Coralie Trinh Thi présente son dernier livre: "Osez une leçon de fellation"
Interview de
Coralie Trinh Thi, à l'occasion de la sortie de son dernier livre: Osez une leçon de fellation, aux éditions
La Musardine.
"Après mon orgasme, il s'est retiré. J'ai déstesté qu'il s'arrête, alors qu'il voyait bien que j'avais envie qu'il me baise encore. Plus tard, je comprenais différemment: il devait m'enseigner quelque chose sur mon corps, il l'avait fait, rien de plus...
J'avais pourtant cru voir dans ses yeux que le plaisir qu'il me donnait le brûlait aussi."
Le seul respect est le respect du choix de l'autre. Sans jugement: car c'est le comble de la stupidité et de la prétention, de se croire plus apte qu'un autre à juger ce qui est bon pour lui
Pornostar, c'était certainement orgueilleux, mais pas prétentieux. L'orgueil, c'est être fier de ce qu'on est, croire en ce qu'on peut faire et demander le meilleur de soi. La prétention, c'est prétendre être ce qu'on n'est pas, truquer son image. L'orgueilleux s'interdit la médiocrité, le laisser-aller, il s'impose une exigence. Le prétentieux est lâche et s'autorise toutes les bassesses...du moment qu'il fera illusion et qu'on ne le prendra pas.
On n'a jamais tant de pouvoir qu'agenouillee devant un homme.
"J'ai donc ravalé mon orgueil. Il était trop tôt pour lui dire que je faisais du porno tout simplement pour faire du porno. Est-ce que tu comprends que je jouis jusqu'à l'évanouissement? Même en limitant à la photo de charme, comment lui parler du plaisir exhibitionniste? On ne peut pas dire ce genre de choses à sa mère de coeur..."
"Une vie facile, c'est à dire, normale ? Putain mais pour rien au monde je n'aurais changé ma vie avec celle de quelqu'un d'autre. L'idée ne m'avait même jamais effleurée, car tout simplement, sans mon passé, je ne serais pas moi. Et j'aimais être moi. Ce n'était pas qu'être moi soit objectivement mieux qu'être quelqu'un d'autre, ou que je trouve cela formidable, mais pour moi, c'était le mieux d'être moi, oui, la question ne se posait même pas. Tous les autres étaient pris, d'ailleurs. N'était-ce pas évident ? Comment pouvait-on désirer être quelqu'un d'autre que soi, au lieu de s'appliquer à devenir le meilleur soi possible ?"
Je le rendais fou. Il adorait mon corps, m’embrassait et me
buvait pendant des heures, sa bouche, sa langue étaient faites
pour mes lèvres.
Du bas. J’adorais être léchée, longtemps.
J’apprenais à contracter mes cuisses et mon bassin, pour
augmenter le plaisir : les sensations changeaient de couleur, le plaisir se diffusait dans des zones inconnues. Je possédais des muscles et des nerfs dont je ne soupçonnais pas l’existence,et je les explorais comme un pays des merveilles
L’hétérosexualité n’est pas un lieu de plaisir pour les femmes. C’est un lieu où elle ne peut se vivre que comme victime. Si elle l’oublie – alors on le lui rappellera. Et c’est aussi cette histoire de sa sexualité que Coralie raconte dans le détail – le prix exorbitant qu’on réclame aux jeunes filles qui ont fait ce qui ne se fait pas, et qui y ont pris du plaisir. Alors elle écrit – elle compose ce texte monument, reprend le contrôle de la narration, redessine l’enlacement des trajectoires, réaffirme sa primauté sur sa subjectivité – car la littérature est bien sa maison, l’endroit où tout se reconstruit, se reforme, l’endroit de la complexité, de l’intelligence et de l’humour – et du dernier mot. Le lieu où ne lui est plus demandé d’être ça en raison de sa naissance, de se catégoriser, de se couper en deux, de choisir là où elle ne désire pas choisir. Le lieu de tous ses désirs, finalement. Je connais tellement bien Coralie. Notamment celle qui a écrit ce livre, quelques années après qu’on a réalisé Baise-moi . Je me sens tellement proche d’elle que c’est difficile d’écrire cette préface. Dans tous les fils qu’elle tresse et déroule et assemble – il y a un fil qui est celui de notre amitié. J’ai connu Coralie à cette fameuse époque où les téléphones avaient encore des fils. La conversation se coupait au bout de trois heures. Je le sais parce que ça nous est souvent arrivé. Nous passions la journée ensemble sur le film et le soir on s’appelait et on se parlait assez longtemps pour être coupées. Alors on se rappelait, et on rigolait. On avait beaucoup de choses à se dire. Même et aussi parce qu’on n’était pas d’accord sur tout. Ça me fascinait de connaître une fille avec qui j’avais autant en commun. On ne se ressemblait pourtant pas du tout – mais on vivait sur la même planète. Je l’aimais. Je ne l’aimais pas genre quel dommage que je n’ai pas été lesbienne à l’époque j’aurais pu la poursuivre de mes assiduités je l’aimais genre dommage c’est une des plus belles histoires que j’ai eues dans ma vie cette entente, exactement comme elle était. Avec toute la douleur et la brutalité qu’a été Baise-moi et avec toute la douleur et la brutalité que ça veut dire une histoire pareille quand ça perd en intensité et en évidence et qu’il faudra continuer sa vie séparée de l’autre.
Malgré toutes ces épreuves, savoir lire était un cadeau du
ciel, une inaltérable source de plaisir : je dévorais tout ce qui
me tombait sous la main.
Plusieurs Bibliothèque rose par jour pendant les vacances, puis verte, puis les livres qui n’étaient pas de mon âge avec encore plus de plaisir. Je lisais en marchant
dans la rue, indifférente aux passants et aux poteaux contre
lesquels je me cognais, je lisais sous la table pendant les cours,
je lisais pendant les récréations.
On me sermonnait parce que
je manquais de me faire écraser régulièrement. J’étais certainement une petite fille étrange, mais heureuse.
On dit que la lecture permet de
s’évader , de fuir la réalité :au contraire, j’y découvre de nouveaux mondes, de nouvelles
dimensions humaines qui me permettent de voir et de
comprendre la réalité avec une conscience élargie.
Et puis,ce que je lis existe autant pour moi que ce que je vois, ou vis.
Betty respecte les enfants. Parce qu’ils savent voir, encore épargnés par les certitudes nauséabondes et la peur. Parce qu’ils ont soif de comprendre, parce que pour chacun d’eux, tout est encore possible. C’est plus tard que ça se gâte...Les mômes frappent au cœur de la vérité et questionnent toutes les évidences, obstinément. Un genre de danger intellectuel permanent, déconstruire et déstructurer ce qui est accepté aveuglement, pourquoi il fait toujours jour après la nuit, pourquoi il faut travailler, pourquoi on se marie, pourquoi on meurt, comment, pourquoi, pour quoi faire ? C’est un défi de chaque instant de ne pas répondre « parce que c’est comme ça », et de se torturer la tête pour explorer les croyances et les réponses envisageables. C’est dingue ce qu’on peut apprendre des enfants.