Citations de Claude Arnaud (139)
J'ai pu signer la petite sculpture de chair qu'avait portée et nourrie des années durant ma mère- le seul créateur à ne jamais recevoir de prix- puis qu'avaient forgée mes frères, ces coauteurs de ma vie. (p. 166)
Ayant autant d'esclaves que de négriers dans ses ancêtres, elle voit plus large que sa classe. (p. 117)
Ayant perdu père, mère et frères, je ressens le caractère profondément accidentel de notre présence. (...)
Pourquoi même me tuer ? Je suis déjà mort. (p. 78)
Il (le père de l'auteur) a beau être le premier membre de notre famille à partir à un âge plus qu'enviable, sa mort me dévaste. (...) je ne suis plus le préféré de personne, tout juste le survivant d'une histoire triste. Je deviens le plus vieux représentant de notre famille, un patriarche improbable, à tout juste 43 ans.
Ma dernière digue contre le néant vient de céder. Je ne pourrai plus m'en prendre à l'éducation que j'ai reçue, à la société qui m'a formé, à l'époque qui me hérisse, je ne serai que la conséquence de mes choix, l'unique responsable de mon sort. (p. 64)
Le triomphe de l'individu assure celui de la marchandise.
"On n'a pas le coeur à jouer dans un monde où tout le monde triche", avait déclaré le jeune Emmanuel Fäy avant de se laisser mourir, quelques jours avant Radiguet : Cocteau n'était pas loin de le penser aussi.
L'intelligence critique de Radiguet et les dons poétiques de Cocteau avaient engendré l'un des couples les plus féconds qui eût jamais existé.
C'est vrai : Cocteau, dans son intense besoin d'amour, pense déjà à l'autre vie que la mort lui assurera, au second Cocteau, enfin admiré car idéalisé, à qui tous rendront hommage dans son catafalque. "Il faut être un homme vivant et un artiste posthume".
"L'amour est une infidélité envers soi-même", disait Mallarmé : Cocteau ne l'aurait pas détrompé, lui qui se présentera à l'avenir comme l'élève de Radiguet et fera de ce dernier son géniteur littéraire indirect. II avait toujours eu besoin de vénérer, mais ses dieux, d'Anna de Noailles à Picasso et de Stravinski à Satie, étaient jusque-là ses aînés, et l'actuel n'avait pas vingt ans.
Longtemps Cocteau veilla le lit de cuivre où Proust dormait, le regard cerné de traînées mauves. Sa longue barbe en pointe, de son vivant, camouflait ce que son visage gardait de poupin, mort, elle donnait à Proust l'air d'un grand prêtre assyrien à la peau d'ivoire, comme s'il avait rejoint pour toujours cette lointaine Perse qui les fascinait autrefois.
Cherchant toujours à rendre fictive la réalité qu'il vivait, Cocteau n'éprouvait guère le besoin d'écrire de roman jusque -là : l'existence s'en chargeait.
Je retourne le lendemain me recueillir devant le corps, à la morgue, et trouve Philippe en larmes. J'envie son affliction, j'accuse le reste d'enfance qui bride mes émotions. Je finis par pleurer à mon tour, devant mon incapacité à "vivre" l'événement.
Cherchant toujours à rendre fictive la réalité qu'il vivait, Cocteau n'éprouvait guère le besoin d'écrire de roman jusque là : l'existence s'en chargeait.
"Voir du monde dégrade, rester seul dégoûte" disait Cocteau à Max Jacob.
... Cocteau passant ses matinées à dessiner, comme chaque fois qu'il se sent incapable d'écrire.
Chaque fois que Cocteau ouvre une porte, une nouvelle énigme se présente.
Si Cocteau avait cru, dans son enthousiasme divin, pouvoir devenir aussi Gide, il ne tarda pas à s'apercevoir qu'il n'y avait de place que pour une personne sous ce nom - contrairement au sien.
Gide en vint à haïr tout ce qui pouvait émaner de Cocteau Quelque chose en lui redoutait en même temps comme la peste d'être remisé au rayon symboliste par la jeunesse : comme tous les adultes de l'après-1918, Gide vivait déjà dans la hantise d'être traité de "vieux" et perçu comme un auteur du XIXe siècle, avec ses bergers hors du temps et son Afrique du Nord digne de Virgile.
"Mourir signifie que tout est fini, dit Kirkegaard, mais mourir la mort, c'est vivre le mourir, et le vivre un seul instant, c'est le vivre à jamais".
"Le souci d'un paysan est de se faire des amis, celui d'un aristocrate est de se faire des ennemis", dit un proverbe russe. Cocteau eut le tort de méconnaître cette sentence révélant les ressorts d'un homme qui poussait le snobisme à des hauteurs inconnues.