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3.94/5 (sur 25 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Saint-Malo , 1989
Biographie :

Fabien Clouette est né en 1989 à Saint-Malo.
Il est diplômé de l'Ecole des Hautes études en sciences sociales, professeur de français à l'Université Columbia à New-York.
Il participe à des fictions cinématographiques et littéraires à New York.
Il a une association de production artistique à Lorient "Los Patacones Perdidos y Su Màquina de Escribir". Il a cosigné un essai documentaire sur le Bronx passé dans différents festivals.


Source : L'Express n°3320
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Fabien Clouette - Quelques rides .
Fabien Clouette et son éditeur vous présentent "Quelques rides" aux éditions de l'Ogre. Rentrée littéraire janvier 2015. http://www.mollat.com/livres/clouette-fabien-quelques-rides-9791093606019.html Notes de Musique : ?Porthglaze Cove? (by Gillicuddy). Free Music Archive.

Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Danvé marche sur la couverture d'écorce qui tapisse et orne le parcours de promenade, jusqu'au massif de fougères qui bloque le passage. Il envisage de retourner en arrière un instant, avant de repousser les grandes palmes par bouquets. Laissez-moi me baigner dans les fleuves, dans la légèreté des fleuves et dans vos cuisses, vos muscles, bulles. Une fois que la couche de kaolin aura recouvert les pieds de Danvé et que les sables seront homogènes. Que les ardoises plates et bien découpées seront éparpillées en écailles sur le chemin du retour des baigneurs, et que le lac sera vide. Les marécages en prairies et les poissons qui agonisent, tordus sur le kaolin et sur l'argile et sur les ardoises en écailles. Plus besoin d'appât pour se servir. C'est de la soupe. C'est du bouillon.
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Kopeke rature. Il décrit un hôtel à la place de la maison de retraite qu’il avait d’abord en tête. Un hôtel, à la place de la maison de retraite, fermée pour donner un espace plus rentable à la région. Il y a toujours son meurtre, et le chef, qui n’est plus le même que celui qu’il avait dans les papiers d’avant, est un maigre. Il rêve de l’ancien chef de l’hôtel, qui garde les caractéristiques que les brouillons donnaient au chef de la maison de retraite, toutes les nuits. Il l’incarne et souhaite vider l’hôtel, en tuant. On retrouve des mâchoires cassées sur des draps, ou peut-être plutôt dans la piscine. Puis il rature car il a peur que le lieu ne se prête pas à des meurtres, mais plutôt à des disparitions. Il s’agit d’un hôtel flambant neuf donc, avec des poignées en métal et des portes qui ne grincent pas, malgré leurs ouvertures et fermetures constantes du fait de l’affluence sensationnelle. Il ne sait pas comment gérer la question du luxe des chambres. C’est ce qui se passe à l’extérieur qui doit importer ici. Il faut presque insister sur le jardin, en y creusant une piscine comme ici. Jamais une fenêtre n’est fermée. C’est comme cela qu’il va éviter de décrire les chambres. Peut-être un paravent gris dans la scène finale, ou coloré, pour trancher avec le reste du texte.
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Sur la plage, j'ai demandé à V. si elle avait déjà réfléchi au crime parfait. Le crime parfait, a dit V., c'est l'accident de plongée. Tu remplis qu'à moitié la bouteille de l'autre et tu grées avec un détenteur sans manomètre. Elle a fait une pause et puis elle a éclaté de rire : je n'y avais jamais pensé, je dis ça comme ça me vient. (page é05)
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Qu’on lui objecte que peinture sur merde égale propreté ; qu’il aille repeindre tout ça, la cible. On n’y voit plus les grands ronds dessinés à la craie, les marqueurs. Mais ce qui compte, c’est le bruit des impacts. Il se tient debout entre les deux coques à sec, grattant son mollet droit avec le bec du fusil vidé. On ne compte plus les points, puisque le but est d’effrayer les pies, pas de gagner au chamboule-tout. Elles reviendront, elles seraient capables de manger les moineaux, de colère, si on ramassait les fruits avant qu’ils ne soient mûrs. Il y a un hôtel, posé sur le bout d’un pré, lui-même coupé par les vagues. Dans cet hôtel, géré par Capvrai, personne ne vient jamais. Les clients ne viennent pas passer de temps par ici, encore moins y dormir ou s’y restaurer. Pourtant il y a un restaurant, et, parfois, les employés de l’hôtel y mangent. Il se passe différentes choses dans et autour de l’hôtel. Capvrai souffre d’un drôle de mal. Il incarne, sans s’en apercevoir, son frère décédé quand ils étaient enfants. Il appelle cette incarnation « chef » et lui obéit. Ce qui pourrait le sauver de cette folie, sa relation avec une jeune muette qui fait des travaux à l’hôtel, est une impasse. Dans un duel factice, au crépuscule du matin et à l’issue d’une fête, il la blesse – peut-être mortellement. C’est Tirant d’eau, un médecin sportif alors occupé à surveiller un match de poussins à quelques champs du duel, que Capvrai va chercher pour qu’il constate les faits. Ce dernier n’a rien prémédité, il subit tout. Le plus gros problème qui se pose pour lui est la décision des autorités d’installer un nouvel hôtel sur le terrain voisin. Capvrai, incarnant le chef, a provoqué lui-même cette nouvelle concurrence en s’inquiétant, au cadastre, de la nature du champ. Le premier hôtel ferme. Capvrai, qui, entre-temps, a tué le chef, son frère, pour des raisons de commodités personnelles ou parce qu’il ne pouvait faire autrement, devient le bras droit de Valse, gérant de l’hivernage de la ville, mari paranoïaque et lâche. Il participe aussi aux manœuvres du cimetière marin qui en dépend. Ce dernier est devenu, grâce à ses talents de capitaine acquis lors d’un court embarquement dans la marine marchande, un spectacle naturel pour les touristes. Bouche à oreille. Ceux-ci se pressent désormais dans les environs pour voir les bateaux s’échouer dans la coudée-cimetière. On décide de construire une plateforme sur les falaises, avec vue sur les épaves. Capvrai, obsédé par des souvenirs d’enfance de baignades et de goûters, jaloux du succès du nouvel hôtel – succès dont il est l’un des artisans malheureux – assassine son directeur, Nègue-Chin Devaux, beau-frère de Valse, dans les toilettes du préfabriqué administratif de l’hivernage. Il est jugé mais finalement gracié, après avoir plaidé la folie. On l’a plaidée pour lui. Cette histoire apparaît ici à travers les carnets et les réécritures du médecin Kopeke, en charge de l’expertise psychiatrique de Capvrai le temps du procès, repris, mis en forme et interprétés par Cashon, secrétaire médical ayant presque brillamment réussi l’examen d’entrée à la spécialité psychiatrie en septembre dernier. Si le récit de Capvrai était déroutant et laborieux à prendre en note, Cashon, distrait d’une part par le beurre du sandwich – ce beurre bien trop jaune qu’on tartine par ici – et d’autre part par les bourgeons naissants, prêts à donner des feuilles neuves et propres comme des voitures et qu’on apercevait par la fenêtre du cabinet, a traité les informations avec l’attention que sa fonction requiert : les heures supplémentaires passées au cabinet ne lui ont toujours pas été payées.
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Je le voyais courir un temps derrière les éboueurs et revenir vers le bus en criant qu’il fallait attendre son frère. Quand j’ai connu les chasseurs employés par Capvrai, avant la fermeture de l’hôtel, avant le chantier, on a commencé à se réunir régulièrement, fatalement, au bar, après leurs parties. Pas vraiment un bar si vous voulez, un restaurant avec des tireuses néanmoins. Et j’espérais comme tout le monde que ça ferme, ou qu’il y ait un truc qui tombe sur la tête de Capvrai, qu’il glisse le long des bassins, quelque chose. On en serait pas là docteur, à prendre des dépositions. Ce n’était pas pour moi – j’ai la chance d’avoir trouvé cette position à vos côtés –, mais tout simplement, envers les gars. Je ne connaissais Valse que de vue, parfois sur les terrains ; il venait. Il avait pitié pour Capvrai, pour sa maladie ; il s’ennuyait profondément je crois. Avec Madame Devaux et des livreurs, le petit Pillon. Il y avait aussi la connivence d’avoir vécu sur les bateaux, dormi dans les coques, toutes ces conneries oniriques de la vie de marin. Pas comme vous, je veux dire, ceux qui y passent quelques mois sans vocation et qui reviennent et font tout un plat de l’éloignement, de l’aspect pas naturel d’être pas sur terre, de l’absence des femmes, des quelques rides qu’ils appellent tempêtes. Des pets de lapins. De l’absence des femmes surtout, pas que je fasse une obsession mais forcément, on ne sait plus se comporter après ; je pense. C’est grisant aussi de rentrer et qu’on dise « ils ne sont pas tous rentrés, mais lui il est rentré ». Ce n’était pas la guerre, juste les conditions. Un type mort de je sais plus quoi, rien à voir avec les mois en mer, il serait mort aussi à terre, mais ça participe des mythologies. On imagine qu’un grand poulpe lui a emporté la tête quand ses camarades déchiquetaient au harpon les tentacules. En fait c’est juste qu’on n’avait pas prévu assez de pilules pour son diabète ou sa gorge, et il est mort pendant que les autres jouaient aux cartes ou regardaient la télévision thaïlandaise. Tu rentres, tu jouis du charisme. Mais Capvrai n’était même pas respecté pour ça, il n’était respecté par les gens du coin que parce que ses parents payaient les employés pendant toutes ces semaines sans clients. Et le fils continuait de le faire ; c’était un moyen d’être logé et de disposer de matériel pour la chasse. Alors on pouvait vendre son derrière, comme le gamin, mais enfin, même Valse ne voulait pas de son épouse. Le petit Pillon, si vous voulez mon avis, avait un truc avec les animaux. Moi ça m’a jamais dérangé de tirer sur des biches : elles sont en surpopulation. Et je ne suis pas professionnel ; mais si j’avais dû le faire, je l’aurais fait. Il y a plus de biches que d’hommes au village, c’est certain. On en serait pas là, avec l’attardé.
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Le boomerang finit dans la main de Yasen, et tout est relancé au-dessus des cimes. Au-dessus des miniatures et des bombes qui filent sous la pluie à la vitesse des trains. Ca pourrait être des insectes, des insectes noyés. Il y en a un qui ralentit, un autre qui manque de tomber et qui stoppe. Les autres sont loin, droits comme des brise-lames, la tête froide, qui ne peuvent que regarder les concurrents qui précèdent. Et leurs petites lumières, les compteurs. On rallume les phares sans faire exprès, dans un écart, et on les éteint car c’est la règle. Mais c’est surtout plus beau. Et si on tombe, on tombe. On sera propre sur le goudron et sa pellicule de pluie. Juste quelques ombres bleues et vertes sur le nez et la bouche qui s’effacent après avoir été fixes longuement. Mais on ne tombera pas cette fois. Voilà ce qui court sur la route qu’on ne peut voir que depuis le vol. Et quand il revient de nouveau on y est encore. On est au beau milieu. Au beau milieu de la courbe.
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Trois mois plus tôt, je ne connaissais ni le goût de la cardamome ni la plongée. Tout le monde souriait en disant : ça y est, c’est l’été. Je me souviens que c’était une journée normale au travail. J’avais fait de la manutention. J’avais passé une partie de l’année à agrafer des câbles chez des gens, à agrandir des trous à la tarière et à trimbaler des poteaux. Ce jour-là, le dernier jour de mon contrat, je portais du matériel d’un point à un autre. C’était le premier jour qu’on passait vraiment en plein soleil. Alors qu’on préparait le terrain pour la trancheuse, une collègue nous a fait remarquer qu’un voilier s’était échoué sur un banc. Tous les maçons avaient arrêté leur travail pour regarder longtemps la scène. Deux femmes avaient passé la matinée à faire des relevés de points où on devait enfouir des tubes. La plus jeune avait demandé à faire plusieurs trous pour chercher de la roche. On allait devoir procéder autrement, avec des kilomètres de bétonnage s’il le fallait, parce que tous les trous étaient inondés, sauf celui de la digue. Tous les chantiers devaient renforcer la digue. La patronne disait aux autres planteurs que, de toute façon, toutes les digues étaient bâties sur du sable. Un jour ça s’écroule, il n’y a rien de plus normal pour des grains de sable que de faire craquer des digues. Elle levait les épaules et disait : l’essentiel, c’est de ne pas se faire en plus bouffer par les lichens. Ils rêvent de remplacer la terre émergée par des niveaux de digues. Après l’échouage du voilier, je me souviens avoir bougé, pendant une heure peut-être, des panneaux et des plaques de métal pour cacher les trous. Mais dans ma tête, c’est le trou noir. Je portais des choses sans y penser. Je me refaisais les doublages sur lesquels j’avais travaillé les soirs de cette semaine au studio. Il avait plu chaque fois ; on était restés à l’intérieur pendant les pauses. Une longue scène sans parole. Je ne sais plus pourquoi on l’avait regardée en entier, s’il n’y avait pas de répliques à doubler. Comme j’avais l’esprit ailleurs avec ces doublages pleins la tête, j’ai dû trébucher, faire tomber la plaque sur le bitume et sur une grande flaque. J’ai croisé le regard d’une femme dans un appartement de la corniche, qui a fait un mouvement de recul derrière un rideau. J’ai le souvenir au même moment d’une partie de vêtement totalement trempée au contact de ma peau. Quelque chose de salé, pas de la pluie, qui aurait stagné là. Quand j’étais gosse, je m’amusais à courir le long de la paroi de Rochebonne entre deux lames. Il y avait près de l’éventail de pierre une sorte de traverse. Ils avaient construit la digue comme ça, par un rétrécissement soudain. C’était en descente, puis on débouchait sur des centaines de carreaux de pierre trempés par le sable. Tout le monde le faisait. Tout le monde finissait avec les vêtements trempés. Un jour, il y a quelqu’un, pas forcément un enfant, qui s’est fait emporter par une lame. Les flics ont sorti tous leurs jouets. Parfois, sans que je m’en rende compte, le bruit des pales atomise une partie de mes pensées. Au feu rouge, de nuit, en plein milieu d’un baiser. Je peux être en train de travailler aux chantiers ou au studio de doublage, quelque chose de manuel, n’importe quel contrat d’intérim, de la manutention, avoir les bras enfouis jusqu’aux coudes dans la terre pour paysager des jardins, que j’entends tout à coup les pales tournoyer en tapage comme si ça montait depuis les nappes. Le pire c’est qu’ils n’ont rien trouvé ce jour-là. C’est un promeneur qui a signalé le corps gonflé des jours après. Il paraît que sa ceinture s’était prise dans une cardinale qui ne découvrait qu’aux grandes marées. Il paraît qu’un chien l’a trouvé et joué une bonne partie de l’après-midi avec une chaussure en charpie. Tout le monde en uniforme en train de courir sur le sable après le chien et le pied du noyé. C’est le genre d’images qui revient hanter. Dès qu’on voit un hélicoptère survoler la côte, on y pense. En plus, il y avait toujours des hélicoptères dans les séquences qu’on doublait cette année, et toujours un paquet de personnages qui ne semblaient pas les remarquer. Je me suis relevé et j’ai continuer à porter des morceaux de métal. Le vêtement ne sècherait jamais dans ces conditions. L’eau de mer ne sèche pas. Je me serais changé si j’avais dû aller au studio pour doubler, mais on avait fini les scènes. En vidant les poches du vêtement mouillé, je suis tombé sur le coupon-cadeau. Le logo du centre de plongée était un peu effacé par les plis de la poche et les poussières de sable. Les premiers numéros, ceux de l’indicatif, étaient déjà illisibles. Je me suis dit que si je n’appelais pas maintenant, je n’appellerais jamais. Alors j’ai appelé le centre et j’ai calé une plongée, la première. Je suis tombé sur Randy, que je connaissais du centre de voile, qui m’a dit qu’il faudrait voir avec la monitrice. Il a dit un prénom, quelque chose en V. C’est comme si je ne pouvais retenir que le son vélaire, et ça m’allait bien de ne retenir que ça. Il a dit : tu verras au dernier moment, parce qu’il faudrait s’arranger avec les horaires de l’aquarium. Est-ce qu’on plonge en bassin ? Je ne veux pas plonger en bassin, j’ai dit. Il a ri. Non, mais avec la saison estivale qui commence, on a beaucoup de réservations. C’est plein, mais il y a peut-être des créneaux libres avec la nouvelle monitrice qui plonge dans les bassins, pour les nettoyer. Il a dit : alors je vais appeler l’aquarium pour qu’elle travaille là-bas plutôt la nuit. Je ne comprenais pas. Il continuait : tu plongeras avec elle pendant la journée, comme ça. Viens et vois avec elle. C’est la sœur de Stella. Ensuite, Randy a raccroché. Un petit nuage sorti de nulle part s’est mis à cracher une averse. Dans le ciel il y avait le Samu qui fonçait vers l’océan. J’essayais de le repérer, mais je ne voyais rien. J’entendais juste le bruit du moteur.
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À la place de l’étang qui rassemblait jadis les étudiants entre les bâtiments et le parc, un cloaque réunit quelques crapauds égarés. Je me souviens avoir bu ici beaucoup de cafés avec R. Les bancs sont cassés. Le concierge m’indique un chemin à travers les branchages, qui s’avéraient autrefois être de petits massifs de roses. On devine même sous les couches de mousses et de lichens, quelques gravillons déposés là il y a plusieurs décennies. Au bout du chemin se trouve un monastère, avec les archives de la ville et d’importants travaux de botanique et de littérature effectués par plusieurs générations de prêtres. Les premières salles après le hall sont des dortoirs. Les lits vides et les draps en chiffons n’accueillent plus personne depuis bien longtemps. Le concierge m’explique que l’endroit a été transformé en résidence pour des étudiants tanneurs, avant d’être abandonné complètement au moment de l’épidémie. Au sol, il y a une moquette. Ou plutôt, une couche de poussière assez épaisse pour recouvrir le vieux parquet moisi d’origine. Il y a beaucoup d’ouvrages dans la salle de lecture. J’attrape un tas de feuilles, posé sur un pupitre. « Examen d’entrée / Sujet : Entretien des Jacinthes. » Le texte est un travail d’étudiant, annoté par un professeur. Je repose le dossier comme je l’ai trouvé. Au pupitre de derrière je trouve un travail sur la philosophie du vent et des ouvrages s’y rapportant. Les pas du concierge se rapprochent. Il a trouvé un livre qui traite de mon voyageur. Pavillon de la littérature de voyage, de nombreux travaux, jamais publiés, sont disponibles.
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Et cette nuit-là en particulier était très grise. Il y avait dans l’air et la profondeur la couleur des eaux remuées. Pourtant ça ne bougeait pas en surface depuis des mois. Alors c’était peut-être la densité de l’eau. Il n’y connaissait rien. En soudure, on abandonnait vite la biologie. Alors il restait là à regarder les programmes comme les autres, dans un faux sommeil, avec des mouvements très lents. Pour se mettre en état de travailler les prochaines heures, il imaginait un requin-pèlerin, immobile dans son avancée. Et les poussières et le plancton qui foncent dans les filtres. La grosse bête perdue dans un des coins du delta, marée haute, si bien qu’on voit son aileron alors qu’il a le ventre posé sur le fond. Le temps d’un cycle. Rester et attendre sans attendre. Il s’asseyait sur le strapontin et répétait les gestes. Face aux troncs cassés empilés, les mêmes propositions. Entre les œuvres vives et les œuvres mortes, restent les gestes et les vitesses. Et puis on ouvre le sas comme d’habitude. On fait le travail. Mais justement, à force, il y a des jours où on ne fait pas comme d’habitude et où on fait tout sauter. Et plus tard il y aurait Rockall et les autres explosions. Rockall, une anecdote comme mille autres pour le monde – pour tout le monde sauf lui.
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Un jour, après une plongée avec V., autour de la mi-juillet, j’ai rêvé qu’il me rappelait parce qu’il avait besoin de moi et du break. Je lui disais que Cosmos allait en avoir besoin pour descendre en Espagne. Ponce soupirait et disait qu’il aimerait sans doute bien descendre par là-bas, lui aussi, mais qu’il fallait finir le boulot ici, avant, puis il raccrochait. Mais au lieu de le rejoindre dans les villas, j’allais plonger. Quelque chose comme six mois passaient, sans détails. On ne partait pas dans les îles. V. continuait de m’apprendre à plonger de plus en plus profond dans une eau de plus en plus froide. Ricardo vieillissait. J’avais repris quelques contrats d’intérim, mais mon rêve n’était pas assez précis pour que je sache pour quelles boîtes je travaillais. Un jour, les flics débarquaient à la poursuite de Ponce. Ils avaient trouvé mon numéro sur un morceau de brique de lait en carton qui lui servait de pense-bête et sur un ticket de parking. Je marchais sur la pointe des pieds jusqu’à la porte et je n’ouvrais pas. Les flics repartaient en empruntant l’escalier plutôt que l’ascenseur. Il y avait ensuite une coupure dans le rêve et je me retrouvais en Espagne, à mille lieues de ces histoires de téléviseurs. Une histoire de crique payante, marée haute, un agent qui fait le lien en contrôlant son identité, des touristes qui commencent à s’installer sur des transats sans remarquer l’arrestation, des vaguelettes qui caressent le sable sec. Une maison d’arrêt où fabriquer des petits paniers en tiges de plastique, des écrans allumés qu’on ne regarde pas, un jugement sévère. Je voyais ensuite des panoramas maritimes se recouvrir de nuages qui prenaient la forme de mon visage vieilli. Un des nuages chuchotait : sortir d’un mur pour entrer dans un autre. Le studio vide, la tentation de retourner chercher une TV avec l’hiver qui commence, une course-poursuite sur plus de vingt-cinq kilomètres de voie express, des hélicoptères en rase-mottes avec des caméramans. Le break filait comme sur des rails entre les autres usagers de la route. Puis un discours sur la nécessité de partir en mer pour ne pas recommencer. Des flashs d’un chalutier-usine, puis d’une ligne de ferry avec tous les passagers pris de mal de mer. Juste avant de me réveiller, je voyais un flic prendre quatre des nombreux téléviseurs qui n’avaient jamais été réclamés. Il se paramétrait un home cinéma. Le premier programme était un plan fixe sur l’océan. Le flic disait : il n’y a plus qu’en mer qu’on est bien. Puis je me réveillais.
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