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Citation de Partemps


« Un je-ne-sais-quoi de féminin était vraiment dans l’air. Le capitaine se sentait dans les membres une étrange léthargie, il marchait comme étourdi. À un certain moment, il laissa le chemin muletier, pénétra dans le bois. Le murmure d’un ruisseau rendait les feuilles tendres et fragiles, encore durcies par le gel hivernal. La couleur du printemps (ou c’était une odeur, un parfum) naissait à peine dans l’air, encore vague, incertaine, presque hostile. Odeur d’eau, de glacier, odeur de dégel, de feuilles putrides, de terre pourrie. Le printemps, en montagne, c’est l’eau qui l’annonce de sa voix de femme, de son parfum de chair, de sa couleur de lait. Le capitaine s’enfonçait dans le bois, respirant profondément, le chapeau rejeté en arrière sur la nuque pour se libérer le front. Il s’étendit dans l’herbe, près d’une épaisse tache de gentianes, d’anémones pourpres, de violettes. Des violettes gigantesques, ouvertes comme des tournesols, droites sur leur tige hors de l’herbe délicate et molle, avec un impudique orgueil. Par milliers, en minuscules forêts, ici et là ; rien de chaste en elles : mais quelque chose d’audacieux, de sensuel. Elles semblaient de chair. Et les gentianes bleues, et certains chardons sans poils, chauves et doux au toucher. L’herbe très tendre, d’un vert tantôt pâle tantôt soutenu, coulait entre les doigts comme de l’eau. La mousse comme des cheveux. Un vent léger courait sur le pré, inclinant les fleurs en de suaves révérences, et celles qui résistaient davantage à ses amoureuses rafales, il les secouait avec grâce et prudence, presque avec crainte de leur faire du mal : jusqu’au moment où les gentianes et les altières violettes courbaient la tête avec respect, en un jeu libre et courtois.
Étendu dans l’herbe, le capitaine admirait les nuages roses qui se posaient légèrement sur les montagnes et écoutait la voix du torrent fuir sous les branches, s’évanouir, puis reprendre soudain plus proche, plus haute, plus vibrante, une froide voix métallique. Dans l’intervalle de ces brèves pauses, un son de cloche lui arrivait, profond ; la cloche, pensait-il, d’une vache errant dans le bois. Le capitaine se leva, se dirigea entre les arbres vers ce son doux et grave ; arrivé au torrent, entre les branches d’un mélèze, il vit sortir de l’eau, poussant devant lui une vache, un jeune homme nu : lequel après s’être mis à courir de-ci de-là dans le pré, en batifolant, vint s’étendre sur la rive au soleil, presque sous le ventre de la vache qui ruminait paisible et absorbée. Il lui sembla reconnaître ce visage puéril, envahi de poils brillants, blonds et frisés, ces épaules athlétiques, ce cou inséré avec violence dans la poitrine large et musclée. Oui, l’alpin de l’Edolo, celui qu’il avait vu passer à Morgex, le bras autour du cou d’une vache, l’alpin que le colonel Lavizzari appelait Calusia, que tous les garçons de Morgex appellent Calusia. Maintenant Calusia s’est agenouillé sous le ventre de la vache, il lui caresse les mamelles doucement, de ses mains de montagnard énormes et délicates, et un sourire de joie, un sourire ineffable, presque sévère, illumine son visage dur et puéril… »
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