Entretien avec Colombe Boncenne à propos de son ouvrage Comme neige :
Comme neige met en scène Constantin Caillaud, un admirateur éperdu de l’écrivain Emilien Petit. Pourquoi avez-vous choisi d’incarner un homme ?
C’est une position de recul - choisir un narrateur homme d’une cinquantaine d’années (je suis une femme de 34 ans) est un bon moyen de mise à distance.
Suite à la découverte et à la disparition d’un nouveau roman du fameux Emilien Petit, votre héros se lance dans une quête désespérée de ce mystérieux ouvrage. Qualifiriez-vous votre récit de roman policier ? Votre volonté de départ était-elle d’écrire une intrigue au sens policier du terme ?
Policier, non. Comme l’ont écrit mes éditrices, il n’y a « ni crime, ni hémoglobine » dans ce livre, encore moins de commissaires. Comme neige est à la fois un jeu littéraire et une histoire qui prend la forme d’une enquête, celle de Constantin Caillaud à la recherche de Neige noire – la dimension ludique et narrative m’importait beaucoup.
Plus encore que la simple figure de l’écrivain Emilien Petit, vous lui avez également inventé toute une littérature, dont vous détaillez les intrigues et les personnages ainsi que le style. Comment avez-vous créé cette mise en abîme, cette sorte de livre dans un livre ?
Très facile : il m’a suffi de reprendre les idées de romans que j’ai eu envie d’écrire (sans y parvenir), et celles de ceux que j’aimerais écrire. Et il m’est apparu qu’il était beaucoup plus simple d’écrire un roman en trois lignes, qu’en une centaine de pages !
Comme neige met en scène le milieu littéraire contemporain : vous donnez la parole à des figures littéraires comme Antoine Volodine ou encore Patrick Kéchichian. Pourquoi ce choix ?
Je travaille depuis presque quinze ans dans le milieu littéraire. J’ai eu la chance de rencontrer des écrivains et des journalistes - certains sont devenus des amis. Pour pimenter le jeu entre réalité et fiction et faire dialoguer le vrai et le faux, j’ai donc demandé, à ceux à qui j’ai osé parler de mon roman, d’y participer et devenir mes complices en somme.
Nombre d’écrivains que j’admire sont aussi présents dans les exergues de chapitre, et dans quelques références en forme de clins d’œil.
Constantin Caillaud, votre héros, est également l’acteur d’un adultère. Pourquoi avoir également évoqué cette thématique ?
Pour moi ce n’est pas une thématique mais simplement un élément de dramaturgie : ressort classique s’il en est !
Ce roman funambule à la frontière entre fiction et réalité. Dans quel but avez-vous choisi de maintenir une telle hésitation ? En tant que lectrice, appréciez-vous d’être laissée dans le doute en refermant un livre ?
Aucune hésitation, c’est une fiction. Cependant, j’ai voulu créer un trouble, en y mêlant des éléments de réels. Ce trouble, c’est aussi celui du mystère que j’ai laissé au final, très volontairement. En tant que lectrice, ou spectatrice, j’aime beaucoup les fins ouvertes, qui sont autant des pieds de nez de la part de l’auteur que des invitations à continuer – force au lecteur ou au spectateur d’inventer, imaginer... sans fin. Je pense à Sous le sable de François Ozon, La Moustache d’Emmanuel Carrère, ou au Le Voyage d`hiver de Georges Perec. Voyez d’ailleurs le nombre de possibilités offertes par Le Voyage d’hiver qui a donné lieu, après le Voyage d’hier de Jacques Roubaud, à des suites par tous les membres actuels de l’OULIPO. Des centaines de pages (et peut-être bientôt des milliers) sont nées de ce texte bref, c’est génial.
Quel pourrait-être votre Emilien Petit à vous, cet auteur obsédant dont vous pensez tout connaître ?
« Mon » Émilien réunit tous les auteurs qui m’obsèdent et m’accompagnent, il n’y en a pas qu’un. Ce sont ceux qui participent à Comme neige, ceux que je cite, et beaucoup d’autres…
Comme neige est votre premier roman. Comment décide-t-on de se lancer dans l’écriture ? Quel est votre retour sur cette nouvelle expérience ? Avez-vous d’autres projets d’écriture ?
J’avais envie d’écrire depuis très longtemps, mais n’avais jamais réussi à terminer quelque chose. Le jour où j’ai décidé d’écrire l’histoire d’un livre qui n’existe pas, cela est venu tout seul…! J’ai pris un immense plaisir à écrire ce roman, et j’espère désormais terminer beaucoup d’autres livres.
Colombe Boncenne et ses lectures :
Quel livre vous a donné envie d`écrire ?
L’annuaire : tous ces personnages…
Quel est l`auteur qui vous aurait pu vous donner envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Je pourrais vous répondre : l’annuaire. Tous ces personnages, cette concision, quelle efficacité.
Mais certains livres m’impressionnent beaucoup plus, me désarment. Ils sont nombreux à vrai dire. Ceci étant dit, au final, à leur manière, ils font aussi naître un désir d’écriture.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
Il y en a eu énormément et il y en a encore très souvent. J’ai la chance comme je le disais plus haut, de travailler dans le milieu littéraire et de l’édition, la lecture est mon quotidien, et plusieurs fois par an, je découvre des livres et des auteurs formidables.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Je relis rarement les livres in extenso. En revanche, je vis entourée d’ouvrages que je re-feuillette, en fonction de l’organisation des piles de livres chez moi, et des humeurs. En ce moment, je glane des extraits dans les Faits de Marcel Cohen, les Papiers collés de Georges Perros, le A. O. Barnabooth, son journal intime de Valéry Larbaud, ou la Correspondance : 1973-2003 de Frédéric Berthet, par exemple.
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
Madame Bovary. (Je trouve à ce propos que Je n’ai jamais lu Madame Bovary ferait un très beau titre de roman.)
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Là encore, la liste pourrait être longue. Mais je pense à Vers l’abîme de Erich Kästner car je viens de le lire (il reparait ces jours-ci dans une nouvelle traduction). C’est un livre allemand, paru (et censuré) en 1931. Le désespoir de Berlin, lAllemagne, et avec eux celui de toute la société occidentale de cet entre-deux guerres, y transparaît à travers la figure d’un personnage incroyablement brillant, tout aussi drôle que désespéré. C’est magnifique, et tristement contemporain.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Madame Bovary, sans aucun doute !
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
« Et tout le reste est littérature » - Paul Verlaine.
Et en ce moment que lisez-vous ?
J’ai cité plus haut les livres que je feuillette. Je viens de terminer par ailleurs Envoyée spéciale de Jean Echenoz, et Veracruz d’Olivier Rolin. J’ai commencé Défaite des maîtres et possesseurs de Vincent Message.
Entretien réalisé par Marie-Delphine
Découvrez
Comme neige de
Colombe Boncenne aux éditions
Buchet Chastel :

Durant l'automne 2022, les élèves de 4e 1 du collège Fraissinet, à Marseille, ont écrit collectivement une nouvelle, accompagnés par Colombe Boncenne, autrice. Cette nouvelle est en lice pour la 5e saison du concours littéraire Des nouvelles des collégiens. La remise des prix aura lieu pendant la 7e édition du festival Oh les beaux jours ! (24-29 mai 2023).
Lire les nouvelles du concours 2023 :
https://ohlesbeauxjours.fr/des-nouvelles-des-collegiens/ma-classe-ecrit/
_____________________
le projet Des nouvelles des collégiens mené en collaboration avec l'Académie d'Aix-Marseille reçoit le soutien, en 2022-2023, de la Fondation de France @fondationfrance et de la Fondation La Poste @laposte.
_____________________
Retrouvez Oh les beaux jours ! sur :
acebook https://www.facebook.com/festivalohlesbeauxjours
nstagram https://www.instagram.com/oh_les_beaux_jours
witter https://twitter.com/festival_OLBJ
eb http://ohlesbeauxjours.fr
_____________________
Organisation et production : Des livres comme des idées, Marseille.
Coordination du projet : Nina Chastel, Maïté Léal, Émilie Ortuno
Réalisation vidéo : Manon Gary
Graphisme, animation : Benoît Paqueteau
© Des livres comme des idées, 2023
_____________________
#OhLesBeauxJours #OLBJ2023 #concourslittéraire #concoursdenouvelles #collège #collégiens #Littérature #littératurejeunesse #EAC #actionsculturelles #festival #Marseille #Istres #booktube #bookstagram #bookstories #livrestagram #lecture #livre #lire
+ Lire la suite
Formation qui m'avait, contre toute attente, passionnée : il s'agissait, avec des chiffres, de raconter une histoire, celle d'une entreprise, et de la retranscrire dans le grand livre, dont être le maître me donnait le sentiment de détenir la clé d'un grimoire. Le passif, l'actif, les engagements, les provisions, les imprévus, la vie ne résidait-elle pas dans ce type d'écritures ?

J’avais examiné le contenu de la boîte. Il y avait là quelques biographies inutiles, comme celle d’un ancien boucher reconverti en présentateur vedette d’une émission de télévision, intitulée Du bifteck au plateau, des enquêtes prétendument historiques, des romans aux allures vaguement érotiques et au fond, tout au fond du carton, un livre d’Émilien Petit que je ne connaissais pas : Neige noire. Moi qui étais certain d’avoir tout lu de lui, j’avais considéré ma découverte comme un trésor qui allait sauver cette excursion cruxoise.
J’avais consulté les premières pages pour vérifier la date de parution de Neige noire : 2000. Cela devait être un de ses premiers romans qui m’avait échappé. C’était tout de même assez incroyable de ne jamais avoir entendu parler de ce livre et de le trouver ici, dans la maison de la presse de Crux-la-Ville. D’autant plus qu’Émilien Petit incarnait, me semblai-il, une littérature exigeante, dont le public fidèle était un tant soit peu averti (depuis le serveur des Légendes, j’avais un a priori négatif sur les autochtones). (p. 12)
Quelques jours après cet anniversaire, dans une rame de métro bondée, je crus avoir une hallucination : au fond du wagon une femme discutait avec un épi de maïs. Une observation plus précise de la scène me fit comprendre qu’un minuscule appareil portable était coincé entre son oreille et le lainage de son bonnet, en réalité, elle téléphonait tout en grignotant un maïs grillé.
J’avais un peu flâné dans le fond de la boutique, qui faisait également office de papeterie et de librairie, avais farfouillé nonchalamment dans les rayonnages. Parmi les tabloïds vulgaires, les cahiers Le Conquérant aux pages jaunies et l’exemplaire de voyage d’un guide à la couverture verte vantant les merveilles de la région, notamment, comme je l’avais appris en feuilletant rapidement l’ouvrage, « la promenade aux sept lavoirs », j’avais découvert, posé sur un bout de table, un carton rempli de livres neufs, portant une étiquette manuscrite : « Soldes, 2 euros ».

Ce matin, Stefan se réveille comme d’habitude au son de l’alarme réglée à 6h30. Il attrape son téléphone posé sur sa table de nuit en bois acajou, assortie à la tête de lit à laquelle il s’adosse un instant. Il consulte sa messagerie, les réseaux, des données chiffrées envoyées par un client, puis se lève, tire sur les rideaux de velours qui laissent apparaitre, au-delà de la vitre et de la terrasse, une vue imprenable sur la ville. Il rejoint la cuisine dont les spots encastrés s’illuminent à son passage, éclairant les vastes carreaux sombres du plan de travail sur lequel sont entreposés quelques rares éléments dont la cafetière, qu’il allume. Il file à la salle de bain, carreaux un peu plus clairs, douche ou baignoire au choix, le matin c’est douche à l’italienne et multi-jets. Il revient quelques instants plus tard à la cuisine, vêtu d’un de ses costumes, le café est dans la tasse. Dans un placard il trouve une biscotte et le beurre dans le réfrigérateur que jusque-là nous n’avions pas distingué – encastré qu’il est dans sa parure de bois. Depuis une enceinte invisible, une radio égrène des informations. Il ne les écoute pas.
Cet homme qui venait à ma rencontre, car c'était certain, il venait à ma rencontre, il me reconnaissait, cet homme, c'était Émilien Petit.

a voiture est garée dans une rue adjacente ; c’est l’avantage dans ce quartier résidentiel, on peut y laisser sa voiture dehors. Stefan a trouvé une place sans peine hier soir en revenant de son rituel running au bois. Une dizaine de tours de lacs, canards et poules d’eau, suivi d’un parcours balisé entre les arbres, à presque en oublier le tumulte citadin à quelques pas de là. En cette saison automnale, la lumière dorée de fin de journée fait ruisseler la brume mousseuse sur les pierres et rougeoyer les feuilles tombées au sol.
À l’approche de Stefan, qui possède dans sa poche un boîtier de reconnaissance, la voiture émet un bip et les phares clignotent. Il ouvre d’abord la portière côté passager, enlève son imperméable et le place délicatement sur le siège. Contourne ensuite le véhicule, s’installe à la place du conducteur.
Seulement voilà : il ne pose pas les mains sur le volant, il ne pousse pas le bouton pour enclencher le contact, il ne bouge pas.
Ce matin, Stefan Bouké ne démarre pas.
[…] j’éprouvais chaque fois un plaisir mêlé de déception. Quelque chose dans ces romans me touchait beaucoup – une manière de traiter l’amour par l’étrange, de construire des histoires envoûtantes à la frange du vraisemblable -, mais l’essentiel semblait se dérober, s’échapper.
Nous formions désormais un couple de solitaires, que seuls les agacements quotidiens semblaient unir.
En refermant Neige noire, j'éprouvai le sentiment de satisfaction du lecteur fidèle qui retrouve dans le nouveau texte d'un écrivain qu'il aime son style, et dans le cas précis d’Émilien Petit, ses personnages