Le lieu était petit et étroit. Le bruit de la porte a fait surgir de derrière un rideau une femme voûtée portant blouse.
- C'est pour quoi ?
J'ai montré l'emplacement vide sur ma poitrine.
- Pour recoudre un bouton.
La vieille femme m'a regardé avec incrédulité et dédain.
- Vous ne savez donc pas coudre un bouton ?
J'aurais pu répondre : " Le jour où les Inutiles sauront coudre un bouton, il poussera des dents aux coqs, les antilopes aboieront et il pleuvra des têtards ; par ailleurs, de quoi vous plaignez vous puisque je fais marcher votre commerce ? "
Au lieu de quoi, j'ai rétorqué "En effet" et j'ai ôté ma veste.
Elle a chaussé ses lunettes, enfilé une aiguille et s'est penchée sur l'ouvrage.
- Alors comme ça vous ne savez pas coudre un bouton ?
Si je savais coudre un bouton, madame, l'ordre du monde en serait changé, et cela ne tournerait pas forcément à votre avantage.
J'ai ramassé le mouchoir, m'efforçant de ne pas lui en vouloir, de ne pas nourrir de sentiments hostiles envers lui, ce qui ne pourrait que le rendre davantage rétif. La patience est mère de toutes les vertus, avance-t-on.
Il me faudrait développer d'autres voies de compréhension pendant le temps indéfini durant lequel le tissu élimé mûrirait sa réponse. Si ce mouchoir était un moine zen, il aurait à faire le vide en lui-même pour accueillir la fulgurance d'un koan. Mon koan.
Je revoyais l'ombre qui m'avait suivie tout au long de la journée, patiemment, docilement. Je la revoyais sur les trottoirs. Sur les parapets. Les murs. Les arbres. Les lampadaires. Jouant de ses métamorphoses. Déclinant ses gammes. Allongée, raccourcie, fine, courtaude, géante.
sait-on seulement ce que font les ombres quand il pleut?