Chez Corinne Hoex, il est souvent question d'assujettissement, d'emprise sur les plus vulnérables et de rébellion.
Rompant quelque peu avec son univers habituel, il ne s'agit pas ici de l'univers familial mais d'un genre de confrérie féminine en quête de sens.
Corinne Hoex nous offre avec « Le ravissement des femmes » un roman troublant, sur la puissante fascination qu'un orateur, au charme redoutable, exerce sur des femmes qui ne demandent qu'à être ravies...
Tu m’enseignais jadis les matins qui se levaient tôt et déposaient l’or dans la bouche. Mais mon existence s’est réfugiée dans la nuit, comme celle des êtres qui n’ont plus droit à la lumière, les vampires, les goules, les stryges, les créatures bannies qui ne boivent plus l’or des jours.
Soudain, il est sur moi.
Ses poings cognent,
me martèlent la tête.
Ses poings enjoignent
que je sois muette,
sourde, aveugle,infirme.
Ses poings commandent
que je sois sans passé.
Sans mémoire. Sans enfance.
Ses poings exigent
que je ne vive pas.
Jusque là, j'étais étanche. L'urine, je la contrôlais. Comme la morve, les larmes, les mensonges. Il suffit de congestionner le visage, d'enfermer dans la tête les mauvaises pensées, de serrer les sphincters. Mais le sang est intraitable. Il rompt toutes les digues. Dans mon lit, bien droite, les pansements de ma mère me colmatant le derrière, je subis sans bouger la démence de ce flot rouge.
Après plusieurs jours, la fureur s'apaise. Avec la même étrangeté, le même arbitraire qui l'ont déclenchée. Pourtant une nuit, ça recommence. Puis ça s'arrête. Puis ça reprend. Un chagrin intarissable se répand dans mon ventre.
J'observe le jeu des enfants qui courent dans les flaques en poussant devant eux leur filet à crevettes et le jeu des adultes trônant dans leurs transats au milieu d'un lopin balisé de toiles rayées. Le losange rouge d'un cerf-volant palpite là-haut. Une fillette devant sa cabine a dressé dans le sable son magasin de fleurs et, les sourcils plissés par la lumière, s'affaire à défroisser le papier des corolles, éprouver la rigidité des tiges, vérifier l'écartement des étamines, soucieuse que l'étalage soit irréprochable pour le client qui la visitera.
Rien ici ne connaît l'angoisse de vivre. La menace terrible de l'amour.
Tu étais maigre comme une lame. La voix coupante. Les yeux précis. Un homme de proie. Je guettais cette tension de ta face.
Lorsque j'étais enfant, ton piège à tout moment se fermait sur moi. Dans ton regard passait une lueur de triomphe:" Es-tu certaine de n'avoir rien oublié?" Un ton cinglant, diabolique.
Page 79 :
Une ceinture rouge que je t'ai vue porter dans ta jeunesse. Ornée de cabochons. Je te revois : ta jupe en pied-de-poule, tes escarpins à talons hauts en cuir grenat et cette ceinture. Je t'aimais. Tu étais ma maman.
17.
traversée interdite
le bruissement de satin
séquestré par la nuit
le fleuve lentement bouge
dans son fourreau d'argent
sur l'eau
que le vent fourbit
dans son miroir obscur
la nuit dévêtue
La porte en chêne cède et se referme. Elisabeth attend dans une vaste salle. Devant elle, le visage barbu aux yeux mauves est placardé sur un panneau. Le même exactement que celui qu'elle a vu quelques jours plus tôt dans un magazine, mais agrandi ici de deux mètres sur deux. (...)
Elisabeth retrouve l'émotion qui l'a saisie en découvrant l'annonce. Le visage émergeant de l'obscurité. Le regard fiévreux. Le sourire énigmatique. Les cheveux argentés. La barbe sombre. Les yeux d'un bleu profond, presque violets.
elles sont les sacrifiées
saignées aux quatre veines
celles qui t'éduquent portes fermées
serpillières dans les coins
récurage des chiottes
nettoyage de printemps
Alors le massacre…
Alors le massacre.
Le massacre enfin.
Corrigée. Forcée.
Et jamais absoute.
Lustres. Porcelaines. Fourchettes d’argent.
Et jamais absoute.