Écrivain normand, David Coulon salue la Galerne et présente son nouveau roman Biotope qui vient de paraître aux éditions Cosmopolis.
C'est comme pour le climat... Il y a eu des incendies, des tempêtes.
Des émeutes de la faim.
L'eau qui venait à manquer.
C'était pas un jeu, tout s'accélérait à une cadence infernale et tout le monde s'en fichait, se mettait des œillères.
[...] Des jeunes qui ne veulent plus de cette fuite en avant.
On a tout essayé.
Parler.
Couler nos mains dans le béton.
Asperger des œuvres d'art avec du ketchup.
S'enchaîner devant des multinationales.
Tout et n’importe quoi.
Aucun résultat.
Personne n'écoute.
Vous continuez.
Les jardins secrets sont des cimetières dans lesquels nous enfouissons nos cadavres.
INSOMNIE. JE PENSE À TOI. J’ESPÈRE QUE TU VAS BIEN. QUE TOUT S’EST BIEN PASSÉ. JE T’AIME. M.
Oui.
Tout s’est bien passé à Lille.
Entretien nickel.
Retour sans encombres.
Personne sur la route.
Ah si. Il y a eu une femme. Une femme que j’ai butée, mais c’est tout. À part ça, RAS. Elle attend sagement dans le coffre de ma voiture, mais elle va se tenir tranquille, t’inquiète, pas de souci.
Je coupe mon portable.
Je voulais vous présenter mes condoléances, mais je trouve ça un peu pompeux, pour tout vous dire. Ce terme. Un mot prémâché, préparé à l'avance. Pas besoin de réfléchir ou de ressentir quoi que ce soit. On a ce mot alors on dit ce mot. Je n'aime pas ça... Je préfère vous assurer de mon soutien. C'est ce que j'ai envie de vous dire. C'est ce que je ressens.
La vie, ta vie, c'est cette grande pièce ouverte, avec tout, ou presque, à portée de main. […] Ce que tu as construit est là, devant toi. Conjoint, enfant, amis, loisirs, travail. Tu es dans cette pièce, tu vis dans cette pièce. Quand la pièce te semble trop étouffante, tu t'enfuis. Sinon, tu y restes. Tu ne sais même pas qu'il est possible d'ouvrir la porte, et de bâtir ailleurs. En revanche, ce que tu sais, c'est qu'il y a un rideau rouge, là, au fond. Un foutu rideau tiré sur ce qui semble être les coulisses de ta pièce. Les recoins un peu cachés, honteux, de ta vie ou de tes pensées. On peut lire en toi comme dans un livre ouvert, mais personne ne connaît les paragraphes honteux, barrés, gommés, jetés à la corbeille. Tes pensées inavouables, tes désirs immoraux sont cachés derrière ce fichu rideau rouge. Le rideau te dit : « Ok, tu penses ça, ça et ça, mais je garde tout ce bordel bien planqué, hein, faut que personne ne le sache, et surtout, il ne faut pas que TU le fasses. » C'est le lieu des fantasmes, des interdits. Un psychanalyste dirait que c'est le lieu du Ça.
La vie, c'est cette grande pièce ouverte avec un rideau rouge au fond, et tu n'as qu'une envie, c'est d'ouvrir ce rideau rouge, car rien n'est jamais plus attirant qu'un interdit.
Il n'y a que des victimes et des bourreaux sur cette Terre, crois-moi.
Et les uns comme les autres ne cherchent qu'à fuir.
Pour rechercher leur part manquante.
(p. 17)
Il arracha la redingote de la clocharde. Découvrit un torse décrépit par les ans, creusé, jauni. La vieille ne portait pas de soutien-gorge, Luc vit deux petits seins flasques, pendant comme deux filtres à café usés par le passage de l'eau chaude. Il posa les mains sur son torse, cherchant son coeur. Il entreprit le massage cardiaque. Fit le décompte. Se rappela qu'au bout du décompte, il devait faire du bouche-à-bouche à la vieille. Poser sa bouche à lui sur cette bouche dégoulinante de sang.
C’était un couloir sombre. L’archétype du couloir que craignent les petits enfants lorsqu’ils sont encore à l’âge auquel on croit aux fantômes et aux sorcières. Un couloir de pierre, sans lumière, aux murs suintant l’humidité. Un couloir sans fenêtre, ne menant que dans une seule direction. — Sorcières ou pas, il va bien falloir y aller, murmura Luc pour se donner du courage. Il serra fort les manches du petit couteau et du hachoir qu’il tenait dans chaque main et avança dans le boyau étroit. Le couloir semblait interminable. Le sang frais des deux clochardes coulait de son hachoir, il laissait des traces à chaque pas. Il serait aisément repérable, mais il n’avait pas le choix, il fallait qu’il avance. Au bout d’une trentaine de mètres, le couloir faisait comme un coude, sur la droite. Il y avait de la lumière. De la lumière et du bruit. Des voix. Il serra les deux armes un peu plus fort, se plaqua contre le mur, et avança lentement, essayant de se faire le plus discret possible, tout en saisissant des bribes de conversation. Mais les voix étaient lointaines. Il devait y avoir d’autres clochardes, comme celles qui l’avaient attaqué au-dehors, et celles qui voulaient le découper. Il bondit dans le coude, les deux armes à la main, prêt à égorger quiconque se trouverait face à lui. Personne.
Tu chasses le cauchemar dans lequel tu te débattais. Le DRH, celui que tu as buté, celui qui est marié, deux enfants aux dents blanches impeccables, ce DRH-là était en train de te sodomiser avec son moignon. Le lieu était incertain, tout était blanc, pourtant tu penses qu'il s'agissait de l'atelier noir et malodorant de l'usine. Toujours est-il que ton anus se dilatait et saignait sous les coups de boutoir de sa main tranchée.
Après les dérèglements, après les tempêtes, après l'effondrement, voilà ce que devenaient les couples. Un piège. Un piège posé par un braconnier invisible. Un piège dans lequel les deux proies étaient retenues prisonnières. Un piège aux mâchoires de fer indolores. Invisibles. Et presque impossible à ouvrir.