Citations de Claude Amoz (43)
C’est de l’amour, ce plaisir viscéral qu’il éprouve à semer, à planter, à bouturer, à savoir que ce jardin est à lui et qu’à force d’obstination, il parviendra à en obtenir ce qu’il veut.
Je me figure parfois que nous sommes tous des enfants, excepté les enfants eux-mêmes.
William Faulkner.
C’était une loge autrefois. Concierge, gardienne, un métier qui disparaît : les gens sont de plus en plus isolés. On prétendait qu’elles étaient des indiscrètes, de mauvaises langues, et pire encore, dans ces jours de malheur…
Elle pense à ces sages d’autrefois qui avaient le pouvoir de se rendre d’un lieu à un autre, par la seule force de la volonté. Son grand-père parlait d’un ermite, qui vivait dans les montagnes, sur les premiers contreforts de l’Atlas : un taleb aveugle, un saint de Dieu. Chaque jour, les femmes du village en contrebas montaient déposer de la nourriture dans son écuelle, et remplir d’eau la cruche en terre, sur son seuil. En échange, il priait pour le pays. Dans une cage, dont la porte restait ouverte, il gardait Ghourab, un corbeau blanc qui savait réciter la première sourate du Coran.
Il ne parvenait pas à se priver de cette excitation étrange, qui devait avoir en effet quelque chose de sexuel : la soif douloureuse d’entrer dans la vie de quelqu’un, de pénétrer son intimité, au plus profond. C’était comme une maladie, dont il n’avait pas envie de guérir. Cela a duré plusieurs mois, une année, peut-être.
Quand il avait douze ans, il avait inventé ce qu’il prenait pour un jeu. Il choisissait une femme dans la rue, et il la suivait jusque chez elle. Ensuite, il rôdait autour de son logis, essayant d’en savoir plus, inspectant les boîtes aux lettres, guettant les lampes qui s’allumaient, les mouvements des rideaux. Il ne se sentait pas coupable. Au contraire : il se prenait pour un détective à la recherche d’indices, ou pour un reporter se livrant à un travail de repérage. Il a été très surpris quand l’une d’elles est brusquement sortie de chez elle, le traitant de « sale petit voyeur ». Il ne connaissait pas le mot : il a cru qu’elle parlait d’un voyant, d’un devin.
« Elle a raison. Je sais des choses que les gens ne veulent pas que je découvre. S’ils se fâchent, c’est qu’ils ont peur. »
Des jours inutiles, sans le garde-fou du travail : le lycée professionnel de Cluses, où il est agent technique, est fermé jusqu’à la fin août.
Les vacances d’été, un temps de loisir auquel chacun aspire, mais pour lui, cette année, le mot a retrouvé son sens premier.
Vacances, vacuité, vide.
Un vide dangereux.
Un vide qu’il va tenter de meubler comme il pourra. Il aurait dû partir, lui aussi. Mais où ? Avec qui ? Il n’a pas d’amis, peu de désirs.
La faille est d'abord en lui, il le sait. Une paresse accablante, irrésistible, pareille à un engourdissement comateux, paralyse ses moindres velléités d'action. Depuis des années, il se laisse ballotter par l'existence, sans intervenir, ni réagir, apathique, indifférent, absent.
Tout suicide est le crime de quelqu'un.
Le temps rouvre toutes les cicatrices, dit un proverbe syrien.
Une voix de femme, douce, posée, genre assistante sociale ou institutrice. Gentille, mais qui sait mieux que toi comment tu dois organiser ta vie.
Jonas le regarde, et c'est comme s'il se regardait lui-même - les heures vides qui s'étirent pour rien, les jours et les années, tu n'es pas mort, mais pas vivant non plus...
Je vois pas pourquoi les gens, ils éprouvent le besoin de coller des blazes à tout ce qui les entoure, pour bien montrer que c'est à eux : leurs animaux, leurs bateaux, leurs villas… Même les enfants, à la limite, on devrait pas se permettre de…
Ce roman m'a plu jusqu'à sa moitié : belle écriture, ambiances bien dépeintes, des amorces de mystère engageantes. Et puis tout se délite.
Il n'y a que la résolution de l'énigme qui réunit Zahra, la jeune Camille-Isabelle et sa mère Ariane qui soit menée à son terme. Trop de fils entremêlés à cette intrigue restent en suspens : on ne nous dit pas si Maïa a retrouvé son enfant, ce bébé qui s'est envolé en 1944, ni quelle est son identité (la petit dame en bleu, alias Mehdi ?) ; quid de la grossesse de Zahra ? ; pourquoi escamoter ainsi le personnage de Camille qu'on imagine partir en Italie ? ;
Et pourquoi finir sur ces retrouvailles entre Maïa, Guy et Johan comme s'il s'agissait de l'intrigue principale alors qu'à mon avis celle-ci n'était pas indispensable (sauf à meubler la thématique autour de laquelle tourne ce roman : de qui sommes-nous les enfants?).
Les monstres les plus inquiétants sont ceux qu’on n’ose pas regarder en face.
C’est facile de jouer les censeurs dans une bibliothèque.
L’inconscient, c’est ce qui m’a le plus intéressée, dans le programme de philo. L’idée que certains de nos actes nous échappent, qu’ils viennent de tout un passé.
« On n’est pas en taule, que je sache. L’art n’est pas une fuite ; il dit la vérité du monde. On est là pour faire quelque chose de vrai. Pas pour s’évader et encore moins pour rêver, sinon on aura fini de vivre avant d’avoir connu autre chose qu’une existence de somnambule. »
En fait, il n’a jamais été marié, il n’a que rarement touché un corps de femme. Des prostituées, il y a longtemps : leur mépris à peine dissimulé derrière la gentillesse tarifée, et souvent, pour rappeler le délai, le tic-tac d’un réveil achevait de lui faire perdre ses moyens. Séances décevantes, humiliantes, ratées. L’an dernier, rassemblant son courage, il s’est inscrit dans une agence matrimoniale. Il a été reçu par une conseillère dont le sourire affecté masquait mal l’âpreté. Elle l’a jaugé comme une marchandise douteuse qu’on lui aurait refilée : « Je ne vous cache pas que ça sera difficile. »
Ce bonheur qui m’a été enlevé, j’aimerais en retrouver la trace. Ce n’est pas un hasard si ce sont des enfants qui me ramènent dans la région. Laissez-moi entrer, quelques instants seulement, et ce sera comme autrefois. Je ne dérangerai personne, je n’abîmerai rien, je vous le promets. Je ne casserai rien.