[ … ] Com-
ment s’y prendre pour explorer les tréfonds d’une personne
dénuée de profondeurs ou dépourvue des moyens de les
sonder ? Comment traduit-on avec des mots les sentiments
de quelqu’un qui ne verbalise pas ce qu’il ressent ?
C’est une question de conscience. Et Roth croit que « le
problème pour les écrivains les plus sérieux dans leur ambi-
tion » se pose précisément ainsi : « Comment transformer la
prise de conscience en expérience ? » Dans la vidéo d’une
interview avec David Remnick pour la BBC (qui ne fut que
partiellement diffusée), il poursuivit : « Si vous négligez la
conscience, vous écrivez de la littérature grand public ; si vous
n’avez que la conscience sans la gravité de l’expérience, vous
avez l’essai malheureux de Virginia Woolf où la conscience
domine au point que le roman ne se déplace plus dans le
temps comme il doit le faire. » (Cela étant dit, Roth est un
grand admirateur de Mrs Dalloway.) Il développe sur ce
sujet si essentiel à Pastorale américaine : « La fiction invente
la conscience » – ce qui signifie non pas que nous n’avons
pas tous une conscience mais que « dans les livres elle existe
dans un langage élaboré ». Et « le mont Rushmore » de ce
langage, bien entendu, c’est Ulysse de Joyce, qui enseigna tant
à Bellow, le maître de la conscience romanesque. L’autre
maître américain dont Roth admire les personnages ainsi
dotés d’une vie intérieure, c’est Updike. « La conscience de
Rabbit Angstrom est une pure invention », conclut Roth. « Le
génie de John est de la faire apparaître comme authentique. »
pp. 308-309