Les moyens du bord
Alors quand même on n’arrive pas à tout prendre,
les étoiles et les Rohingyas, l’espoir et les misères,
l’Éthiopie, les bras trop petits
trop petits malgré la colère la tendresse
et tout ce qu’il faudrait rendre et comprendre
et que je martèle creuse ou caresse
et le secours des rimes comme moyens du bord
tous les enfants vivants et les malades morts
mais surtout les vivants encore dans les embarcations
et ceux pour qui la vie est à coucher dehors
tous ceux qui sont à la périphérie, alors
qu’il faut bien s’occuper de notre cœur
lui souffler des paroles, lui rappeler son rôle
et faire ses exercices de respiration
et comme on dit conduire sa barque
avec rames et écopes eau potable et crampons.
Et ces moyens, ils ne sont pas médiocres
ils sont poussés à des extrémités vers le port
son opportunité aux maisons ocres.
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L’Ami
Elle a cinq ou six ans et c’est l’été
elle a passé le fleuve
elle porte tout son corps sur la jambe droite
elle rêve avec sa jambe gauche
elle trace au sol un cercle
de la pointe de sa basket blanche
un arc de cercle
un cercle ouvert
comme font les enfants en attendant
dans sa rêverie elle devient le compas
qui mesure cette terre étrangère
elle mesure ses chances d’avenir
elle se demande si ce pays
que les Indiens Caddo nommèrent Texas
l’ami, l’allié
lui montrera de l’amitié
//Claude Minière, poème inédit
L’errance
L’errance est ma tonalité. Depuis toujours. Pour toujours ?
Il semble bien, puisque s’étant imposée à moi, elle est
devenue, par destinée, mon plaisir, ma musique.
Je me trouve engagé (et non condamné, j’espère)
à l’errance. Aurai-je la suffisance de vouloir définir
l’errance ?
Consolation 49
J’ai noté bien des choses qui passent,
des virgules, des évidences, des secrets,
des lois, des phénomènes
des formules enfouies et des pensées enfuies
des souvenirs, des oublis,
des cauchemars, des féeries
des musiques savantes et les doutes qui hantent
le souffle sur les lettres noires.
Mes poèmes ne passeront pas
sauf dans vingt mille ans, probablement
Consolation 41
« Passez de longues heures avec Homère et Virgile
qui ont bien mérité du genre humain » Sénèque, Consolation à Polybe.
D’autres iront auprès du Père,
lui préfèrera compter sur Homère,
sur les études : en entourer votre âme,
en faire contre la douleur un rempart
Il faut dire que les empereurs
de son temps, ça fait vraiment peur
Néron qui tue sa mère,
Caligula après la perte de sa sœur
cherchant dans les dés jour et nuit
le soulagement fou de son chagrin
et lui, Sénèque, en Corse banni
auquel les mots romains viennent dif-
ficilement dans le langage
l’homme tue
L’homme tue, voici la pâte qu’il remue
la tambouille qu’il fait
sur les parois de la grotte déjà
il tournait en tous sens la question
qu’est-ce que je tue, est-ce bon ou mauvais ?
Et puis, sur la même paroi
est-ce que je cours le risque d’être mangé ?
D’où affiner l’œil évaluer la vitesse
la courbe de l’échine la force du dos
dans le rouge l’ocre le noir
l’huile du lui en chercher le secret
et la femme qui tue devient homme.
La caverne est remplie de ces questions de fond
en figures en gravure en couleurs
il y revient se mettre en face et enterre
dans la boîte crânienne la voix de l’estomac
toute la Terre tue, il y porte la main négative
il se viole, de ventrales pensées qu’il remue
et sur les murs on colle
toutes ces photos muettes d’hommes tus
Consolation d’Anvers
extrait 6
On frappe à la porte de la maison de Rubens,
les peaux d’Amérique, les sucreries poétiques
qu’importe ! Elle connaît avant la mort
la résurrection, elle est ravie d’ivresse
par l’aspect et l’inspect, la splendeur et l’intime.
Que connaissez-vous de l’extase ?
elle se dit en tresses de nouveau :
le printemps est nouveau, l’amour est nouveau
le sens est nouveau, la vie renouvelée
en désir de « caresses de l’été ».
D’ailleurs, béguine, elle commence dans le blanc
–– et qui se souviendra de ses vers souriants ?
/ Poème de Hadewijch (manuscrit médiéval)
Petits enfants
Petits enfants, dessinez des maisons
avec leur fumée bleue en tire-bouchon
des maisons neuves aux fenêtres carrées
et une porte, un chien mange le ciel.
En voici une à la campagne avec soleil
les champs de blé lui font une jupe plissée
petits enfants vous regardez dessous
la Vie donne l’acquis et la prairie
Le puits
Je courais quand un éclair m’a frappé
j’ai pensé verticale horizontale
dans tout le corps de pensée au-dehors
la rivière et la pluie
cœur jambe front main puits
Le possible et l’impossible
le possible et l’impossible
les poètes font des efforts
c’est ce qu’on doit leur reconnaître
un esprit impartial peut juger
leur grâce d’être nés
et de faire leur possible
personne ne peut faire plus
que chercher dans tous les sens
sur la ligne finie