Avant de livrer une bataille, l'Empereur recommandait toujours que dans le cas où il serait blessé, on prît toutes les précautions pour en dérober la connaissance aux troupes. "Qui sait, disait-il, quelle horrible confusion ne produirait pas sur une semblable nouvelle ? A ma vie se rattachent les destinées d'un grand empire. Souvenez-vous-en, Messieurs, et si je suis blessé, que personne ne le sache, si c'est possible. Si je suis tué, qu'on tâche de gagner la bataille sans moi ; il sera temps de le dire après."
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Quant à moi, je ne tairai point le sentiment pénible que j'éprouvai la première fois que je sortis dans Paris, et que je traversai les promenades publiques à mes heures de loisir ; je fus frappé de la quantité extraordinaire de personnes en deuil que je rencontrai , c'étaient des femmes, des soeurs de nos braves moissonnés dans les champs de la Russie, mais je gardai pour moi cette pénible observation.
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On a beaucoup parlé de la maladresse de leurs premiers courtisans, très peu habitués au service que leur imposaient leurs nouvelles charges, et aux cérémonies de l'étiquette ; mais on a beaucoup exagéré là-dessus, comme sur tout le reste. Il y eut bien, dans le commencement, quelque chose de cet embarras que les gens du service particulier de l'Empereur avaient éprouvé, comme je l'ai dit plus haut. Pourtant cela ne dura que fort peu, et messieurs les chambellans et grands officiers se façonnèrent presque aussi vite que nous autres valets de chambre. D'ailleurs il se présenta pour leur donner des leçons une nuée d'hommes de l'ancienne cour, qui avaient obtenu de la bonté de l'Empereur d'être rayés de la liste des émigrés, et qui sollicitèrent ardemment, pour eux et pour leurs femmes, les charges de la naissante cour impériale.
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Je me souviens d'une autre chasse qui eut lieu vers la même époque, dans la forêt de Saint-Germain, et à laquelle l'Empereur avait invité un ambassadeur de la sublime Porte*, tout nouvellement arrivé à Paris. Son Excellence turque suivit la chasse avec ardeur, mais sans déranger un seul muscle de son austère visage. La bête ayant été forcée, Sa Majesté fit apporter un fusil à l'ambassadeur turc pour qu'il eût l'honneur de tirer le premier coup ; mais il s'y refusa, ne concevant pas sans doute quel plaisir on peut trouver à tuer à bout portant un pauvre animal épuisé, et qui n'a même plus la fuite pour se défendre.
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*porte d'honneur monumentale du grand vizir à Constantinople, siège du gouvernement du sultan de l'Empire ottoman.
On ne comprend pas que des hommes se soient mis jusqu'à la bouche dans une eau chargée de glaçons, ramassant tout ce que la nature leur avait donné de force, tout ce que l'énergie du dévouement leur laissait de courage pour enfoncer des pieux à plusieurs pieds dans un lit fangeux ; luttant contre les plus horribles fatigues, éloignant de leurs mains d'énormes glaçons qui les auraient assommés et submergés de leur poids ; en un mot, ayant guerre, et guerre à mort avec le plus grand ennemi de la vie, le froid. Eh bien, c'est ce que firent nos pontonniers français. Plusieurs périrent entraînés par les courants ou suffoqués par le froid. C'est une gloire, ce me semble, qui en vaut bien d'autres.
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La chasse dura près de deux heures, pendant lesquelles environ soixante cerfs et chevreuils furent tués. L'espace que ces pauvres animaux avaient à parcourir était fermé par des toiles, de sorte que les monarques pouvaient les tirer à plaisir, sans se déranger assis aux croisées du pavillon. Je n'ai jamais rien trouvé en ma vie de plus absurde que ces sortes de chasse qui donnent pourtant à ceux qui les font la réputation de tireurs habiles. La grande adresse, en effet, que de tuer un animal que des piqueurs vont, pour ainsi dire, prendre par les oreilles, pour le placer en face du coup de fusil !
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On a beaucoup parlé de la maladresse de leurs premiers courtisans, très peu habitués au service que leur imposaient leurs nouvelles charges, et aux cérémonies de l'étiquette ; mais on a beaucoup exagéré là-dessus, comme sur tout le reste. Il y eut bien, dans le commencement, quelque chose de cet embarras que les gens du service particulier de l'Empereur avaient éprouvé, comme je l'ai dit plus haut. Pourtant cela ne dura que fort peu, et messieurs les chambellans et grands officiers se façonnèrent presque aussi vite que nous autres valets de chambre. D'ailleurs il se présenta pour leur donner des leçons une nuée d'hommes de l'ancienne cour, qui avaient obtenu de la bonté de l'Empereur d'être rayés de la liste des émigrés, et qui sollicitèrent ardemment, pour eux et pour leurs femmes, les charges de la naissante cour impériale.
L'Empereur se plaisait à le [Corvisart] taquiner en parlant de la médecine, dont il disait que ce n'était qu'un art conjectural, que les médecins étaient des charlatans, et il citait ses preuves à l'appui, surtout sa propre expérience. Le docteur ne cédait jamais quand il croyait avoir raison. (...) M. Ivan, chirurgien ordinaire, avait, aussi bien que M. Corvisart, sa bonne part de critiques et de médisances contre son art. Ces discussions étaient fort amusantes ; l'Empereur y était très gai et très causeur, et je crois que quand il n'avait pas d'exemples sous la main à citer à l'appui de ses raisons, il ne se faisait pas scrupule d'en inventer. Aussi ces messieurs ne le croyaient-ils pas toujours sur parole.
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"M. de Bourienne a peut-être raison de traiter avec sévérité l'homme politique ; mais ce point de vue n'est pas le mien. Je ne puis parler que du héros en déshabillé ;
Sa Majesté ne se fit point connaître ; elle aimait, en répandant ses bienfaits, à garder l'incognito. Je connais dans sa vie un grand nombre d'actions semblables à celles-ci. Il semble que ses historiens aient fait exprès de les passer sous silence, et pourtant c'était, ce me semble, par des traits pareils qu'on pouvait et qu'on devait peindre le caractère de l'Empereur.
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