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Citations de Clément Rosset (215)


L'unique comble l'attente en se réalisant, mais la déçoit en biffant tout autre mode de réalisation. C'est d'ailleurs là le sort de tout événement au monde.
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Clément Rosset
Il n'est pas de signe plus sûr de la joie que de ne faire qu'un avec la joie de vivre.
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Sur l’album de Tintin « L’oreille cassée »

Le fétiche que l’on poursuit en Amérique est en Europe, dans une malle, à portée de la main. De même, dans d’autres albums du même Hergé (Le secret de la Licorne, Le trésor de Rackham le Rouge), le trésor convoité n’est pas situé dans l’océan Atlantique, où on va le chercher, mais chez soi, dans sa propre cave : il suffit d’y mettre le doigt pour le trouver, comme il suffisait d’ouvrir la malle de Balthazar pour y trouver le fétiche. C’est là également, on le sait, le sort de cette Lettre volée, d’Edgar Poe, qui échappe à toutes les investigations policières pour être placée bien en évidence sur la table. Le regard du désir est un regard distrait : il glisse sur le présent, l’ici, le trop immédiatement visible, et ne réussit à être attentif qu’à la condition de porter son regard ailleurs. Et puisqu’il est ici question de fétiches, on remarquera que ce « sort » attaché au regard du désir – de toujours regarder ailleurs, de tout voir hormis ce que l’on cherche à voir – définit le sort de ceux que la psychiatrie appelle, précisément, des fétichistes. Le fétichiste reste froid devant la chose elle-même, laquelle lui apparaît comme muette, incolore et sans saveur ; il est ému non par la chose mais par quelque autre chose qui la signale. D’où un refus du présent et de l’ici, c’est-à-dire un refus du réel en général, puisque le présent et l’ici en sont les deux coordonnées fondamentales. On ne peut s’intéresser à la fois au fétiche (c’est-à-dire au réel) et à ce que le fétiche est censé représenter (c’est-à-dire au « vrai », par opposition au double, au faux). Qui cherche le fétiche trouvera le fétiche ; mais qui cherche ce que le fétiche représente ne trouvera rien, et en tout cas pas le fétiche.

Bref : ne cherchez pas le réel ailleurs qu’ici et maintenant, car il est ici et maintenant, seulement ici et maintenant. Mais, si l’on ne veut pas du réel, il est préférable, en effet, de regarder ailleurs : d’aller voir ce qui se passe sous le tapis, ou en Amérique du Sud, ou dans la mer des Caraïbes, n’importe où pourvu qu’on soit assuré de n’y jamais rien trouver. Car on n’y trouvera jamais rien d’autre que ce qu’on y cherchait réellement : c’est-à-dire, précisément, rien.
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Précisons ici la suite des idées qui résume (…) ce qui tenait le plus au cœur de Proust, du moins en matière de philosophie : Je suis heureux quand j’éprouve quelque chose qui, étant en rapport à la fois avec le temps passé et le temps présent, n’est pas en rapport avec le présent qui passe – qui est donc sans rapport avec le présent et sa pauvreté (Baudelaire ici renchérirait : avec le réel et sa banalité).
L’erreur de Proust n’est ici pas tant de privilégier l’imagination aux dépens de la parution du réel – privilégiation dont il convient d’ailleurs lui-même de façon explicite : « Tant de fois, au cours de ma vie, la réalité m’avait déçu parce qu’au moment où je la percevais, mon imagination, qui était mon seul organe pour jouir de la beauté, ne pouvait s’appliquer à elle, en vertu de la loi inévitable qui veut qu’on ne puisse imaginer que ce qui est absent » – que de prendre pour souvenir la simple apparition du réel, son « épiphanie », de prendre pour représentation seconde ce qui est en fait présentation première.
La « réminiscence » proustienne n’est pas un souvenir pour cette simple raison qu’elle ne reproduit aucune image. Un souvenir répète une présentation ; c’est en quoi d’ailleurs elle peut constituer, à la rigueur, une « re-présentation ».
Mais rien de tel dans les réminiscences évoquées par Proust. La réminiscence proustienne ne remémore rien parce qu’elle est précisément – et c’est là tout son intérêt – la première « représentation » du réel, c’est-à-dire sa présentation inaugurale, qui signale l’émergence d’un certain réel à la surface de la conscience. Lorsque Swann – pour s’en tenir à cet unique exemple – réentend le thème de la sonate de Vinteuil qui lui évoque le temps de ses premières amours avec Odette, il ne se rappelle pas, à proprement parler, l’intensité du sentiment qui l’a lié, et le lie encore, à Odette : il en prend simplement conscience. Il y a ici non pas souvenir mais saisie, aperception, découverte.
Le réel n’est pas revenu, il est arrivé. Il est dommage que Proust, si attentif à cette éclosion du réel à la surface de la conscience, ait cru devoir le congédier sitôt né, et ait fait reposer l’intimité de son bonheur sur sa faculté à l’évacuer.
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Que l’homme soit privé de chemin ne signifie pas du tout qu’il soit perdu dans un labyrinthe, ne sachant pas, pour aboutir, s’il vaut mieux emprunter le chemin de gauche ou le chemin de droite et retrouvant, à chaque nouveau carrefour, un problème analogue. Dans le labyrinthe il y a un sens, plus ou moins introuvable et invisible, mais dont l’existence est certaine : sont donnés de multiples itinéraires dont un seul, ou quelques rares, sont les bons, les autres ne menant nulle part. Le labyrinthe n’est donc pas un lieu où se manifeste l’insignifiance ; bien plutôt un lieu où le sens se révèle en se recélant, un temple du sens, et un temple pour initiés, car le sens y est à la fois présent et voilé. Le sens y circule de façon secrète et inattendue, à la manière de l’itinéraire improbable et déroutant que doit emprunter l’homme égaré dans le labyrinthe s’il veut trouver une issue. À l’absence de chemins – c’est-à-dire à leur omniprésence – propre à l’insignifiance s’oppose ici la complication des chemins. On sait le goût moderne pour les jeux du sens d’ordre labyrinthique : disparition du sens là où on le guettait, réapparition du sens là où on ne l’attendait pas, fausses communications entre éléments voisins et homogènes, communications véritables entre éléments lointains et disparates. Goût philosophique, comme en témoignent les premières lignes des Mots et les choses de Michel Foucault, la Logique du sens de Gilles Deleuze et son étude des paradoxes du sens, la bande de Mœbius et autres nœuds borroméens de Jacques Lacan. Goût littéraire : labyrinthes de Robbe-Grillet, itinéraires mystérieux et communications secrètes de Michel Butor, « jardins aux sentiers qui bifurquent » chez Borgès. Le goût du labyrinthe est manifestement un goût du sens qui, à le considérer isolément, traduirait plutôt une indifférence de la modernité à l’égard de la question de l’insignifiance.
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Il ressort de ces lectures au moins ceci : c'est que le livre sur le malaise reste à écrire, comme reste à penser le problème du malaise en son entier. Je m'attacherais, pour ma part, bien volontiers à cette tâche, si je ne subissais pas moi-même, précisément les effets paralysants du malaise. C'est là un cercle vicieux, mais comment y échapper ? Ou bien on est en dehors du malaise, et on n'en écrit que des bêtises. Ou bien on est dans le malaise, mais on est alors hors d'état d'en écrire. L'unique solution consiste à étudier le malaise après en avoir été soi-même la victime et en avoir guéri. C'est d'ailleurs bien ce que je compte faire, plus tard, si je réussi à me tirer d'affaire.

Le malaise, p. 104
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D’où son intérêt majeur, comme le suggère le titre de l’essai, car la joie provoquée par la musique, comme la joie de vivre que l’on retrouve, là encore – et pour les mêmes raisons –, sous la plume de Rosset dans chacun de ses livres, est de nature paradoxale : puisqu’elle n’a pas de motif d’être.
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Et comment aimer le corps ou l’âme sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l’âme abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
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On peut rêver contre la logique, mais aussi contre sa propre pensée.
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L’original doit se passer de toute image : si je ne me trouve pas en moi-même, je me retrouverai encore bien moins dans mon écho.
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Pas de soi qui ne soit que soit, pas d'ici qui ne soit qu'ici, pas de maintenant qui ne soit que maintenant : telle est l'exigence du double, qui en veut un peu plus et est prêt à sacrifier tout ce qui existe - c'est à dire l'unique - au profit de tout le reste, c'est à dire de tout ce qui n'existe pas.
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Le meilleur des mondes n’est pas celui où l’on obtient ce que l’on désire, mais un monde où l’on désire quelque chose.
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La qualité que l'on prétend cacher ou dénier, par une mise au loin de soi, est justement constituée par cet écart même ; écart qui contribue, d'autre part, à rendre cette qualité à jamais invisible aux yeux de son possesseur.
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L'évènement attendu vient coïncider avec lui-même, d'où précisément la surprise : car on attendait quelque chose de différent, quoique voisin, la même chose mais pas exactement de cette façon. C'est à cette coïncidence rigoureuse du prévu avec l'effectivement arrivé que se résument en dernière analyse les "tours" du destin. Lequel délivre l'événement lui-même, ici et maintenant, alors qu'on l'attendait un peu différent, un peu ailleurs et pas tout de suite. Telle est la nature paradoxale de la surprise face à la réalisation des oracles, que de s'étonner alors qu'il n'y a précisément plus lieu de s'étonner, le fait ayant répondu exactement à la prévision : l'événement qu'on attendait s'est produit mais on s'aperçoit alors que ce qu'on attendant n'était pas cet événement-ci, mais un même événement sous une forme différente. On croyait attendre le même, mais en réalité on attendait l'autre.
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La joie est un plein qui se suffit à lui-même et n'a besoin pour être d'aucun apport extérieur.
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La coïncidence du réel avec lui-même, qui est d’un certain point de vue la simplicité même, la version la plus limpide du réel, apparaît comme l’absurdité majeure aux yeux de l’illusionné, c’est-à-dire de celui qui, jusqu’à la fin, a misé sur la grâce d’un double. Un réel qui n’est que le réel, et rien d’autre, est insignifiant, absurde, « idiot », comme le dit MacBeth. MacBeth a d’ailleurs raison, sur ce point : la réalité est effectivement idiote. Car, avant de signifier imbécile, idiot signifie simple, particulier, unique de son espèce. Telle est bien la réalité, et l’ensemble des événements qui la composent : simple, particulière, unique – idiotès -, « idiote ».
Cette idiotie de la réalité est d’ailleurs un fait reconnu depuis toujours par les métaphysiciens, qui répètent que le « sens » du réel ne saurait se trouver ici, mais bien ailleurs. La dialectique métaphysique est fondamentalement une dialectique de l’ici et de l’ailleurs, d’un ici dont on doute ou qu’on récuse et d’un ailleurs dont on escompte le salut.
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... il y a dans la joie un mécanisme approbateur qui tend à déborder l'objet particulier qui l'a suscitée pour affecter indifféremment tout objet et aboutir à une affirmation du caractère jubilatoire de l'existence en générale.
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(au sujet de « L’atelier » de Vermeer)

Renoncer à se peindre de face équivaut à renoncer à se voir, c’est-à-dire renoncer à l’idée que le soi puisse être perçu comme une réplique qui permette au sujet de se saisir lui-même. Le double, qui autoriserait cette saisie, signifierait aussi le meurtre du sujet et le renoncement à soi, perpétuellement dessaisi de lui-même au profit d’un double fantomatique et cruel ; cruel de n’être pas, comme le dit Montherlant : « car ce sont les fantômes qui sont cruels ; avec des réalités, on peut toujours s’arranger ». C’est pourquoi l’assomption jubilatoire de soi-même, la présence véritable de soi à soi, implique nécessairement le renoncement au spectacle de sa propre image. Car l’image, ici, tue le modèle. Et c’est au fond l’erreur mortelle du narcissisme que de vouloir non pas s’aimer soi-même avec excès, mais, tout au contraire, au moment de choisir entre soi-même et son double, de donner la préférence à l’image. Le narcissique souffre de ne pas s’aimer : il n’aime que sa représentation. S’aimer d’amour vrai implique une indifférence à toutes ses propres copies, telles qu’elles peuvent apparaître à autrui et, par le biais d’autrui, si j’y prête trop attention, à moi-même. Tel est le misérable secret de Narcisse : une attention exagérée à l’autre. C’est d’ailleurs pourquoi il est incapable d’aimer personne, ni l’autre ni lui-même, l’amour étant une affaire trop importante pour qu’on commette à autrui le soin d’en débattre. Que t’importe si je t’aime, disait Goethe ; cela ne vaut que si l’on accorde implicitement que l’assentiment d’autrui est également facultatif dans l’amour que l’on porte à soi-même : que t’importe si je m’aime.
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Il y a bien quelque chose qui existe et qui s’appelle le destin : celui-ci désigne, non pas le caractère inévitable de ce qui arrive, mais son caractère imprévisible. Il est en effet un destin indépendant de toute nécessité et de toute prévisibilité, indépendant donc de toute manifestation oraculaire […].
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L’ensemble des événements qui s’accomplissent – c’est-à-dire la réalité dans son ensemble – ne figure qu’une sorte de « mauvais » réel, appartenant à l’ordre du double, de la copie, de l’image : c’est l’« autre » que ce réel a biffé qui est le réel absolu, l’original véritable dont l’événement réel n’est qu’une doublure trompeuse et perverse.
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