Il est clair qu'avant tout il faut savoir peindre, et qu'avant tout aussi le spectateur doit être sensible à l'art de la peinture.
Voulez-vous connaître la morale, la politique, lisez les poètes. Ce qui vous plaît en eux, approfondissez-le, c'est le vrai; ils doivent être la grande étude du philosophe qui veut connaître l'homme.
Parmi les peintres contemporains, ceux qui ont le mieux compris cette loi de l'art, sont les paysagistes. Ils savent bien que les prés, les bois, les eaux, si bien représentés qu'ils soient, ne nous donneraient qu'un médiocre plaisir, le plaisir vulgaire d'une imitation exacte, si de ces eaux, de ces prés, de ces bois ne s'exhalait un sentiment que le peintre en fait sortir, on ne sait comment, car c'est là son secret.
Apprends à faire silence. Que ton esprit en paix écoute et absorbe.
On peut dire que la poésie, considérée comme art, n'a jamais été, dès les premiers temps du monde, qu'un effort pour arriver à la précision, et qu'à l'origine les divers genres de poésie ne furent créés que pour enserrer la pensée, pour captiver cette vagabonde et la soumettre à de certaines lois que de clairs et naïfs génies ont d'abord reconnues comme les plus capables de charmer l'esprit.
En général, les Romains étaient moins exclusifs que les Grecs ; ils n'eurent jamais le goût de la pure spéculation, qui seule donne à l'esprit une sorte de jalousie. Leur caractère pratique s'accommodait volontiers de toutes les pensées salutaires, sans s'inquiéter de leur origine. En philosophie , comme à la guerre , ils empruntaient à l'ennemi les armes dont ils avaient reconnu le bon usage.
La corruption et les désastres de l'empire leur donnèrent encore plus d'autorité. Toutes les belles âmes, dégoûtées de la politique, cherchèrent un refuge dans la philosophie, où elles protestaient en silence contre les meurs du siècle et le despotisme impérial. Elles s'y pénétraient de l'esprit du stoïcisme, qui est d'apprendre à bien mourir, et il suffit de parcourir les Annales de Tacite , ce livre des beaux trépas, pour se convaincre que la philosophie soutenait le courage de plus nobles victimes et quelquefois même de ces femmes héroïque qui voulaient , en mourant s'associer à la gloire de leurs époux.
S'il est un art qui semble en droit de ne représenter que la réalité sans rien y ajouter et de se contenter de formes et de couleurs, c'est assurément la peinture, puisque les couleurs et les formes sont le langage qui lui est propre. D'ailleurs l'imitation des choses est une habileté qui nous plaît, et tel objet, que nous ne regardons pas dans la vie journalière, nous amuse quand nous le voyons sur la toile. Néanmoins un tableau dont il ne se dégage pas une pensée, une impression morale quelconque, qui ne nous dit que ce qu'il nous montre, est une oeuvre qui ne peut longtemps nous attacher.
En France, depuis un demi-siècle, l'art, renonçant de plus en plus aux idéales fictions, s'est épris de la réalité et semble avoir aujourd'hui pour principal souci de la décrire avec une minutieuse exactitude et une liberté croissante. Dans cette sorte de peinture, il a passé graduellement du noble au familier, puis au vulgaire, au grossier, à l'ignoble, et finira bientôt, on peut l'espérer, par s'arrêter devant l'inexprimable. Cet amour de la réalité, qui nous choque aujourd'hui par ses licences, n'était pas condamnable à l'origine.
Les yeux ne sont que des instruments de vision derrière lesquels se tient un esprit qui regarde au travers et qui veut se repaître, et s'il ne trouve pas d'aliment dans cette peinture, il ne tardera pas à diriger ailleurs ces instruments dociles qui sont tout à son service. C'est l'esprit qui est le vrai maître, c'est lui qu'il faut contenter.