"Un des plus cruels abus du luxe qui nous a longtemps dévoré, était la manie des riches de promener leur inutilité dans de vastes appartements", proclament les révolutionnaires genevois en août 1794. Au-delà de leur caractère outré, caractéristique du régime de Terreur qui règne alors sur la ville, ces mots sont particulièrement significatifs du privilège que représente le fait de disposer d'un large espace. C'est bien un des premiers signes de richesse, un luxe d'autant plus manifeste dans une cité étroitement enserrée dans ses remparts. Pourtant, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle aucune restriction n'est mise à l'appropriation de l'espace.
"Plus nos enfants et notre peuple s'accoutumeront à une vie frugale et modeste, plus ils seront contents de leur état, et plus ils se montreront dociles à vos ordres". C'est dans ces termes qu'est justifiée, en 1725, la critique du luxe exprimée par le Consistoire à l'adresse du Petit Conseil, gouvernement de la République de Genève. Dans cette perspective, la simplicité des mœurs apparaît comme garante de la soumission à l'autorité et les dépenses excessives sont perçues comme une source de désordre.
(Les lois somptuaires ou le rêve d'un ordre social).
Le luxe est un concept flou qui varie dans le temps et dans l'espace. Bien que couramment employé, ce mot échappe à toute définition tant il mêle les questions morales, politiques, sociales et économiques dans un amalgame vague et parfois contradictoire. Le terme lui-même n'apparaît dans les dictionnaires de la langue française qu'au début du XVIIe siècle, comme synonyme de superfluité.