.....Dans une longue liste, ou l'obscénité est la chose la mieux partagée, certains textes sont ignobles. Telle " ma première négresse " de Gil
mise en musique par Abel Petit :
[....] Elle avait une peau de requin
Qui aurait pu râper le gruyère
Une bouch' d'un' largeur
Cré coquin !
A dégoter un' porte cochèr' [...]
Des ch'veux crépus comm' qui dirait
Un hérisson trempé dans l'huile ! [...]
.....De même, " Han coolie ! " traduit de l'allemand par Aragon et mis en musique par Paul Arma un petit chef-d'oeuvre lancé à l'occasion de l'exposition coloniale et de l'exposition anticolonialiste de 1931, rapidement oublié ..........
.....................Mais cette anticolonialiste ne concerne qu'une infime minorité, les surréalistes et la section française de l'Internationale communiste, qui est alors réduite à l'état de secte .
Contre Ferhat Abbas qui s'interroge sur l'existence d'une nation algérienne, Ben Badis affirme : " Nous, de notre côté, nous avons cherché à travers les pages de l'Histoire et nous avons cherché dans le présent. Et nous nous sommes rendu compte que la nation algérienne s'est formée et qu'elle existe comme se sont formées et existent toutes les nations de la terre. Cette nation a son histoire, illustrée d'innombrables hauts faits ; elle a son unité religieuse et linguistique ; elle a sa culture propre, ses traditions, ses moeurs avec ce qu'elles comportent de bon ou de mauvais comme il en est de toutes les autres nations. Nous disons ensuite que cette nation algérienne musulmane n'est pas la France, et, même si elle le désirait, elle ne pourrait pas. Bien au contraire, c'est une nation totalement éloignée de la France, par sa langue, par ses moeurs, par ses origines ethniques, par sa religion. Elle ne veut point d'assimilation".
Toute révolution, tout nouveau pouvoir a un besoin particulier de légitimité. Très sollicitée par les politiques, l'histoire risque de se réduire à cette fonction. De fait, jusqu'à ces dernières années, l'enseignement et la recherche ont été étroitement surdéterminées en Afrique du Nord par la chronique d'une construction nationale posée comme achèvement de l'histoire. D'où ce défaut, qui consiste pour Jacques Berque à prédire l'advenu.
L'une des conséquences de ces propensions nationalistes est la grande difficulté de toute étude comparée, même entre les trois anciennes possessions françaises, tant les paradigmes respectifs sont spécifiques : populisme de l'historiographie algérienne, élitisme des recherches concernant l'action du Néo-Destour et de Bourguiba, caractère sacré du Trône marocain...
La conception arabo-musulmane du monde, la définition du soi et de l'autre, ne pouvaient rester immuables avec la déchirure, le choc des cultures qu'a été l'ouverture de l'Orient. " L'Occident est une question qui ébranle l'intime de l'être arabe", dit justement A. Laroui.
Depuis l'arrivée de Bonaparte en Egypte, une seule et même question obsède les sociétés du Sud : comment demeurer soi-même tout en changeant, car le changement est la condition de l'existence ? Quel est le secret de la supériorité de l'Occident ? Que lui emprunter ? En quoi ces emprunt mettent-ils en jeu le devenir de l'identité arabe et musulmane ? Est-il possible de dissocier la technique, le domaine de la puissance matérielle, et les valeurs, l'anthropologique ?
Il n'y a qu'en Algérie que les illusions des "évolués" tiennent plus longtemps, en raison de l'absence d'alternative politique concrète à l'ordre colonial et de la complexité des relations entre les Jeunes-Algériens, la colonisation et leur société, Ferhat Abbas résume le rêve de concilier les deux fidélités antinomiques : " C'est bien la pensée française qui est la base des principes de notre vie morale... Et pourtant l'islam est resté notre foi pure; la croyance qui donne sens à la vie, notre partie spirituelle".
On peut craindre que les fastes de la commémoration n'accentuent la marginalité de tout ce qui est extérieur au francocentrisme ambiant. L'histoire enseignée est une illustration de ces pesanteurs.