Citations de Clemantine Wamariya (23)
[A Chicago - Clemantine a 12 ans et vient d'arriver d'Afrique, après 6 ans d'errance à travers plusieurs camps de réfugiés]. Au milieu de la première nuit passée chez les Beasley, lorsque je me suis réveillée pour aller aux toilettes, j'ai grimpé les escaliers et ouvert le réfrigérateur. Je n'en avais jamais vu d'aussi énorme […]. J'étais stupéfiée et impressionnée. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à nos voisins, dans notre bidonville en Zambie. A ma place, ils auraient été effarés. Comment pouvait-il exister quelque part un tel excès de nourriture tandis qu'ailleurs, à quelques heures d'avion, des gens mouraient de faim? […] Puis soudain j'ai songé: "C'est ma vie, et en même temps ce n'est pas ma vie. Je mérite tout ça parce que j'ai souffert." Mais une autre petite voix s'est élevée en moi. Est-ce que tous ceux qui possédaient de tels réfrigérateurs avaient souffert, eux aussi?
Nous avons besoin de dire : j'honore ce que tu respectes et j'accorde de l'importance à ce que tu chéris. Je ne suis pas meilleur que toi. Tu n'est pas meilleur que moi. Personne ne vaut plus qu'un autre.
Ma sœur a une compréhension intuitive des effets du post-colonialisme, ceux, durables, causés par des étrangers venus pour sauver, éclairer et moderniser l'Afrique. Les colons, les travailleurs humanitaires, les ONG, tous suivent le même mouvement ; ils supposent qu'ils valent plus et sont plus intelligents que les locaux ; en bons paternalistes, ils offrent des cadeaux qui en mettent plein la vue, déstabilisent et créent une dépendance. Comment peut-on accepter quelque chose de la part de soi-disant sauveurs, alors que leurs prédécesseurs ont poussé son propre peuple à se détruite ?
Expier ses péchés ne suffit pas. Ces étrangers doivent se livrer à une introspection, plonger dans leur histoire et leurs préjugés, et élaborer un plan afin de ne pas répéter leurs crimes. Car l'esprit humain, malléable, peut-être dominé - si graduellement que l'on réalise trop tard que l'on a perdu toute maîtrise.
Presque quarante ans avant la Shoah, en Namibie, les dirigeants allemands avaient déjà mis en pratique la stratégie qu'ils allaient utiliser contre les juifs. La violence et les humiliations étaient systématiques. Ces Européens considéraient leur race supérieur à celle des ethnies héréros et namas, et ils ont largement développé leurs techniques de meurtres de masse : bastonnade, points d'eau interdits d'accès dans le désert, camps de la mort.
Prendre soin des êtres aimés, dans mon monde, n'était pas fondé sur l'affection, mais sur la peur de les perdre.
« Les visages de mes parents se transformaient en visages que je ne leur avais jamais vus. J’entendais des bruits que je ne comprenais pas. Ce n’était pas des cris, c’était pire. Ma mère pleurait de nouveau .
Mes parents chuchotaient et je tendais l’oreille , je les entendus raconter que des voleurs avaient saccagé une autre maison voisine. Ils avaient volé de l’argent , arraché les photos des murs, brisé et brûlé les meubles.
Ils avaient cloué un mot sur la porte informant les habitants qu’ils reviendraient bientôt pour prendre leurs filles » ……
Je veux qu'ils comprennent que vouloir s'enfermer dans de petites cases en fonction de sa classe sociale, de son ethnie, de sa religion - de tout, en réalité - révèle une pauvreté d'esprit, un manque d'imagination. Le monde est cruel et sans intérêt lorsque l'on s'isole.
Presque quatre-vingt ans avant le génocide, les Belges avaient colonisé le Rwanda et l'avaient contaminé avec leur science aussi cruelle que mensongère : l'eugénisme.
C'était la première fois que je la voyais verser une larme. Ça ne se faisait pas chez les adultes rwandais. Quant aux enfants, ils y étaient autorisés tant qu'ils ne savaient pas parler. Ensuite, ils ne pleuraient plus. Si, après ça, quelqu'un ne pouvait pas s'en empêcher, il devait le faire en chantant, comme un oiseau mélancolique.
Dix vies, et les gardiens de la paix de l'ONU étaient partis du Rwanda ; la communauté internationale était partie du Rwanda. Ce qui s'y déroulait était trop effroyable, trop sauvage, trop dangereux. Tous ces pays qui avaient mis un terme à la Seconde Guerre mondiale en affirmant "plus jamais ça" nous avaient tourné le dos.
Le monde est cruel et sans intérêt lorsque l'on s'isole.
Il m'a expliqué que, quand le soleil rejoignait l'océan, c'était le moment où l'on pouvait soulever la mer, se glisser dessous et aller où bon nous semblait ; et si on marchait au clair de lune, on pouvait entrer dans Tera, la terre du passé.
Comment pouvait-il exister quelque-part un tel excès de nourriture tandis qu'ailleurs, à quelques heures d'avion, des gens mouraient de faim ?
je ne comprenais pas encore ce que signifiait "tuer". pour moi, les cadavres n'étaient que des gens endormis. des gens qui dormaient profondément. C'est tout ce que je croyais.
Le passé est partout présent, tout le temps, il est pareil à un sombre chaudron qui bouillonne.
On ne peut pas regrouper des atrocités pour qu'elles forment un ensemble. On ne peut pas témoigner avec un seul mot.
Les voleurs voulaient simplement prouver qu’ils pouvaient le faire. Ils laissaient des mots où ils exigeaient de l’essence, du sucre ou une télévision. Quand je demandais des explications aux adultes, leurs visages se fermaient et ils me renvoyaient m’occuper de mes affaires. Parfois, des hommes laissaient des grenades, du moins c’est ce que j’avais entendu dire, ne sachant pas vraiment ce que c’était. J’avais seulement compris que cette arme pouvait couper les gens en centaines de morceaux.
D’habitude, la discipline était le domaine de ma mère. Elle était sévère mais pondérée. Quand nous nous conduisions mal, elle nous faisait nous agenouiller au coin, face au mur, parfois avec des pierres sur nos têtes. C’était affreux. Lorsqu’un membre de la famille mentait – en général, c’était moi –, ma mère faisait bouillir de l’eau et nous demandait à tous de nous asseoir autour de la casserole. « Si vous êtes malhonnêtes et que vous mettez votre main là-dedans, vous allez vous brûler. Et si vous n’avez rien fait, vous ne sentirez rien », nous expliquait-elle.
Elle ne se maquillait pas, à l’exception d’un soupçon de Vaseline pour donner un peu de brillant à ses lèvres. Elle avait intégré la mentalité postcoloniale bien ancrée chez les catholiques rwandais : chacun devait rester aussi invisible que possible en évitant d’attirer les regards. C’est l’enseignement que j’ai reçu en grandissant. Je devais apprendre à me tenir convenablement, à rester sage et silencieuse. J’étais une élève tout sauf enthousiaste.
Comme de nombreux Rwandais, elle avait choisi ce pays qui avait l’avantage de ressembler à l’Amérique, mais où l’on parlait français. Le Rwanda étant une ancienne colonie belge, cette langue était la seconde que l’on apprenait à l’école. Au cas où elle ne serait pas parvenue à immigrer au Canada, Claire comptait voyager en Europe – partir vivre à tout prix iburayi, l’expression rwandaise passe-partout signifiant « à l’étranger » ou « loin ». La marraine de ma sœur qui vivait à Montréal lui avait envoyé des cadeaux fabuleux : une montre avec un bracelet en argent, une tenue complète de couleur verte pour la pluie, avec un ciré, des bottes et un parapluie assortis.
Lorsque j’étais une enfant comme les autres, je vivais à Kigali, au Rwanda, et j’étais une petite fouineuse plutôt précoce. Mon surnom était Cassette. Je répétais tout ce que je voyais ou entendais, y compris le fait que ma sœur Claire, qui avait neuf ans de plus que moi, portait des shorts sous ses jupes et jouait au foot après l’école au lieu d’aller faire les courses.