Claude VIGÉE Grand Portait (France Culture, 1988)
Lémission « Le Bon plaisir », par Renée Elkaïm Bollinger, diffusée le 2 avril 1988 sur France Culture. Présences : Georges-Emmanuel Clancier, Sylvie Reff, Adrien Finck, Armand Peter, Marie-Thérèse Fritsch, Paul Kauss, Anne Clancier, Camille Clauss, Jean-Yves Lartichaux, Henri Atlan, Luc Balbont, Marc-Alain Ouknin, Robert Misrahi et le poète en personne.
Sur l'infime épaisseur des mots nous patinons
à reculons depuis l'enfance;
nous chantons, nous dansons
vers l'infini sans regard et sans nom.
A peine un éclair sur la glace,
dans une poésie est inscrite la trace
de l'oiseau qui raya la fragile surface.
Qu'est-ce donc que la poésie? Un feu de camp abandonné ,
qui fume longuement dans la nuit d'été, sur la montagne déserte.
Retrait du monde et de moi-même ,
Souvent je l'ai entendu germer dans la pierraille de la montagne,
Le grondement muet dont naîtra le tonnerre.
(" Le grenier magique")
Bonsoir, petite Evy, bonsoir comme autrefois,
toi qui, depuis de si longs jours déjà ,
demeures loin de moi.
Bonsoir dès que je passe à côté de ton banc,
dans le parc étranger où nul ne va s'asseoir,
où personne dans le noir ne dresse les oreilles
quand le silence sur nous s'étend dans les buissons,
et, que très lentement, avec la nuit qui tombe,
s'éteint dans la pénombre le murmure de mes mots:
entre plaisir et peine,
à travers deuil et joie,
Bonsoir, petite Evy, bonsoir à bientôt,
comme alors, mon Evy, serrés l'un contre l'autre,
à deux sur ce vieux banc.
(" Les sentiers de velours sous les pas de la nuit")
Au seuil de l'invisible
qu'a donc été ta vie?
Dans le soleil couchant
un haut nuage en feu
porté par le vent froid,
qui lentement s'éteint
en plongeant dans la nuit.
La stratégie de l’extase
Esprit, fais-toi mer pour franchir la mer, nature pour surmonter
la nature,
Mortel et agonisant pour devancer la mort et l’agonie.
Embrasse le monde afin de traverser le monde, d’absorber en toi
tout l’espace et son temps !
Ton cœur fait monde, esprit, sans rien en retenir,
Par la grâce du saut léger te voilà sauvé de toi-même.
Mais le don ne s’achève qu’en te livrant à ce monde triste avec joie,
En t’y abandonnant dès aujourd’hui au risque de ta perte totale.
Au cœur de l’orage il y aura peut-être un instant de rencontre:
Un seul éclair suffit, avant la dispersion mortelle dans la nuit.
La fin à l’horizon
Au seuil de l’indicible
qu’a donc été ta vie ?
Dans le soleil couchant
un haut nuage en feu
porté par le vent froid,
qui lentement s’éteint
en plongeant dans la nuit.
19 juillet 2008
La Grande Passacaille
Écoute le roulement des galets dans la mer !
Hors les murs nus de l'être prolongeant
la hantise de la musique muette,
soudain murmurent en nous les flûtes du crépuscule.
Dans le passage de notre souffle mortel
les mots tracent le sens que nous espérions rencontrer
en explorant du regard
chaque soir chaque matin qui hennit en plein ciel -
la bouche ouverte boit
le vent pluvieux toujours resurgissant,
le vent qui vient d'ailleurs
et porte en soi comme une absence
le silence pareil au germe jaillissant
hors du commencement sans visage et sans lieu :
respirer de nouveau, plonger dans le temps fabuleux des
noces où s'étreignent le jour et la nuit emmêlés.
Afflux divin du livre qui en porte le rythme
comme une lame de fond arrachée au ventre de la mer,
chevaux d'écume dansant, caracolant, puis tout à coup
se cabrant pour jouir
jusqu'à la crête mortelle et blanchissante du ressac.
Claude Vigée, " Vie j'ai "né Claude André Strauss, le 3 janvier 1921 à Bischwiller nous a quitté le 2 octobre 2020 à Paris à l'âge de 99ans.
LES ORTIES NOIRES
FLAMBENT DANS LE VENT
À Adrien Finck
Parfois je crois surprendre un écho dans l’oreille
de ces mots murmurés,
que des voix de jadis, depuis longtemps perdues,
disaient presque en silence :
ainsi suinte la pluie de campagne en automne
à travers les feuilles mortes, avec tant de patience,
à la lisière du petit bois de chêne gris et touffus
où le Ruisseau-Rouge chuchote,
puis elle s’enfuit goutte à goutte dans la terre,
à pas de souriceaux, comme fait la semence,
par le chemin profond,
la sente aux orties noires.
p.199
Deux étoiles filantes
sur la montagne obscure:
déjà leur coeur de braise
agonise et s'éteint .
Que reste -t-il de nous
quand le temps se retire?
à peine une buée, ce souffle qui s'efface
sur le miroir brisé.
(" L'arrachement")
LA VALLÉE DES OSSEMENTS
LA CLEF DE L’ORIGINE
Ils demeurent assemblés en permanence le jour sans fin
du Grand pardon
Convoqués dans la tunique rituelle aux lacets de lin
dénoués pour l'éternité
La langue chargée de terre et blanchie par le jeûne
Ils tiennent leur réunion plénière jusqu'à la consomma-
tion des siècles
Engagés dans le colloque silencieux
Qui précède au jour du jugement le verdict sans appel des
cornes archangéliques
En ce jour le Seigneur sonnera de la corne
Teki'ah Teru'ah Teki'ah
p.67-68