Comme tant d'autres fois, j'étais aspirée par la spirale du silence ; spirale qui ne consiste pas seulement à se taire. Ça consiste, à partir d'une situation de parole immédiate antérieure, à cesser de parler parce que tu te sens la seule concernée. Aussitôt, tu complexes d'avoir trop parlé, même si ce n'est pas le cas et que ce qui s'est passé, c'est que personne ne répondait, ni pour te soutenir ni pour te contredire. Ce n'est pas non plus que tu parlais toute seule, non, il y avait des gens et des gens-là t'écoutaient, peut-être même qu'ils étaient d'accord avec toi, mais tu étais quand même la seule à parler. On voudrait te faire avaler la soupelette bondieusarde qui prétend que ton silence n'est ni de la claudication ni de la soumission, mais de l'élévation, de la distinction et du respect, alors que ce que dit ce silence, en vérité, c'est que tu es bien plus jolie quand tu la fermes.
Elle est belle pourtant, qu’est-ce qu’elle a à cracher son venin ? Quand on sait comme ça enlaidit les femmes, la méchanceté. D’où elle m’envoie bouler, alors que je la complimente et que je la siffle ? D’où, vu que je suis justement en train de la flatter, cette grosse pute ! ? Une autre manifestation de la censure envers la radicalité des belles meufs ressemble précisément à ce que tu viens d’énoncer : elles critiquent parce qu’elles sont belles, elles osent parce qu’elles sont belles, et c’est également parce qu’elles sont belles, bien emballées dans leur joli papier cadeau contestataire, que leurs critiques passent et qu’on les écoute.
Nati, on te pardonne d’être réactionnaire parce que tu es à moitié belle (sachant que c’était plutôt : « Tu te conduis comme une gamine et personne te dit jamais rien parce que t’es mignonne »). Si tu étais à moitié moche, ou moche tout court, on te traiterait de frustrée et tu serais une pestiférée (à savoir : « Si t’étais moche ou vieille ou grosse, tu leur ferais pitié et ils te calculeraient même pas »). Tu te trompes, j’ai répondu. Tu te trompes complètement. Une semi-belle gosse, et je ne te parle même pas d’une belle gosse ou d’une bombasse, n’a pas droit à la radicalité.
Petite, je ne comprenais rien aux paroles de chansons parce qu’elles étaient truffées d’euphémismes, de métaphores, d’ellipses, bref, de rhétorique dégoûtante, de cadres répugnants aux significations prédéterminées où « une femme avec une femme » ne veut pas dire deux femmes qui se baladent mais deux femmes qui baisent. Ce que ça peut être tordu, subliminal et rance… Si au moins ça disait « une femme collée à une autre femme ». Mais non, évitons de reconnaître que deux meufs sont en train de se lécher la chatte.
Le métissage est la semi-vérité d’un monde social brutalement conflictuel, terriblement irrésolu, ardemment illégitime et interdit des centaines de fois. Par conséquent, c’est un acte libérateur que de l’appeler par son juste nom et d’affirmer qu’il n’y a ici pas de métisses mais des bâtardes. La condition de blanche comme celle d’indigène est une forme de refuge fictif servant à dissimuler une chose plus angoissante : la question irrésolue de l’origine.
Mes portillons sont visibles. Sur chacune de mes tempes, il y a une charnière rétractile. Et entre les tempes et les mâchoires, j’ai des rails permettant à chaque portillon de s’ouvrir et se refermer. Désactivés, ils sont rangés derrière et occupent chacun un revers de visage : demi-front, œil, demi-nez et mono-narine, joue, demi-bouche et demi-menton.
L'idéologie en appelle donc au respect des machos fascistes néolibéraux tandis que, pour avoir ébranlé l'ordre institutionnel susmentionné, nous sommes estampillées irrespectueuses, déraisonnables, folles, haineuses et féminazies. D'après l'idéologie, les fascistes ce seraient nous, les prisonnières.
La seule accessibilité que nous souhaitons, nous prisonnières, est l'accessibilité universelle à la jouissance, à la politisation et à la vie désirant être vécue et non médiatisée par les dominateurs.
Rester silencieux devant cette agression, c'est en être complice, c'est devenir nous-même les agresseurs.