Corinne Jacquemin

- Tu te souviens de ces volontaires qui se sont faits implanter une puce qui augmentait la mémoire ?
- Naturellement c'est pourquoi je ne veux pas entendre cette expression "augmenter".
- On pensait que ce serait un mieux-être pour les Alzheimer, pour les étudiants, pour l'apprentissage. (..) L'idée en soi aurait pu être astucieuse mais les gens sont devenus fous. Ils arrachaient la puce au bout de trois mois. Tout s'inscrivait dans cette mémoire : les rêves, les souvenirs, les réussites mais aussi les échecs, les traumatismes. (...) nous avons le droit à l'oubli, nous avons le droit aux modifications de notre corps et dans notre tête sans que tout soit répertorié, en conscience.

Ce n’est pas si compliqué à comprendre. Il est difficile d’aller à l’encontre. Difficile de ne pas constater la réalité. Se savoir de trop. Peser sur la société. Depuis que je suis faible, on me regarde de travers. Tant que j’avais la santé je ne sentais pas l’opprobre à vieillir. Aujourd’hui c’est insupportable. Pourquoi irais-je à contre-courant ?
(p. 24, “Justine à la maison de repos”).

Ça fait 20 ans qu'on travaille sur le genre. Ça fait 20 ans que l'on a compris qu'on peut être féminin dans son corps et masculin dans sa tête, et vice-versa. Ça fait 20 ans bientôt qu'on peut déterminer son pourcentage de féminin et de masculin. J'entends scientifiquement parlant. Que cela a des incidences, bien sûr sur le comportement, mais aussi sur la réaction à certains traitements, bien sûr aussi sur la sexualité. (...) certains veulent que ce soit inscrit dans ton parcours de vie et de santé, d'autres le refusent catégoriquement.
(...)
Ils n'ont pas fini de se quereller parce que le problème c'est que "Masculin Féminin Pourcentage" varie au cours de ta vie et qu'il est bien dangereux de fixer le critère à un moment précis.

- Sans parler de l'humanité entière, pour toi tout seul, imagine le confort que cela t'apportera que je disparaisse : avantages fiscaux, "remise de peine" sur ta retraite, d'un temps dont tu sauras profiter. (...) Est-ce si difficile à accepter ?
Kévin comprit la détermination de sa mère et sa voix se brisa :
- Pour en faire quoi ? Si la vie ne se construit plus de nos anciens vers les jeunes générations ? Si la société n'admet plus que l'eugénisme. Si la vieillesse ne représente plus qu'un fardeau, un coût ou un revenu, et non un apport de connaissance et une empathie pour le devenir humain ?

un classement à l'image de celui qui concerne les mesures d'énergie dans les habitations, indice de CO2 et compagnie. Ta lettre indique ton état de santé de A à H, mais aussi ton classement par rapport à tes revenus ; ce que tu coûtes, la valeur de ton patrimoine et ce dont pourrait bénéficier tes descendants - réduction de durée de travail, abattement ou crédits d'impôts si tu appliquais "le Programme".

Je suis troublée par la naissance du jour, du spectacle que je me suis offert de vivre ce matin, du soleil qui surgit et que je me surprends à vénérer, bien plus digne d'adoration que ce "Dieu" à qui l'humanité se réfère et qui la divise. Lui, l'astre, sans contestation possible donne la vie, à la terre entière.

"Mais viens donc t'asseoir près de moi, c'est incroyable comme on garde de la distance avec les vieux !"
- Pas moi Mouche, tu exagères !
- Peut-être pas toi mais on n'est plus bonne qu'à être piquée, saignée, palmée, ça m'agace, ça m'agace !