[…] comme la fonction alpha intervient sur toutes les impressions sensorielles et sur toutes les émotions, l’expérience du sommeil et celle de la veille ne diffèrent qu’en un sens quantitatif. Les pensées oniriques font partie intégrante de la pensée de l’état de veille. Elles constituent même nécessairement un pont pour l’exercice de la pensée consciente […]. […] Ce n’est pas l’inconscient qui produit le rêve mais, au contraire, c’est « l’acte de rêver qui crée l’inconscient », et donc aussi la conscience. En d’autres termes, conscient et inconscient sont à penser tous deux comme le produit d’une différenciation opérée par la fonction alpha.
[…] le rêve constitue la matrice génératrice de la réalité psychique et de la réalité de l’analyse ; le champ de cette connaissance se définit et se déploie à travers les oscillations de la pensée, selon des formes de représentation mentale diversement complexes et évoluées.
Bion […] considère le rêve comme une tentative pour produire une nouvelle signification à partir de la perception d’une expérience émotive. En ce sens, celui-ci est une forme particulière et fondamentale de la fonction symbolique, un premier degré de la pensée.
[…] l’analyste peut ne pas interagir s’il est capable de rêver l’expérience émotive au moment où elle lui arrive.
L’intérêt pour la pensée, entendue dans un sens extrêmement large comme pensée empreinte d’émotions et comme pensée imaginative, spéculative et théorique, est certainement un des pôles d’inspiration les plus constants de la réflexion de Bion et, en même temps, un vertex à partir duquel il considère les autres aspects de la personnalité. Bion, par exemple, ne s’occupe pas des structures du Soi ou des premières relations objectales en tant que telles ; ce qui l’intéresse, c’est de comprendre de quelle façon ces structures et ces relations permettent une naissance et un développement de l’ « appareil pour penser » et de la capacité à accueillir et à contenir la pensée.
Le choix opéré par Bion a été […] de créer un langage nouveau qui – au prix d’un effort comparable à celui qui a présidé à la fondation du langage musical ou du langage mathématique – soit « décollé » du langage quotidien. La théorie bionienne de la pensée propose en effet des termes et des concepts non saturés – fonction alpha, élément bêta, « O » - qui vont pouvoir progressivement s’enrichir de signification, et qui vont se préciser et se définir à travers l’expérience clinique.
L’objet interne est une sorte de première trace mnésique sui generis. Comme toutes les traces mnésiques, il entre dans la structuration de la perception de la réalité externe.
[…] Bion est peu à peu arrivé à la conclusion que, s’il y avait une grille positive pour élaborer et penser les pensées, il devait y avoir aussi une « grille négative » pour créer les mensonges. En réalité, il n’a jamais réussi à explorer complètement ce champ-là, nous en laissant la tâche.
Le rêve constitue donc une barrière virtuelle (que Bion appelle « barrière de contact » ou « écran alpha ») visant à rendre et maintenir inconsciente une part de l’expérience mentale, de façon à permettre la différenciation du conscient et de l’inconscient.
[…] Bion note une différence fondamentale entre l’existence de pensées et l’acte de penser, entendant par ce terme une méthode ou un « appareil » psychique dévolu à l’emploi et à l’élaboration des pensées elles-mêmes.