la référente de C. le deuxième jour, et je hoche la tête en essayant de masquer que j'ignorais tout de cette corrélation. Mais les puéricultrices se fichent bien de ma performance. Elles sont toutes noires et jeunes, je comprends de leurs échanges qu'elles habitent loin de Paris, qu'elles entretiennent des rapports tendus avec la direction, qu'elles sont fatiguées et en flux tendu (la mère compétente avait raison). Elles tissent entre elles un espace de parole auquel je n'appartiens pas, qui ne les empêche pas de tendre un hochet, ramasser un anneau, prendre sur un genou ou séparer lors d'un début de bagarre. […] Des maîtresses zen, payées au Smic. Elles portent, assoient, caressent d'une façon précise et professionnelle, qui n'exclut pas pour autant la tendresse. » (pp. 88-89)
9. « Pour tout le monde, à l'exception des plus riches, la vie est de plus en plus médiée par les écrans. Les écrans ne coûtent pas cher à produire, et ils rendent tout moins cher. Tout lieu qui peut s'équiper d'un écran (une classe, un hôpital, un aéroport, un restaurant) peut réduire ses coûts. Toute activité qui peut se dérouler sur un écran devient aussi moins chère. La texture de la vie, l'expérience tactile, se transforme en une surface lisse et vitrée.
Sauf pour les riches. Les riches se méfient des écrans. Ils veulent que leurs enfants jouent avec des cubes, et les écoles privées sans tech se multiplient. Valoriser visiblement l'expérience humaine – se passer de son téléphone pendant toute une journée, quitter les réseaux sociaux, ne pas répondre à ses mails – est devenu un marqueur de statut social.
Tout ceci a donné lieu à une étrange nouvelle réalité : le contact humain est en passe de devenir un produit de luxe. » (p. 225)
7. (Zébulon) : « Mes mains parlent trop. Elles se retiennent parfois et souvent spontanément me trahissent, en disant à certain.es autres qui je ne suis pas. Une impulsion électrique traverse leurs nerfs, ulnaires ou digitaux. Jaillissent alors des signifiants, des manières qui me mettent en porte-à-faux.
C'est dans une des surfaces, aux abords du noyau, celle de l'électricien.ne, que ce qu'elles disent reflète le plus ce que je représente socialement. Une femme cisgenre et blanche de peau.
L'attention appliquée dans le geste de l'index épousant le pouce pour plier un câble.
Le tracé préalable d'une saignée ne dépassant pas plus que ce qu'il faudrait.
Et même dans les actes qui s'écartent le plus de ce qu'on pourrait attribuer à l'hégémonique féminité française, comme le maniement d'un perforateur ou l'utilisation d'une carotteuse, ils sauront m'assigner délicate et de bien d'autres mots (maux). » (p. 182)