Le 15 janvier 2010, la Fnac Paris Italie 2 recevait Claude Villers pour son livre-cd (Denoël) "Le tribunal des flagrants délis". Claude Villers, Pierre Desproges, Luis Rego...provocateur, subversif et décapant, ce tribunal-là aurait trente ans, mais n'a pas pris une ride. Pour délirer, ça délire ferme. À consommer sans modération ! (1/2)

Ce n'est rien.
Rien qu'un peu de vent, un peu de pluie, un peu de nuit. Je n'ai même pas froid. À l'abri du semblant de plafond formé par le dessous du ventre rond des chaloupes suspendues aux haussières à l'étage supérieur, j'allume tranquillement ma pipe tandis que Bergen s'endort. Goulûment, je tète la flamme bleue du briquet. Mes courses et rapides aspirations font crépiter et rougeoyer le tabac serré dans le foyer. La fumée s'élance. D'abord par saccades, puis en longues et épaisses volutes. Tout est en ordre. Tout fonctionne. Je peux ranger mes accessoires et, les mains dans les poches de ma parka, je m'approche du vide.
Des quais du port montent le bruit des derniers camions que l'on décharge : emballements rageurs des chariots élévateurs lestés de lourdes palettes grimpant la pente des rampes d'accès aux cales, gémissements des chaînes de grues qui remontent, des panneaux d'acier qui se heurtent, cris et pas des hommes soudain pressés. Derniers préparatifs.
Ils sont le tribunal
Dont on parle dans le journal
Qui juge et qui condamne
Les messieurs comme les dames.
Avec eux, pas d'innocents
Tout le monde est coupable
Ils en font le serment
Avant qu'on ne passe à table
Pas question de mentir
Pas moyen de s'en sortir
Y a vraiment rien de pire
Qu'les Flagrants Délires ...
Il ne faut pas avoir peur de la mort. Sinon, à ce compte-là, on ne fait rien de ses jours.
Et Henry de Monfreid en a vécu assez pour remplir plusieurs vies...
Il aurait pu périr dans un naufrage, quelque part entre Djibouti, Zanzibar ou Bombay, dans la mer Rouge, la mer d'Oman ou l'océan indien. Son bateau aurait pu aussi couler entre la Réunion et Madagascar.
Il aurait pu disparaître dans une prison de Djibouti, une geôle de l'île de Périm ou un camp de détention au Kénya.
Il aurait pu finir poignardé, fusillé, révolvérisé, dans un réglement de comptes entre pêcheurs de perles, trafiquants d'armes ou de haschich.
Des requins auraient pu le dévorer, des hyènes l'égorger, des éléphants l'écraser.
Mais, après avoir connu tous ces destins, tous ces tumultes, Henry de Monfreid s'est éteint bien tranquillement dans son lit, paisible grand-père, à Ingrandes, dans l'Indre....
(extrait du chapitre consacré à Henri de Monfreid)
La luminosité m’incite à rester sur la passerelle que j’allais quitter. Tans pis pour le club du fumoir. Peut-être vais-je réussir à distinguer le décor extraordinaire du Trollfjord. Le passage étroit entre l’archipel des Lofoten et celui des Vesterålen. Evidemment, le soleil de minuit se montre plus propice à la contemplation de ce domaine des trolls, où ces esprits, pas toujours bienfaisants, se sont transformés en amas de rochers, hauts de plus de mille mètres. Mais se glisser là, de nuit, n’en est que plus inquiétant encore. La légende veut en effet qu’un jour - ou une nuit - les trolls se réveilleront et lapideront les navires qui les dérangent dans leur sommeil. Le canal se referme sur nous. Nous frôlons les parois justes éclairées par des balises à distance régulière et par la clarté du ciel qui décline. Un léger coude et la pénombre resurgit. Je regarde autour de nous et je distingue à peine les murailles de pierre.
Ils ne se sont pas contentés de rêver. Ils ont réalisé leurs rêves. Ils ont dit non aux habitudes, ils ont bravé les interdits.
Alexandra David-Néel a voyagé seule au Tibet. En 1890, Clément Adler a réussi à quitter le sol pendant quelques secondes, aux commandes de l'avion qu'il avait lui-même fabriqué.
Thor Heyerdahl a traversé le Pacifique sur un radeau...
Pour d'autres, le rêve s'est transformé en tragédie.
Burke et Willis ont péri en Australie. Isabelle Eberhardt est morte dans le désert. L'hydravion de Mermoz, "la croix du Sud", s'est abîmé dans l'Atlantique-sud.
Vaincus, déçus, disparus ou triomphants, tous restent les héros d'odyssées fantastiques dont le récit brille comme mille étoiles au firmament de l'aventure humaine.
(quatrième de couverture de l'édition parue chez "Pocket" en 1999)
Comprendre n'interdit en rien de s'étonner.
Pourquoi dépenser une fortune pour lire tout Sartre alors que, pour le prix d'un numéro de M..., vous avez "La Nausée" et "Les Mains Sales" ?
"Orson Welles est une manière de géant, a dit Cocteau avec raison. Un géant au regard enfantin, un arbre bourré d'oiseaux et d'ombre, un chien qui a cassé sa chaîne et se couche dans les plates-bandes, un paresseux actif, un fou sage, une solitude entourée de monde, un étudiant qui dort en classe, un stratège qui fait semblant d'être ivre quand il veut qu'on lui foute la paix."
Au cimetière, Marcel Pagnol dit un dernier adieu à son ami (Raimu). "Tu vas jouer ce soir dans trente salles et des foules vont rire et pleurer. Tu exerces toujours ton art, tu continues à faire ton métier, et je peux mesurer aujourd'hui la reconnaissance que nous devons à la lampe magique, qui rallume les génies éteints, qui refait danser les danseuses mortes et qui rend à notre tendresse le sourire des amis perdus..."
Ne plus pouvoir boire, c'est la mort assurée pour tous. Savigny (chirurgien de marine) reunit une sorte de "conseil des valides" et leur fait remarquer que les blessés et les malades, en consommant leurs rations, diminuent ainsi les chances qu'on puisse les sauver. Alors ... Alors, les hommes soudain vont se débarrasser du "problème ", à coups de sabre. La cantinière, blessée à la jambe, sera - car c'est une femme - obligée de disparaître de son "plein gré " dans les flots.
Le 17 juillet 1816, ils ne sont plus que quinze sur les cent quarante-sept rescapés du radeau de la Méduse.
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