Citations de Cormac McCarthy (951)
Comment saurait-on qu'on est le dernier homme sur Terre ? dit-il.
Je ne crois pas qu'on le saurait. On le serait, c'est tout.
Personne ne le saurait.
Ça ne ferait aucune différence. Quand on meurt c'est comme si tout le monde mourait aussi.
Je suppose que Dieu le saurait. N'est-ce-pas ?
Il n'y a pas de Dieu.
Non ?
Il n'y a pas de Dieu et nous sommes ses prophètes.
Les cicatrices ont le pouvoir étrange de nous rappeler que notre passé est réel.
On dit que les femmes rêvent de dangers qui menacent ceux dont elles prennent soin et les hommes des dangers qui les menacent eux-mêmes.
On oublie ce qu'on a besoin de se rappeler et on se souvient de ce qu'il faut oublier.
Là où les hommes ne peuvent pas vivre, les dieux ne s'en tirent pas mieux.
Partout les morts momifiés. La chair fendue le long des os, les ligaments desséchés réduits à l’état de lanières et tendus comme du fil de fer. Leurs visages de drap bouilli ratatinés et rétrécis comme jadis les trolls des marais, les palissades jaunies de leurs dents. Ils étaient tous déchaux jusqu’au dernier comme des pèlerins d’un ordre inférieur car toutes leurs chaussures avaient été depuis longtemps volées.
Pendant tout le temps que tu passes à essayer de reprendre ce qu'on t'a pris y a encore un peu plus de choses qui te filent entre les doigts.
Le froid et le silence. Les cendres du monde défunt emportées çà et là dans le vide sur les vents froids et profanes. Emportées au loin et dispersées et emportées encore plus loin. Toute chose coupée de son fondement. Sans support dans l'air chargé de cendre. Soutenue par un souffle, tremblante et brève.
Si seulement mon coeur était de pierre.
Les gens durs font les temps durs. J’en ai tant vu de la méchanceté des hommes que j’me demande pourquoi le bon Dieu a pas éteint le soleil et a pas fichu le camp.
Autrefois il y avait des truites de torrent dans les montagnes. On pouvait les voir immobiles dressées dans le courant couleur d’ambre où les bordures blanches de leurs nageoires ondulaient doucement au fil de l’eau. Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main. Lisses et musclées et élastiques. Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. D’une chose qu’on ne pourrait pas refaire. Ni réparer. Dans les vals profonds qu’elles habitaient toutes les choses étaient plus anciennes que l’homme et leur murmure était de mystère.
L’homme empila les couvertures par-dessus le caddie et rattacha la bâche puis il regarda longuement le petit.
Qu’est-ce qu’il y a ? dit le petit.
Je sais que tu croyais qu’on allait mourir.
Ouais.
Mais on n’est pas morts.
Non.
D’accord ?
Je peux te demander quelque chose ?
Bien sûr.
Si on était des oiseaux on pourrait voler assez haut pour voir le soleil ?
Oui. On le pourrait.
C’est ce que je pensais. Ça serait vraiment chouette.
Là où les hommes ne peuvent pas vivre, les dieux ne s'en tirent pas mieux.
Il sortit dans la lumière grise et s'arrêta et il vit l'espace d'un bref instant
l'absolue vérité du monde. Le froid tournoyant sans répit autour de la terre
intestat. L'implacable obscurité.Les chiens aveugles du soleil dans leur course.
L'accablant vide noir de l'univers. Et quelque part deux animaux traqués
tremblant comme des renards dans leur refuge. Du temps en sursis et en monde en
sursis et des yeux en sursis pour le pleurer.
Ils firent quelques pas le long du croissant de lune de la plage, restant sur le sable mouillé au-dessous de la ligne de varech des marées. Ils s’arrêtèrent, leurs habits claquant doucement dans le vent. Des flotteurs de verre recouverts d’une croûte grise. Les os d’oiseaux de mer. Sur la ligne de laisse un matelas d’herbes marines enchevêtrées et le long du rivage aussi loin que portait le regard les squelettes de poissons par millions comme une isocline de mort. Un seul vaste sépulcre de sel. Insensé. Insensé.
La miséricorde est le domaine de l’individu seul. Il y a des haines collectives, il y a des deuils collectifs. Des vengeances collectives et même des suicides collectifs. Mais il n’y a pas de pardon collectif. Il n’y a que toi.
Si le monde n'est qu'un récit qui d'autre que le témoin peut lui donner vie?
Le noir dans lequel il se réveillait ces nuits-là était aveugle et impénétrable. Un noir à se crever le tympan à force d'écouter.
Autrefois il y avait des truites de torrent dans les montagnes. On pouvait les voir immobiles dressées dans le courant couleur d'ambre où les bordures blanches de leurs nageoires ondulaient doucement au fil de l'eau. Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main. Lisses et musclées et élastiques.
Ce que le petit venait de voir c'était un nourrisson carbonisé décapité et éviscéré en train de noircir sur la broche.
On ne sait jamais ce que notre malchance nous a épargné de pire.