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Critiques de Cynthia Fleury (113)
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Ci-gît l'amer : Guérir du ressentiment

« Ci-gît l'amer (guérir du ressentiment) », Cynthia Fleury (325P, Gallimard).



Premier constat, sur la forme, c'est une lecture rendue difficile par l'usage permanent d'un vocabulaire compliqué ou baroque (pourquoi évoquer un monde « capitalistique » ?), d'expressions latines non traduites, par les très nombreuses références explicites ou implicites à des auteurs célèbres ou inconnus, et parfois par des phrases plus qu'alambiquées (exemple : « Chez Georg Lukacs, la réification est le processus de chosification de la vie du sujet, qui n'est pas sans rappeler les affres de la rationalisation wébérienne qui a pour conséquence de « qualifier » le quantitatif, autrement dit de disqualifier le qualitatif au profit d'une surévaluation du quantitatif, appelé dès lors à devenir le nouveau qualitatif, le chiffre venant se substituer à la puissance du nom. » ouf !!!) le texte, dense, manque de concret, d'illustrations pour éclairer les raisonnements. Cynthia Fleury est une « pure » (sic) intellectuelle qui se paie assez facilement de mots, et de jeux de mots à la Lacan, et d'ailleurs, l'essentiel de l'ouvrage est construit autour d'une déclinaison du titre : « Ci-gît l'amer » en « Ci-gît la mer » et en « Ci-gît la mère ». N'étant pas outillé d'un 3ème cycle en philosophie, j'ai dû m'accrocher pour aller au bout de ma lecture, et je suis loin d'avoir tout saisi de la pensée de CF, qui reste à mes yeux confuse et teintée d'une certaine prétention élitiste.



Sur le fond, comment guérir, au plan individuel ou collectif, au niveau psychologique ou politique, de cette si mauvaise passion, cet amer ressentiment qui habite tant de personnes et/ou de groupes sociaux ? C'est la question à laquelle tente de répondre ce livre, s'appuyant essentiellement sur les deux champs de références de l'essayiste que sont la psychanalyse et la philosophie politique.



Dans la première partie, elle démonte de manière très fouillée et souvent convaincante les mécanismes victimaires qui poussent au ressentiment, et dans lequel les individus les plus « faibles » ou les plus « lâches » peuvent s'enfermer sans cesse plus sûrement. Face à des situations personnelles vécues comme injustes ou discriminatoires, le sujet se sent parfois incapable de dépasser le ressentiment, il se fige dans l'attente d'une réparation trop souvent hypothétique, au lieu de se donner les moyens d'une sublimation, d'un dépassement positif dans des engagements constructifs. Les processus de dé-narcissisation du sujet, de dévalorisation le conduisent à ruminer sans fin son amertume, au point de ne plus savoir parfois contre quoi il est en colère, et de tourner celle-ci vers des objets (des personnes) en la transformant en vengeance aveugle. le ressentiment finit par s'alimenter de lui-même, bloquant de fait toute issue positive, et pouvant conduire à une forme de jouissance de la blessure. La rancoeur reste l'arme des faibles, le ressentiment ne poussant pas à se défendre mais à vouloir détruire « l'ennemi ». Face à ces situations, la cure analytique peut être une solution au long cours, mais pas forcément exclusive ni accessible à tous.



Cynthia Fleury ne nie pas qu'il puisse y avoir parfois des causes objectives et réelles à ces sentiments d'injustice, (comment le pourrait-elle ?), mais son analyse induit pourtant que celui qu'elle nomme le « ressentimiste » est essentiellement responsable et source de son état d'amertume. Pour elle, la certitude d'être objectivement lésé, quand elle se fige, est un leurre dangereux, car on peut toujours trouver plus lésé que soi, et que chacun d'entre nous peut se retrouver dans la posture de celui qui lèse autrui (une posture "chrétienne"?) Certes, mais quand elle se préoccupe de situations moins individuelles, donc des mêmes processus au niveau social, on finit par se demander si son argumentaire ne conduit pas, peu ou prou et quoiqu'elle en dise, à une forme de passivité ou de résignation, puisque toute forme de révolte violente face à l'injustice dans une démocratie dont elle ne semble guère contester les fondements lui semble illégitime. Faire intérioriser une culpabilité intime aux victimes d'injustices sociales, en dédouanant de fait la responsabilité des systèmes sociopolitiques et de ceux qu'ils servent, tel est pour moi, le point d'achoppement avec son raisonnement (ou de ce que j'ai cru en comprendre). Ce qui ne l'empêche pas de dénoncer l'apolitisme comme l'expression d'une lâcheté.



Elle cite dans la seconde partie Hitler, Mussolini ou Trump comme figures autoritaires qui incarnent ce ressentiment exacerbé et dangereux dans lequel se reconnaissent les soumis, au point que ce sont eux qui investissent, et pour une part fabriquent ces « führers » qui vont les brosser dans le sens du poil, en abusant de leurs ressentis. Elle évoque de manière plus que floue ceux qu'elle désigne comme des populistes, une catégorie d'autant plus fourre-tout qu'elle ne cite personne (en sous texte, on l'imagine renvoyer dos à dos dans un discours aussi facile qu'implicite tous les extrêmes qui seraient fondamentalement de même nature). « le ressentiment, tout en pourrissant l'être, maintient en forme physique, conserve dans son jus amer l'individu rongé. Il a le pouvoir du formol ». Mais est-ce vraiment parce que le fascisme est d'abord en chacun de nous qu'il finit par s'imposer dans un état ? Je ne suis guère convaincu par l'argument. Si nombre de remarques me sont apparues pertinentes, j'ai été gêné par cette dimension, où Cynthia Fleury me semble ‘'charger'' l'individu ou le groupe d'individus, ''la masse'', et dédouaner la structure sociale et surtout ceux qui en tirent les bénéfices et en jouissent. J'ai par ailleurs perçu une forme d'élitisme assez hautain dans son discours, une vision dévalorisée des « faibles », de ceux qui « suivent » cette belle élite très minoritaire qui serait source de progrès social et démocratique.



Poursuivant son analyse du ressentiment, dans un des passages les plus passionnants de son essai, elle nous fait croiser Frantz Fanon ; elle nous montre comment ce psychiatre et militant anticolonialiste a suivi un chemin de sublimation, de non victimisation, faisant passer l'humain avant tout particularisme identitaire, pointant pour le colonisé le risque de s'enfermer dans cette exclusive représentation victimaire de sa condition. Elle fait aussi un parallèle intéressant avec la situation des femmes dans notre société, défendant un féminisme aux antipodes d'une attitude de complainte ou de rancoeur vengeresse (rejoignant ainsi Belinda Cannone dans « le nouveau nom de l'amour », chroniqué ici ; mais là où celle-ci exprime une belle poésie joyeuse et plutôt optimiste sur le devenir des rapports hommes-femmes, Cynthia Fleury nous propose une austérité de la pensée et de l'expression.)



Un livre donc intéressant, rude, qui a le mérite d'être discutable (au meilleur sens du mot), mais qui m'a plus touché du côté des mécanismes du ressentiment dans sa dimension individuelle, celle que tout un chacun peut parfois percevoir dans sa vie affective, que dans le parallèle fait avec le côté social qui en est l'objet essentiel.

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Ci-gît l'amer : Guérir du ressentiment

Il est plus aisé pour moi de chroniquer un roman qu'un essai. Cependant, j'ai beaucoup aimé ce livre malgré les écueils De La lecture d'un texte complexe et, sans tomber dans le travers de vouloir en faire un résumé, je vais essayer de faire un pas de côté pour vous exprimer les raisons pour lesquels ce texte m'a inspiré.

Ci-gît l'amer porte un sous-titre Guérir du ressentiment, et toute la portée de cet essai réside dans ce sous-titre. Cynthia Fleury est à la fois philosophe et psychanalyste. Spécialiste du soin, on a beaucoup entendu sa parole dans les médias durant la crise sanitaire que nous vivons encore.

J'aime beaucoup entendre sa parole.

Le soin bien sûr s'invite dans cet essai, j'y reviendrai.

Mais lorsqu'on parle de ressentiment, de quoi parle-ton au juste ? C'est un mal insidieux qui touche la personne qui le porte, et qui fait mal à son tour aux autres. On pourrait même parler de maladie. C'est un mal qui s'installe durablement à la différence d'une colère qui est plus spontanée et impulsive, le ressentiment est un mal qui se mâche, qui se remâche, qui tourne en boucle...

C'est comme une haine, un sentiment de défiance exacerbée ou d'envie, pire que la jalousie, parce que dans la jalousie on admire l'autre sans vouloir le détruire pour autant. Dans le ressentiment, l'autre est méprisé, devient l'ennemi qu'il faut détruire de manière symbolique ou physique.

Le ressentiment s'inscrit dans le temps et crée des fractures qu'on ne soupçonne pas.

J'ai aimé cette manière d'aborder ce thème du ressentiment sous l'angle De La personne et sous l'approche collective. Bien sûr, Cynthia Fleury aborde ici les régimes fascistes ou fascisants, rien d'étonnant ici depuis Étienne de la Boétie qui nous disait 450 ans plus tôt : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » Cynthia Fleury nous confirme bien que les leaders en dictature assoient aisément leur pouvoir, non pas par grâce à leur charisme ou leur puissance, encore moins grâce à leurs compétences puisqu'elles sont inexistantes, mais par la simple frustration du peuple. D'un point de vue paradoxal, nos démocraties imparfaites et toujours en réalisation ne sont pas en reste, exacerbent le ressentiment. Pourquoi ? Parce que les inégalités en démocratie apparaissent injustes, comme des promesses non tenues. Rajoutez à cela les réseaux sociaux en caisse de résonance et vous obtenez là un beau terreau pour faire germer les ressentiments.

J'y ai vu quelques clefs intéressantes de lecture des maux de notre société à quelques mois des élections présidentielles où les ressentiments seront forcément exacerbés et récupérés par les candidats des extrêmes. Cela commence déjà, cela ne vous aura pas échappé, n'est-ce pas ?

C'est bien beau de parler du mal et Cynthia Fleury en parle bien, jouant de ses deux casquettes, la philosophe et la psychanalyste. J'avoue avoir un faible pour la philosophe, mais c'est intéressant de voir comment l'un vient nourrir l'autre. C'est bien beau de parler du mal, et si l'on parlait du remède, du contre-poison, de l'antidote ? Cynthia Fleury en parle tout aussi bien et de manière plus intime, j'ai été plus réceptif sur cette dimension.

Le remède paraît simple, si simple, trop simple. Bien sûr j'y crois sinon je ne pense que j'aurais écrit cette chronique, ni même lu ce livre. J'y crois, même si au fond de moi une petite voix obscure me dit au loin que c'est vain d'y croire, que cela ne changera pas le monde, ni les gens, que c'est une mission impossible. Allez ! j'y crois quand même et c'est tellement facile de l'exprimer ici, peut-être naïvement, vous en jugerez.

Bien sûr, ce livre regorge d'antidotes. Cynthia Fleury nous dit tout d'abord qu'il faut accepter le ressentiment, l'accueillir comme une épreuve pour mieux le combattre.

Le ressentiment, on ne doit pas le nier, mais le prendre à bras le corps, en faire quelque chose, pour le remplacer.

Ne vous êtes-vous jamais posé la question : et si c'était possible de revenir en arrière ? On ne peut pas revenir en arrière, les choses ne se réécrivent pas, les choses ne se réparent pas. Nous ne réparons pas ce qui s'est cassé en nous. Nous créons quelque chose de nouveau, faire advenir quelque chose de nouveau, tisser un nouveau récit qui va nous éloigner De La peine. Nous ne sommes pas des ordinateurs.

Le ressentiment, il faut l'accepter, on va en faire quelque chose, par la sublimation, la culture, l'éducation, le soin, ce sont les forces de sublimation qu'il faut réactiver dans notre démocratie.

Le soin, l'empathie, l'écoute, le soin au sens de prendre soin De La capacité de sa réaction, venir accompagner l'émergence de quelque chose, et faire en sorte qu'un sujet redevienne une puissance d'événement et de créativité. Justement la créativité est un magnifique antidote.

Prendre soin par la parole, par le non-verbal, par la simple présence, en faire quelque chose, le début d'une résilience possible.

L'attention à l'autre, l'amitié, l'admiration, l'éducation, la culture, la sublimation...

Une rencontre. Des rencontres.

Redéployer son corps.

Le mettre en accord avec le reste du monde.

Prendre soin par la parole, par le non-verbal, par la simple présence, en faire quelque chose, le début d'une résilience possible.

Chacun peut trouver son équation dans la sublimation en utilisant toutes ses potentialités.

Les passions tristes sont constitutives De La vie, de nos vies, il ne faut ni lutter, ni se laisser totalement submerger, engloutir...

La poésie est une forme de sublimation. Cynthia Fleury évoque la poésie de Rilke, sa découverte a été un choc pour elle, un pont, une possibilité d'attraper quelque chose, de cranter avec le monde, avec les livres.

Et puis elle ouvre un chapitre qui fut pour moi une magnifique rencontre, une découverte, celle de Frantz Fanon, psychiatre et militant anticolonialiste dont le parcours est un magnifique chemin de sublimation.

J'ai aimé aussi le propos de ce livre parce qu'il est un respect, un amour des singularités.

Récemment, sur une radio publique, - France-Inter pour ne pas la citer, Cynthia Fleury disait : « le soin est le premier geste politique, il nous permet d'habiter le monde. »

Je trouve cette citation fort belle et je voudrais conclure ma chronique par cette ouverture magnifique.

Habiter le monde.

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Un été avec Jankélévitch

La perfection de la clarté

ET

la plénitude de la simplicité.



Ces deux lignes peuvent paraître assez prétentieuses, mais j'ai réellement

été éberlué par ce petit livre. Si vous me dites "philosophie", je me prépare à faire des efforts, à me concentrer, à essayer de comprendre, à saisir ce qui se dit. Ici, rien de tout cela. Un plume allègre introduit les thèmes principaux et - j'ai presque honte à la dire - l'on comprend comme par magie le résultat de dizaines d'années de réflexion. Ainsi passent la revue le temps, la mort, la nostalgie, l'humour, le courage, l'amour, la pureté, la justice , le pardon, le mal même. Tous sont traités avec le même sérieux, la même légèreté, et révèlent leur limpidité. C'est dans cette simplicité que l'on reconnait le maître. Quelle leçon pour tous ces verbeux aérophages ...



Je ne résiste pas au plaisir de vous confier une dernière citation :



" Dans une vie libre, il y a la permission d'espérer qui est tout. Car la liberté, c'est l'espérance permise."



Je ne peux que vous recommander, humblement, ce merveilleux petit livre.



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Les irremplaçables

La vérité fait mal,

Surtout quand elle est bien (d)écrite.





Cynthia Fleury, psychanalyste et philosophe, avait déjà écrit “ Les Pathologies de la Démocratie” et “ La Fin du Courage”. Cette troisième oeuvre complète, sans doute, son engagement avec la problématique des dysfonctionnements démocratiques.



Ce troisième tome est beaucoup plus philosophique que politique, bien plus difficile à lire que les premiers. Cynthia situe l'origine de nos déboires dans cette habitude qu'a le citoyen de faire des modes de fonctionnement de la démocratie autant de passions. Ainsi la démocratie présuppose-t-elle des individus suffisamment équilibrés, informés et motivés pour en être les piliers. Non seulement des électeurs, mais des citoyens actifs. de ces 2 phrases, la passion n'a retenu que le mot “individu”, mot enflé pour remplir le vide laissé par l'absence des autres termes. L'on a vu ainsi l'émergence d'un individualisme forcené, qui coupe l'individu de ses semblables, l'incite à se développer seul - entreprise vouée à l'échec pour un être social - et le dresse contre ses concitoyens au nom d'une compétition érigée en idole. Mal éduqué à la vie en communauté, déstabilisé par le manque de relations et de repères, peu porté à la réflexion, fragilisé par la menace compétitive, l'individu oscille entre l'infatuation et la mésestime de soi. C'est qu'il s'agit d'une personne dont l'individuation - le développement de l'enfant vers la maturité citoyenne - est restée au stade de potentiel : l'individualiste est un individu non individué, immature, car non socialisé dans la société dont il devrait être citoyen. Il va sans dire que derrière ces processus d'aliénation se trouvent des intérêts : une élite qui estime avoir réussi le pari individualiste ( bien qu'en son sein la concurrence soit plus féroce encore qu'ailleurs) et des bras d'industrie qui produisent toutes sortes de consolations narcissiques.



Une démocratie ne peut se reposer sur de tels “pilliers”: elle doit se ressaisir ou s'effondrer. L'effondrement, si les choses en viennent là, prend souvent la forme d'un régime où l'individualité est entièrement gommée ou camouflée . Les individus mettent alors en avant un faux moi qui correspond à l'idéal prônée par l'élite : c'est la situation d'avant la modernité. Il n'y a, alors, ni individualisme ni individuation. Seul reste le conformisme, et les petites résistances que l'on peut se permettre pour avoir l'impression d'exister.



Cynthia Fleury parle du “secret du pouvoir”: son caractère usurpateur, sa violence et son arbitraire. Il est vrai qu'elle se sert d'analyses qui ont été prônées par des auteurs marxistes ou marxisants, mais il serait faux de voir en elle une marxiste : elle n'espère pas la dictature du prolétariat ! Il s'agit plutôt de l'usurpation d'un pouvoir qui devrait être celui des citoyens - qui devraient être en mesure de l'assumer ! - par une élite - quelle que soit sa couleur politique - élite qui utilise l'aliénation de l'électorat pour conquérir et garder ce pouvoir. Un jeu suicidaire où la démocratie s'auto-détruit. Songeons à ce qui se passe aux Etats-Unis.



Il s'agit ici d'un ouvrage de philosophie. Cynthia Fleury pose un diagnostic, mais elle n'offre pas de remèdes. En ce sens aussi, elle n'est pas marxiste : il n'y a pas à anticiper l'émergence de “bonnes” élites ou de structures salvatrices. L'Histoire ne pousse pas dans un sens ou dans l'autre. Ce sont les gens, l'ensemble des gens, qui vont se ressaisir. Ou pas.









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Ci-gît l'amer : Guérir du ressentiment

« Ci-gît l'amer… » de Cynthia FLEURY est le texte le plus alambiqué qu'il m'ait été donné de lire en entier sans faiblir.



La raison ? Un sujet original (le ressentiment) avec un traitement (psy, philosophie politique) mais traité de manière plutôt particulière.



Il m'en aura fallu du temps pour en découvrir le contenu. Quinze pages par jour de lecture avaient fini par être le contrat passé entre la raison - ma volonté - et la passion - mon envie de lire des choses légères et d'abandonner cette langue surgie d'une autre planète. Une fois le deal passé, l'aventure fut plus supportable. Elle se mena, comme j'en ai l'habitude, avec un crayon en main, mais cette fois-ci il allait virevolter.

Cette psychanalyste philosophe française, très présente dans les médias, a une manière d'écrire compliquée à l'excès, mais je ne crois pas qu'elle le fasse exprès. En fait, elle parle comme une érudite qui ne sait pas que 99,9 % de son public n'est pas agrégé de philosophie : elle a posé un prisme langagier sur sa bouche, ou précisément, dans l'affaire qui nous intéresse, sur son stylo, ou clavier…



Il y a tant de ruminations autour de moi qu'il me fallait pourtant absolument parcourir ce voyage intellectuel éclairant.

Mais que nous raconte-t-elle ? Heu… pardon… quels présupposés pose-t-elle ?

L'ouvrage s'organise autour du titre : «Ci-gît l'amer » en « Ci-gît la mer » puis « Ci-gît la mère ». Je ne me suis pas laissée impressionner par cette perche subtile placée au-dessus des nuages, j'ai plané avec elle, et j'ai aimé ça. Je laisse aux courageux/seuses le plaisir de découvrir le fil conducteur entre « l'amer » « la mer » et « la mère ».



De la plainte chronique à la faculté de jugement dénaturée, de la perte du discernement à la capacité dépréciative, de la focalisation sur l'objet de rancoeur jusqu'au plaisir sur la psyché que toute cette haine procure à la personne ressentimiste, des pathologies narcissiques au sein des démocraties, jusqu'à la grande dépréciation universelle en cours (merci les réseaux sociaux et les médias), sans oublier un détour par le nazisme, le colonialisme et le repli communautaire (« la solidarité entre pairs rancuniers et victimisés ») … voici les principales pierres à l'édifice d'explication puis de déconstruction que traite la philosophe.



Sachez déjà que le ressentiment « reste un rempart devant la dépression » pour celui qui le pratique, que « le ressentiment maintient en forme », et vous aurez déjà fait un grand pas dans la compréhension de ce fléau.

Point de surprise, la solution est éducationnelle, mais elle se joue également au niveau « du gouvernement de soi-même » (Foucault). Oui, il y a beaucoup de psychanalyse dans ce texte, mais ça tient la route et Cynthia Fleury sait de quoi elle parle.



Pour se faire, elle cite énormément d'autres auteurs, reprend d'autres positions, voguant d'un théoricien vers un autre, donnant son avis à chaque fois, poursuivant la réflexion la plupart du temps. Sa culture est immense, et j'ai apprécié cette initiation à la philo et à la psychiatrie que j'ai considérée comme une sacrée expédition au pays des penseurs. Contrairement aux sujets atteints de ressentiment, j'aime la compagnie des intellectuels.

Enfin, même si « le ressentiment est un défi pour chaque âme cherchant à s'affirmer comme vertueuse », C.F. donne de nombreuses pistes : la faculté d'oubli (on s'en serait un peu douté), la générosité, l'admiration (pas pour un râleur), la fin de la soumission patriarcale (passage pertinent), prendre « le chemin de l'agir » (traduction : bouger de son canapé), apprendre à expérimenter, le pouvoir des arts (littérature,…), l'humour (pas le moqueur !), l'amour… Il y a aussi une place pour « une éducation à la séparation » (parent / enfant), pour comprendre enfin que « naître c'est manquer », et que râler c'est vouloir obtenir quelque chose coûte que coûte.

Seul regret - qui n'étonnera personne - que Madame FLEURY n'ait pas eu l'idée de rendre accessible syntaxiquement et lexicalement parlant son traité des personnalités aigries, victimaires, ruminantes (mais qu'on ne voit pas dans les près, hélas) et j'en passe.



D'abord, elle en vendrait plus, et SURTOUT ce serait (peut-être) l'occasion pour certains mortels de tenter leur chance dans une reconversion du type « avant j'étais un gros râleur, vivant dans la victimisation perpétuelle et ami avec les mêmes que moi - maintenant j'ai compris que le monde est amer, qu'il faut que je quitte psychiquement un tas de personnes néfastes pour moi et un idéal inaccessible, et que j'essaye d'en profiter un max avant de mourir sans me dédouaner de mes responsabilités ».



En gros, c'est du développement personnel mais à la sauce Cynthia FLEURY !



C'était dur, mais finalement… la somme de la réflexion proposée dans ce livre se révèle absolument indispensable.


Lien : http://justelire.fr/ci-git-l..
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Le soin est un humanisme

Je ne sais pas vous mais j'entends souvent « mais de quoi te plains-tu ? On a quand même de la chance… », oui, et ? Aucune opposition. Parce qu'on a de la chance dans notre système de soin (comme notre système démocratique), il nous faut continuer d'être exigeant, parce qu'ailleurs on n'a pas forcément le même « standing », la même « qualité » et que justement on nous admire et on s'appuie sur notre exemple pour améliorer les choses ailleurs, on n'a pas le droit de s'endormir sur nos acquis car c'est précisément là que ça se délite (tiens, d'ailleurs y a « élite » dans délite…).D'ailleurs ne nous pensons pas forcément hors sujet en terme de perfectibilité, car l'expérience peut nous montrer des systèmes de santé bien plus efficients in fine…



***

La collection Tract, comme son nom l'indique, présente des textes mêlant actualité et réflexion épistémologique en quelques dizaines de pages, ce format permet d'aborder en synthèse des sujets sociétaux, économiques ou philosophiques d'intérêt commun – partant du constat pragmatique que les citoyens n'ont pas le temps démocratique nécessaire pour approfondir davantage.



***



« Cela m'avait marquée : précisément leurs marques ; les corps fatigués alors qu'ils sont jeunes, les peaux sans éclat, les dos et les genoux qui font mal, les organismes et les esprits abîmés ». La philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury signe un court texte sur la philosophie du soin, une philosophie qu'elle veut « in situ » : faire entrer la philosophie à l'hôpital pour les patients comme pour les soignants. Pour Fleury, un pays aussi industrialisé, aussi avancé à la fois technologiquement et scientifiquement que le notre ne devrait pas constater un niveau de fatigue, de stress, des corps et des psychés aussi amochés.



« Quelque brigand que nous rencontrerions sur la route, peut-être pourrons-nous arriver à le rendre sensible à son intérêt personnel sinon à notre malheur. Mais demander pitié à notre corps, c'est discourir devant une pieuvre, pour qui nos paroles ne peuvent pas avoir plus de sens que le bruit de l'eau. » écrivait Marcel Proust.



La philosophie du soin est intéressante car elle nous touche absolument tous. Mais ce n'est pas sa particularité : la philosophie politique, du droit, de la justice ou du bonheur aussi nous touche. Mais différemment. Peut-être ces philosophies-là sont-elles plus prisées, plus abondantes sur les rayons des librairies aussi. Est-ce que la philosophie du soin est mise au second plan en raison de l'objet « bassement » matériel de son étude : le corps ?



Pour Fleury, le soin dépasse la notion de maladie d'une part, il s'inscrit dans un choix de société humaniste, garanti par l'Etat de droit, mais il dépasse aussi la notion de corps. C'est essentiel : « on adorerait pouvoir soigner la maladie, la déposer à l'hôpital comme on dépose sa voiture chez le garagiste » nous dit Fleury, or on ne soigne pas une maladie mais une personne malade.



« Prendre soin de quelqu'un, c'est prendre le risque de son émancipation ». le patient d'aujourd'hui est atteint de maladies physiques ou psychiques, de plus en plus chroniques, et il faut composer avec ce patient dans une dialectique moins autoritaire, moins patriarcale, le patient veut comprendre, le soin doit s'organiser non pas seulement pour lui, mais avec lui par le partage du savoir, cela me rappelle la formule de Ruwen Ogien qui déclarait « être malade est en train de devenir mon vrai métier, mais j'aimerais bien être licencié ».



Il faut rendre capacitaires les individus, les émanciper, ne pas opposer vulnérabilité et autonomie. Rendre les individus capacitaires pourquoi ? d'abord pour retrouver une autonomie et un degré de liberté plus important (moins de fatigue, meilleur moral, moins dépendant vis-à-vis des proches – même si à cet égard, les proches au-delà des soignants gardent un rôle crucial : « le soin est une fonction en partage » ) mais également (et surtout pour l'Etat), sociologiquement, en capacité de remplir leurs devoirs économiques et sociaux comme le soulignait, à nouveau, le philosophe et « patient en C.D.I aux Hôpitaux de Paris » Ruwen Ogien dans « Mes mille et une nuits ». Ogien pointe également le fait qu'on peut rendre capacitaire les soignants eux-mêmes, l'exemple de certaines piqûres assez basiques longtemps réservées aux médecins alors que les infirmières pouvaient tout à fait le faire…



« Quand l'État de droit détruit ses citoyens, en leur donnant un sentiment de chosification, il se porte atteinte à lui-même ». Néanmoins on peut penser que l'ambition de Cynthia Fleury (c'est peut-être ce qui la motive aussi à publiciser son action) est contrainte. Les politiques de réduction budgétaires, la santé à plusieurs vitesses selon les classes sociales et les zones géographiques (l'un découlant sans doute de l'autre), le manque de personnel, les cadences infernales aussi bien dans les cliniques privées que dans l'hôpital public, la politique de prévention embryonnaire, le « management déshumanisant, oscillant entre pressions arbitraires et injonctions contradictoires et rendant malades quantité de personnels » que cite Fleury appelant en renfort Jean Oury « bien sûr, si un directeur est sadique, phobique, paranoïaque, tout s'en ressent. On aura beau amener des techniques de pointe, de la psychanalyse de groupe ou autres, on n'aboutira pas à grand-chose. Mais il y a une pathologie qui est entretenue par la structure de l'ensemble hospitalier, par les habitudes, les préjugés… »



Ne nous voilons pas la face, les réductions budgétaires ne concernent pas seulement les urgences, les personnels et les infrastructures, mais également les traitements.

Si certains affirment que les maladies chroniques (qu'on ne peut guérir) sont potentiellement source d'économies pour les industries pharmaceutiques qui renoncent à investir dans la recherche, il n'en reste pas moins que la réduction du remboursement des dépenses de santé (notamment les prix astronomiques de certains traitements) peuvent conduire à ne pas les envisager pour tous.

Cela joue aussi sur les pronostics délivrés par le médecin, et pourtant déjoués par nombre de patients d'où l'enjeu de comprendre les paramètres qui font que l'on refuse au patient tel ou tel protocole.



« Plus qu'un partenaire, le patient doit être un patient expert, un patient compétent ». Pourquoi Cynthia Fleury nous dit que le patient doit faire partie du process, doit bénéficier du partage de connaissance (des formations diplômantes existent d'ailleurs désormais) ? C'est aussi pour avoir, dans une certaine mesure, l'information (peut-être même le discernement) nécessaire à son consentement aux soins, au suivi des effets secondaires de ces médicaments ou encore du refus d'un médecin de lui faire bénéficier de tel ou tel protocole, et je cite (encore) Ruwen Ogien : « ce qui m'est le plus pénible, j'ai l'impression, c'est de me dire que ma vie dépend largement des décisions des médecins de prolonger le traitement ou pas selon des critères que je ne connais pas, mais qui pourraient un jour devenir purement financiers. »



« Dire la vérité au malade est certes une nécessité. Cependant la nécessité de veiller à ce que cette vérité n'affaiblisse pas le sujet et les aidants, mais au contraire les renforce dans leur quête de traitement et de guérison, est tout aussi décisive – d'autant que le régime d'incertitude dans lequel évolue la médecine invite à quelque humilité par rapport à la perception de ce qui est vérité. » Pour Fleury, sans forcément être dans la suspicion évoquée plus haut (hélas parfois légitime), le médecin et le patient ont besoin l'un de l'autre pour mettre en place le soin. Ils ont besoin de se faire confiance, de se dire quand ça ne va pas, cela peut représenter une difficulté pour le médecin de soigner un patient qui – bien que ce soit sa liberté - continue à fumer quand il a un cancer au poumon ou à se goinfrer de sucreries s'il est diabétique, qui ne prend pas son traitement etc, mais le médecin a aussi besoin du patient, car il n'existe pas deux physiologies identiques, deux corps similaires, les réactions, effets secondaires, le patrimoine génétique, les allergies etc diffèrent selon un ensemble de paramètres extrêmement large et donc le médecin a besoin du « retour d'expérience » du patient qui vit dans sa chair et son âme les effets de la maladie comme ceux du traitement, le patient enseigne au médecin sa médecine alors même qu'il espère un médecin totalement compétent pour le guérir, en fait, un peu comme à la télévision on fait face aux « aléas du direct ».



***

A lire pour découvrir ce que propose concrètement Cynthia Fleury et nous imprégner de ces réflexions car nous sommes tous confrontés à la maladie, puis pour approfondir, je ne saurais que conseiller le philosophe Ruwen Ogien, disparu en 2017, qui s'est servi de son cancer pour livrer des réflexions essentielles sur notre rapport social aux malades et à l'environnement du soin, qui sans surprise n'est qu'un révélateur de l'état plus global d'un discours social ambiant (infantilisation, dolorisme, domination, culpabilisation, indifférence, tabou, déséquilibre d'information, désocialisation etc).



A ce jour, dans la chaine de conséquences et (ir)responsabilités ayant conduit à une crise sanitaire généralisée, l'adéquation entre les moyens mis à disposition ou supprimés et réduits depuis des années pour l'hôpital comme pour la recherche, les décisions politiques & démocratiques différentes selon les pays, les délais de prise de conscience selon les pays touchés, cet ouvrage peut aider au sursaut pour enfin RE-penser très vite la question du soin dans la cité.



Qu'en pensez-vous ?
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Un été avec Jankélévitch

Un Vladimir peut en cacher un autre.



J'ai suivi des chemins de pensées, de ceux qui permettent, par des sentiers détournés, de comprendre, d'interpréter, des concepts philosophiques.



Ceux de Vladimir Jankélévitch ont le pouvoir d'ouvrir l'esprit sur ce qui fait l'essence même de notre humanité.

Les mots que pose Cynthia Fleury sont précieux pour nous guider et appréhender le Je -ne- sais -quoi et le Presque-rien chers au philosophe.

Grâce à elle, les réflexions de Janké (pour les intimes) sur le temps,les vertus et la musique, indissociable selon lui de la philosophie,sont source de lumière,comme des lucioles dans la nuit estivale.

Son discours sur l'engagement et l'histoire dans ce qu'elle peut avoir d'imprescriptible au sens du tragique et de l'irréversible m'a interpellé .

En effet,Jankélévitch fera connaissance de par ses origines, avec l'antisémitisme, " le malaise du semblable vis à vis du presque semblable. "

"De ces années d'humiliation, de clandestinité, de résistance, il gardera toujours une distance vis-à-vis de l'Allemagne mais également de cette patrie qu'il aimait tant,la France."



Il faut prendre son temps pour saisir les paradoxes de ce penseur clé du 20ème siècle qui" travaillait pour le 21ème " et " si mourir ne s'apprend pas", on peut toujours apprendre les variations de la vie,entre humour et sérieux, pour mieux lutter contre le conformisme et la pensée unique.



Un grand merci à Babelio et aux éditions des équateurs pour ce livre de la collection " Un été avec..." qui permet une approche décomplexée des grands auteurs classiques .
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Ci-gît l'amer : Guérir du ressentiment

Bien plus qu'une simple lecture, CI-GÎT L'AMER a été pour moi, à titre plus personnel, une véritable expérience. Ceci dans le sens où on parlerait par exemple, lors d'une manifestation artistique, de "vivre une expérience artistique" pour évoquer cette dimension de proximité et d'intensité présentes et à laquelle aucune conception purement muséale de l'art ne pourrait normalement nous faire accéder...

Bien que la réflexion philosophique y soit approchée dans toute la complexité des notions qu'elle implique habituellement quand pratiquée à haut niveau comme c'est le cas ici, et bien que l'auteure ne cède à aucun moment à la tentation de les rendre à tout prix accessibles à tous, le développement de sa pensée philosophique ne se résume jamais à une spéculation purement abstraite, n'opposant à mon sens aucune résistance à pouvoir être incarnée et à intégrer la vraie vie. Cynthia Fleury n'hésite pas d'ailleurs, elle-même, à franchir parfois ce pas, et c'est alors de sa voix à elle, individuée – cette notion d'individuation étant par ailleurs un des socles de cette pensée libératrice face à l'individualisme croissant produit par nos sociétés actuelles néo-libérales- c'est de sa voix subjective que la démonstration s'empare subitement, rebelle à toute forme d'académisme. Pour l'illustrer, citons ce passage où elle s'exprime personnellement à propos de Rilke : «Moi, qui ne suis pas poète, je reste à l'écart de cette violence magnifique, que je perçois trop ardente pour ce corps ridicule qui est le mien, je me tiens à distance, incapable de vivre autant d'émotions sans en avoir la nausée, je me tiens à l'écart pour écrire, certes des choses plus insuffisantes, mais qui tentent d'expliquer (...) comment, malgré tout, on peut tenir dans ce monde, hors du ressentiment et même de l'amertume, hors de l'échine courbée devant l'absence de sens. L'Ouvert. L'Ouvert. Quand j'ai lu cela, à la fin de l'adolescence, j'ai compris qu'était là un salut, peut-être le mien. »



Bien-sûr, il y a tout de même dans ce livre des développements, des passages où le lecteur (selon son «background» personnel en matière de concepts et d'histoire de la philosophie) pourra se sentir plus ou moins «largué». Mais serait-ce du fait que, parallèlement à une brillante carrière de philosophe, Cynthia Fleury exerce également en tant que psychanalyste, et que s'occupant en même temps de soigner -un rôle qui doit, selon elle, chercher avant tout à être « humble, simple et efficace »- , l'auteure sait se montrer à ce point attentionnée et apte à trouver dans le paragraphe qui suit les mots pour que cette pensée qu'on vient de lire et qui, à première vue, avait semblé si sophistiquée, prenne soudain corps, entraînant le lecteur à y voir plus clair et donnant même par moments l'impression (illusoire , certes, mais ô combien agréable et évocatrice !) que les mots lui sont directement et personnellement adressés, à «Moi, qui ne suis pas philosophe et qui reste à l'écart de cette démonstration magnifique, que je perçois trop dense pour ce corps ridicule qui est le mien (...) et m'invitant alors, moi aussi, à l'Ouvert »!!!



Quant à la démonstration elle-même, celle-ci n‘est pas, bien évidemment, ni à refaire ni même à résumer dans le cadre de ce billet. Je vous laisserai le plaisir de prendre le temps nécessaire pour la savourer, tout en vous souhaitant aussi personnellement qu'il m'a été donné à moi de la parcourir et de «vivre» cette belle expérience! Pour ce faire, je vous conseille, par contre, de laisser de côté tout apriori ou tout jugement hâtif concernant un pseudo intellectualisme ou un supposé «lacanisme» abscons dont certains lecteurs de ce livre ont pu affubler l'auteure. Ainsi par exemple des notions de « l'amer », «la mère » et « la mer », qui à mon sens ne constituent absolument pas un simple jeu de mots «lacanien» et gratuit, renvoyant au contraire, de manière très intense et polysémique, à la fois symbolique et imagée, à la question centrale de ce livre : comment dans le parcours qui partant de l'amertume (l'amer) laissée inévitablement par le sentiment d'incomplétude, de séparation à l'origine de la vie et représentée ici par la séparation avec la mère, le sujet pourrait-il réussir à s'individuer , à s'extraire de cette souffrance liée à son incomplétude et à sa finitude, non d'une fois pour toutes - mission impossible! -, mais à chaque fois que celle-ci est réveillée tout au long de son existence, comment arriver à tisser un autre lien avec le Réel dont le sens ne cesse d'échapper, lui permettant de se positionner en dehors de l'amer, de prendre le large et de goûter au sentiment «océanique» de communion avec le monde qui l'entoure (la mer) ? Comment éviter par ailleurs que cette amertume se transforme en ressentiment, «un des maux les plus dangereux pour la santé psychique des individus», mais aussi pour le fonctionnement de la démocratie ? Comment s'en prévenir individuellement et collectivement ?



Ce sont là les questions urgentes et cruciales posées par CI-GÎT L'AMER, à un moment de notre Histoire où nous sommes de plus en plus confrontés au développement effréné d'une économie néo-libérale et mondialisée, où les individus, devenus interchangeables, sont réifiés et, de plus en plus souvent, ne se sentent pas reconnus en tant que tels, à un moment où de nouvelles technologies, et tout particulièrement le développement exponentiel d'une intelligence artificielle, leur proposent sans cesse de nouvelles modalités «d'expériences dissolvantes» conduisant à un sentiment de vide et de non-sens...Et qui sont autant d'éléments, selon Cynthia Fleury, susceptibles de produire massivement du ressentiment et, à terme, de mettre en échec tout idéal commun de construction démocratique.

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Ci-gît l'amer : Guérir du ressentiment

J'avais déjà lu "Les Irremplaçables" de la même auteure, qui m'avait beaucoup intéressée ; Mais là, Cynthia Fleury arrive ici à la maturité flamboyante de sa pensée.



La première partie du livre traite du ressentiment individuel ; l'analyse est impeccable, mais un peu difficile, quoique le style en soit fort beau.



Là où l'essai prend tout son envol, c'est dans sa deuxième partie, très inspirée de l'Ecole de Frankfort, (qu'il n'est pas nécessaire de connaître préalablement, puisqu'elle en brosse les grands traits) , lorsque Cynthia Fleury aborde le thème du ressentiment collectif comme se trouvant à l'origine de l'émergence d'un leader "fasciste" (au sens large, celui-ci pouvant tout aussi bien s'afficher communiste) : le guide que le peuple choisit à sa ressemblance n'a pas besoin d'être charismatique puisqu'il est la personnification même du ressentiment populaire. Autrement dit, le peuple a le dirigeant qu'il s'est façonné sans se douter que sa créature lui échapperait bientôt comme un Frankelstein démoniaque.

Le "fürher", objet créé par le peuple, le réifiera à son tour. Il se lancera dans un programme paranoïaque et incontrôlable de destruction d'un bouc émissaire nominativement désigné (le juif, le bourgeois, le nanti, le basané, le koulak, l'intellectuel, l'assisté...). Habité désormais par un grand mépris du peuple qui l'a adoubé, il donnera libre cours à son appétit de pouvoir et de chaos.



La troisième partie traite du soin et de l'attention à l'autre, en donnant souvent la parole à Franz Fanon qui créa en Algérie une unité alternative de soins psychiatriques. Cette partie est lumineuse.



L'essai offre une réflexion rigoureuse et généreuse sur les pièges individuels et collectifs que représentent les ruminations "ressentimistes" qui étouffent individus et sociétés en les précipitant dans une spirale infernale et victimaire. Elle ne porte pas de jugement moral mais note le danger de ne pas combattre cette pente naturelle qui expose l'être humain à passer sa vie enfermé dans le cercle vicieux du ressentiment. Il faut renoncer à ce faux confort, pour s'exposer au risque de créer sa vie : personnelle, professionnelle, de citoyen dans la cité. Cynthia Fleury aborde également les enjeux de la démocratie et sait donner l'envie d'approfondir la question. Les éclairages apportés sont déjà très édifiants.



Un grand grand livre : il m'est arrivé de me sentir en difficulté pour la compréhension de quelques passages de la première partie, un peu difficiles : je me suis alors mise en mode "lecture attention flottante" ; cela ne m'a pas trop mal réussi puisque les seconde et troisième parties m'ont apporté une grande joie de lecture, sans les trous dans la compréhension que je pouvais redouter du fait de ma façon d'aborder le début de l'ouvrage. Dans tous les cas, si vous décidez de lire ce livre, ne vous laissez pas rebuter par les quelques paragraphes un peu abscons du début...



C'est un ouvrage fondamental que je relirai.



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Un été avec Jankélévitch

Court mais dense hommage au penseur de l’engagement et de l’Histoire.



Pour qui n’a pas encore lu les écrits de Vladimir Jankélévitch, ce petit fascicule lui permettra de s’en emparer suffisamment pour s’en approcher.

Cynthia Fleury, philosophe et professeure titulaire de la chaine Humanités et santé au Conservatoire national des arts et métiers, réussi à condenser les idées qui tenaient à coeur à Jankélévitch.



Elle les range sous quatre parties directrices :

le penseur du temps

le penseur des vertus et de l’amour

la philosophie indissociable de la musique

le penseur de l’engagement et de l’Histoire (avec un grand H).

Puis elle présente, mot après mot, idée après idée, les pensées essentielles à Jankélévitch pour vivre le monde. Chaque idée est présentée sous forme de chapitres très condensés - 4 à 5 pages maxi - dans lesquels elle arrive à placer le dominant ou le constitutif de ce philosophe. A chaque mot correspond ce qui est fondamental pour lui.



L’autrice, avec ses mots à elle, mais respectueux des discours de Jankélévitch, précise les paroles phares de l’oeuvre. Elle nous parle ainsi de sa passion pour Fauré, Liszt et Ravel, de ses maitres tel que Bergson, de ses amitiés telle que celle pour Louis Beauduc connu en Normal sup en 1923, de son marquant traité des vertus et de bien d’autres préoccupations.

Petit exemple, celui de la définition de la nostalgie : Jankélévitch dit que « la nostalgie c’est le non consentement à l’irréversible, au temps qui passe et non à une époque merveilleuse qui ne sera plus. »



Citations :

« Jankélévitch est le grand maître des paradoxes. Sa philosophie morale allait définir un concept de liberté, …la liberté n’est pas ‘’quelque chose qui est’’, au sens où la liberté n’est pas un ‘’état’’, quelque chose qu’on peut posséder… La liberté est libératrice, c’est une dynamique de libération.»

« L’irrévocable est la mesure du temps…Tout passe, tout est toujours en mouvement, vers l’avant, et si le temps nous donne des allures de répétition, ce n’est là que pure illusion, rien ne se répète, tout est inédit et inéluctable. »

« Le pardon et l’insoluble problème : l’impardonnable. Si nous pardonnons seulement ce qui est pardonnable, est-ce vraiment du pardon ? Pour pouvoir être, authentiquement, pardon, faut-il qu’il soit sans conditions ? Ou, à l’inverse, est-ce précisément parce qu’il y a des choses impardonnable que la morale existe ? »

« Cette formule du ‘’je-ne-sais-quoi’’ a été choisie par Jankélévitch parce qu’il est difficile, voire impossible d’en dire précisément quelque chose, de lui donner une couleur définitive, par exemple celle du bonheur… Quand il y a tout pour être heureux, et qu’il reste dans l’âme un je-ne-sais-quoi, pas forcément mélancolique et langoureux,… alors vous pouvez être certain que vous êtes en présence de ce ‘’je-ne-sais-quoi’’. »

« Vous voulez être juste ? Il faudra être courageux. Vous voulez aimer ? Il faudra l’être également. »
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Les irremplaçables

L’État de droit n’est rien sans l’irremplaçabilité des individus contrairement aux dictatures politiques ou religieuses dans lesquelles l’homme n’est qu’un rouage dans un système qui le dépasse. L’individuation, qui s’oppose à l’individualisme car il prend en compte la vie collective, permet à l’individu de sortir de l’état de minorité pour devenir un sujet dans un État de droit, ce qui est la condition du bon fonctionnement d’une démocratie. L’éducation doit jouer un grand rôle de transmission, assurant la continuité des générations et la pérennité de la société. Mais elle nécessite discipline et autorité pour permettre l’accès à l’autonomie et à la pensée critique.



Ce processus a besoin de temps et de la reconnaissance d’une autorité liée à un savoir. Or il est menacé par notre société de loisirs forcés, de spectacle permanent, d’omniprésence des écrans auxquels nous nous soumettons, de distraction, qui détruit notre capacité à devenir des sujets agissants, capables de faire des expériences, de transmettre un savoir, au risque de sombrer dans l’asservissement volontaire. Sans limites et sans discipline on aboutit à la tyrannie.



Cynthia Fleury nous livre une analyse très intéressante bien que parfois un peu ardue. Elle nous invite à nous réapproprier le temps et également le langage, à oser penser, à réfléchir sur ce que devrait être l’enseignement, et à prendre conscience des tendances nouvelles du monde du travail, qui par les notions d’évaluation, de mesures, de statistiques, font disparaitre le sens du travail et le caractère unique du travailleur au prix de sa réification…et de son interchangeabilité. Une belle leçon de philosophie à méditer. « Philosopher ce sera toujours destituer le simulacre ».



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Liberté, Egalité, Fraternité

Merci à Babelio et les Éditions l’aube pour ce livre et la rencontre, plutôt la lecture de trois grandes dames remarquables.

Mona Ozouf historienne et philosophe, Michelle Perrot historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine, Cynthia Fleury philosophe et psychanalyste, professeur titulaire de la chaire Humanités et santé au Cnam.



Toutes trois vont exposer un mot de la devise Républicaine, Mona Ozouf nous retrace l’histoire de cette devise et commence par la « Liberté », elle nous dit que c’est : « un droit naturel dévolu à l’homme antérieurement à toute société, est le chemin d’accès aux deux autres valeurs : seul un homme libre peut entreprendre de réclamer l’égalité, de pratiquer la fraternité. » (page 22)

Pour Michelle Perrot ce sera « l’Egalité » je cite «  l’égalité n’est pas une réalité mais un objectif, un but qu’il faut toujours poursuivre. Un chemin, une bataille. Pour acquérir des droits, il a fallu que les inégaux, les hors-droit - esclaves, serfs, pauvres, prolétaires, prisonniers, femmes, Noirs, etc. - se battent (page 34)

Et pour finir, Cynthia Fleury la « fraternité » selon elle, il existe trois manières de la définir «  la première renvoie à la dimension religieuse, monastique….la deuxième approche, révolutionnaire….est une fraternité des Lumières, de l’humanisme….la troisième définition possible de la fraternité, celle de 1848 et, au-delà, jusqu’à nos jours : non pas la sacralisation d’un « ici et maintenant », incarné par la République, qui unit les hommes dans leur humanité sociale. (Pages 58-59).



Ces trois entretiens réunis dans cet essai sont très intéressants, accessibles, ils m’ont permis une réflexion, une compréhension et une vision historique. Un petit livre que l’on peut lire et relire pour comprendre notre actualité. J’ai vraiment pris plaisir à cette lecture.

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Ci-gît l'amer : Guérir du ressentiment

Cynthia Fleury, philosophe ET psychanalyste (ça fait toute la différence), explique le ressentiment. Ses mécanismes, le "piège" qu'il peut représenter, tant à titre individuel qu'à titre collectif, et donne quelques pistes pour en sortir, pour le "sublimer". Et notamment la littérature :

"Le territoire littéraire permet de sublimer tous les ressentiments et de goûter précisément l'amertume des choses, des êtres, des idées."

Nous autres, lectrices et lecteurs, avions déjà deviné n'est-ce pas ?

C'est accessible (avec un dico à côté quand même), éclairant et passionnant et, au bout du compte, apaisant, comme tout ce qui permet de mieux se comprendre, seul(e), ou les uns les autres, au choix...
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Ci-gît l'amer : Guérir du ressentiment

C'est ma première lecture de Cynthia Fleury et sa voix me paraît importante. Voilà quelqu'un qui peut nous aider à vivre, à comprendre, à comprendre ce que nous vivons.

Alors malgré les quelques bémols éprouvés lors de cette lecture j'ai mis cinq étoiles. De toute façon quantifier nos émotions littéraires ou intellectuelles est toujours arbitraire.

Ce que je trouve remarquable dans le propos de Cynthia Fleury c'est qu'elle propose une voie humaniste sans illusion ni faux-semblant. Elle met le doigt sur des mécanismes psychiques, ici le ressentiment, qui nous empêchent d'être nous-mêmes, qui nous enferment dans des modes de pensée toxiques, pour nous-mêmes et pour les autres. En faisant cela, elle entrelace l'intime, l'éthique et le politique. Le moins que l'on puisse dire c'est que nous expérimentons ce genre de liaison depuis pas mal de mois maintenant. Et elle ne se contente pas d'un diagnostic, elle ouvre des voies salutaires pour se libérer de ces enfermements: l'humour, la créativité, l'amitié (et l'amour). Dit comme cela, cela peut paraître naïf, mais il n'y a aucune naïveté chez Cynthia Fleury, au contraire il y a toujours l'exigence du corps à corps avec les réalités psychiques. Elle ne propose pas de solutions toutes faites, elle connaît les difficultés, elle se heurte à l'inguérissable. J'ai eu un grand coup de coeur pour cette démarche dans laquelle je me reconnais, malgré ma grande méfiance pour la psychanalyse. J'ai d'ailleurs failli ne pas me lancer dans cette lecture pour cette raison. Il faut se méfier de ses méfiances.

Malgré tout il reste des bémols. Le premier d'entre eux est peut-être lié aux méthodes de catégorisation psychanalytiques. C'est la tendance à essentialiser les individus en raison de leur pathologie. Ainsi l'individu qui éprouve le ressentiment devient "l'homme ressentimiste", il paraît réduit à cette seule dimension. On peut pourtant éprouver, heureusement, le ressentiment à côté de bien d'autres affects.

Le deuxième bémol est cette façon de picorer parmi une multitude d'auteurs ce qui peut servir à son propos. Certaines analyses sont un peu plus fouillées, mais généralement on passe vite, trop vite, sur des auteurs et des oeuvres très considérables. Parfois, ils sont cités de seconde ou de troisième main. Cela donne le sentiment que ces auteurs sont instrumentalisés au service de son propos et qu'on ne s'y confronte pas profondément.

Mais il reste que le parcours vaut la peine d'être suivi. Il suscite bien des interrogations, mais aussi une meilleure compréhension, sur soi-même et ses proches. Alors, allez-y, vous ne perdrez pas votre temps.

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Les Pathologies de la démocratie

Vaste projet que celui de Cynthia en ce livre ! Prenant le parti de la philosophie, et, dans une moindre mesure, de la psychanalyse, elle entreprend de diagnostiquer les dysfonctions, les "pathologies" de la démocratie telle que les vivrait la France en ce début du 21ième siècle.



Au départ, un déjeuner avec une amie donna lieu à une discussion sur le thème : la révolution était elle nécessairement suivie de la Terreur ? Cynthia penchait vers le "oui", l'amie vers le "non". L'on conclua que la Terreur était le résultat d'une sorte de dépression collective, la révolution ayant tant chamboulé le cours des choses que les hommes en furent épuisés. L'auteure nous prédit elle la récurrence d'un tel épisode si nous n'arrivons pas à réformer la démocratie, suite aux chamboulements de ces dernières décennies voir générations ? Peut-être.



Cynthia diagnostique une explosion de l'individualisme ( qui se distingue de l'individualité en ce qu'il est antisocial) , une immaturité individuelle liée aux carences de l'éducation tant parentale que nationale ( l'on ne peut transmettre ce que l'on ne maîtrise pas soi-même), des tensions croissantes entre commmunautés rapprochées par les médias physiques et digitaux, enfin l'absence d'idéologie qui offrirait un horizon ou un cadre de reference. Bref, une société où des êtres fort mal équipés pour affronter la vie suivent la logique du " moi contre tous" et, en règle, échouent et se brisent.



Elle place de grands espoirs dans l'éducation citoyenne, qui ne doit plus former des suiveurs, mais apprendre à penser le politique. Et ce bien avant de songer au transfert de connaissances scientifiques ou techniques . Enseignement où les médias ont bien leur place. Elle plaide pour un marché du travail ou il ne faille pas se profiler en petit Mozart pour obtenir un emploi, et pour des entreprises où l'industriel ne serait plus laminé par l'exigence financière immédiate.



Je crois que ce déjeuner a été fort fructueux ! Bien sûr, il y a le parti pris de la philosophe et de la psychanalyste, qui semble exclure de son analyse ces institutions puissantes que sont les marchés financiers, les multinationales er les états en tant que tels. Il y a aussi cette restriction implicite de l'analyse au champ Français, alors que c'est au niveau Européen ( au moins) qu'il faudrait refléchir. Mais pour 300 pages en format A5, j'estime avoir bien employé mon temps.







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Ci-gît l'amer : Guérir du ressentiment

Pas évident de lire Cynthia Fleury. Beaucoup de notions de psychanalyse. De plus, le style, le vocabulaire, les tournures de phrases alambiquées, font que ce livre n'est pas très accessible. Pourtant, le sujet est passionnant. Le ressentiment occupe une place importante dans nos relations aux autres, et si l'on y prend pas garde, ce re-sentiment peut empoisonner notre vie. Ceci au niveau individuel comme sur le plan collectif. C'est le propre, d'après l'auteur, des régimes autoritaires belliqueux. Ce ressentiment nous submerge à nos dépens, de manière inconsciente. En être conscient est important pour pouvoir le désamorcer. L'auteure traite également son sujet en citant de nombreux auteurs, dont le propos n'est pas toujours limpide non plus. Ceci dit, j'ai quand même lu ce livre jusqu'au bout, alternant les relectures et la diagonale.
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Ci-gît l'amer : Guérir du ressentiment

Le ressentiment, la rumination, le ressassement d'un état victimaire sont des poisons de l'âme et l'hygiène mentale minimale serait de ne pas s'en repaître. Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, y voit un mal du siècle (comme l'hystérie des femmes au XIXeme siècle), au sens d'un désordre psychique qui n'est pas indépendant des conditions socio-économiques et politiques.

Quatre choses m'ont marquée dans cet essai largement présenté et commenté, y compris à la Grande librairie de François Busnel :

- la volonté de ne pas s'en sortir, l'enfermement dans l'inaction de ceux gravement atteints par le ressentiment, . "ça ne marche pas" est leur antienne. Elle a de très belles phrases pour montrer comment le ressentiment est une construction sur la souffrance ressentie, construction à laquelle on s'accroche de peur de n'être plus rien ( p98 et suivantes) ;

- l'appel aux analyses de nombreux penseurs et courantsdont on n'entend plus beaucoup parler (Canguilhem, Laing, Palo Alto, La Borde....) et en particulier à Frantz Fanon, le psychiatre noir antillais qui refusait la victimisation du descendant d'esclave, mais se servait aussi de son expérience de potentielle victime pour comprendre et respecter ses patients ;

- l'optimisme du soignant dont elle fait preuve pour aider ceux qui ne veulent pas s'en sortir et les échecs et difficultés personnelles qu'elle rencontre ;

- les conseils qu'elle va chercher chez Montaigne, Winnicott et bien d'autres pour inciter au souci de soi, à l'effort qu'il faut faire pour sortir du découragement, se mettre en mouvement, se protéger contre l'érosion de l'âme et prendre soin des autres à travers, l'éducation, la culture et le soin.

Prôner l'ouverture,l'engagement, l'admiration, l'émerveillement pour combattre cette passion triste qu'est le ressentiment. Il faut l'écouter et la lire, car elle fait du bien et redonne courage face à tout ce que l'on entend et lit (y compris venant d'amis proches) sur les réseaux sociaux.
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Les irremplaçables

Cynthia Fleury s'interroge dans cet essai sur le moyen de sauver la démocratie en favorisant l'individuation des citoyens et leur sortie de l'état de "minorité" qui les transforme en travailleurs et consommateurs soumis et frustrés. Nul n'est "remplaçable", c'est-à-dire que chacun a la charge incontournable et unique de s'accomplir soi-même (de "s'individuer") en créant des liens réciproques, transmissionnels et empathiques avec autrui. Bien plus, nul ne peut parvenir à pleine maturité sans l'exercice de ce lien tourné vers l'extérieur, indispensable non seulement à la société mais à la constitution du sujet lui-même.



La finalité n'est pas d'évacuer l'autorité, nécessaire au fonctionnement social mais d'éviter que cette autorité ne devienne "pouvoir" c'est-à-dire que celui qui l'exerce "surplombe" ceux sur qui elle est exercée en confondant sa personne et son rôle : le roi, l'empereur, le président doivent rester conscients de n'exercer qu'une fonction, faute de quoi l'autorité légitime se transforme en "pouvoir" qui pèse sur les individus, empêche leur réflexion et finit par asphyxier tout le corps social, menant à terme à sa destruction.



Dominants et dominés ont chacun leur part de responsabilité dans la transformation de l'autorité en pouvoir : les uns par l'arrogance, le mépris, la mégalomanie, l'appropriation des richesses et le mensonge, les autres par la passivité, la rouerie, l'hypocrisie, le chapardage, le développement de stratégies d'évitement, et un mélange de haine et d'adulation qui finit par produire un clivage de leur personnalité.



J'ai noté un très beau chapitre sur la famille et la transmission entre générations, ce que l'auteure appelle "faire famille".



La lecture de cet ouvrage est moyennement aisée pour un néophyte en philosophie mais cependant abordable ; de nombreuses citations l’ enrichissent et l'ouvrent sur la pensée du 20 ème siècle (Bourdieu, Anders, Jankelevitch, Foucault).
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Un été avec Jankélévitch

Du philosophe, beaucoup d'entre nous connaissent la voix, une voix singulière, musicale, accrocheuse, légèrement éraillée, qui s'incruste profondément dans la mémoire. Sont-ils nombreux ceux qui peuvent résumer son apport à la vie des idées ? Autant dire que c'est une vraie belle idée de confier à Cynthia Fleury, philosophe, psychanalyste et auteure la tâche d'écrire et de présenter à la radio cette série d'articles. Départ pour un voyage entre légèreté et sérieux, comme la vie, sur une ligne de crête fragile et précieuse.



Vladimir Jankélévitch est le philosophe de la légèreté, une légèreté toute relative qui l'a conduit à développer – sur trois tomes parus en 1980 ! – le charme du Je-ne-sais-quoi et l'importance du Presque-rien. Deux notions qui pourraient rendre perplexe si on a une vision étriquée de la philosophie, d'une discipline permettant d'interroger et de répondre aux grandes questions existentielles – la mort, la liberté, le temps… Lui cultive la légèreté indissociable du rêve, l'humour côtoyant l'ironie, mais sans s'y perdre. le philosophe joue du piano, se passionne pour la musique, il y cherche les réminiscences de ses origines juives et russes. Liant philosophie et musique, il met ses mots sur la virtuosité de Litzt, écrit sur la morale et le plaisir à partir de l'oeuvre de Ravel. De la musique de Gabriel Fauré, il affirme :

« En l'écoutant, en cherchant à la penser, c'est à la fois sa métaphysique et sa morale qu'il définit, et plus simplement la vie de l'homme, sérieuse et superficielle, bouleversante et frivole, entre imposture et grâce. Debussy et le mystère de l'instant, p.355 »



Un des chapitres s'intitule : Les pas dans la neige. A partir de la musique de Debussy, le philosophe ausculte le mystère du temps. Là, en fidèle héritier de Bergson, il devient tout à fait sérieux, d'une gravité ne sombrant pas dans la tristesse, communiquant sa fascination pour l'étincelle de vie, superbe, étonnante, belle dans l'absence-présence. Ses variations d'idées sur fond de l'oeuvre Les pas dans la neige m'ont enchanté, j'ai tout de suite fait le rapprochement avec ces mains humaines en négatif datées de 27 000 ans de la grotte Cosquer dont j'avais lu un article peu de temps auparavant… Même mystère de l'instant, d'un éclair dans la nuit, « l'apparition disparaissante […] la pensée de cet absent-présent nous trouble et nous bouleverse jusqu'à l'angoisse. Car il y a en elle la présence virtuelle de tous les êtres depuis l'origine du monde ».



Prince des paradoxe, Jankélévitch a inventé la notion de « primultime », chaque instant est le premier (prima) et aussi le dernier (ultima). Il est joueur et peut-être poète puisque faire poésie, n'est-ce pas utiliser les mots afin de trouver de nouvelles voies de conscience et d'émancipation ? L'irréversibilité du temps, ainsi théorisée nous fait comprendre que chaque battement du cœur est unique et doit inviter à se saisir de l'instant pour lui donner du sens.



Cette présentation ne prétend pas résumer la pensée du philosophe, que je n'ai pas étudiée dans le texte. Il s'agit de mon ressenti à la lecture de ce petit livre très dense, union féconde de la littérature et de la radio quand celles-ci diffusent la culture pour tous et pour chacun. Sont abordés de belle manière de multiples thèmes liés à une vie bien remplie : de l'engagement de Jankélévitch dans l'histoire, dans la Résistance, de mai 1968 qu'il soutint tout en parlant de "gâchis grandiose", de sa vision singulière de la mort, du pardon, du vouloir, de "la fausse solution de la violence", de sa correspondance avec son ami, Louis Beauduc... Je suis admiratif de Cynthia Fleury qui a réussi à nous rendre ainsi proche du grand philosophe, lui laissant toujours la première place, avec de nombreuses citations extraites d'une riche bibliographie donnée en fin de volume.

Connaissez-vous la voix de Vladimir Jankélévitch ? Une courte vidéo est présentée sur Clébibliofeel (lien ci-dessous) pour, après l'été, se mettre dans l'amphi, tels ses élèves attentifs et goûter un Je-ne-sais-quoi d'humanité, ce Presque-rien, l'amour peut-être ?



C'est un livre à conserver près de soi pour picorer de temps en temps quelques graines de poésie, de recherche de sens et de partage. Une invitation à passer, au-delà de l'été, d'autres moments privilégiés avec Jankélévitch !
Lien : https://clesbibliofeel.blog/..
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Ce qui ne peut être volé

Un essai de 37 pages. Il faudrait probablement quelques armoires pour réferencier les évocations, les appels les signes multiples envoyés à toute volée par Cynthia. C'est un bouillonnement d'idées et de propositions, un manifeste, une charte.



Cynthia Fleury est admiratrice de Georges Canguilhem, et à ce titre elle voit l'homme blessé, le malade non comme quelqu'un qui serait "différent", qui devrait ou pourrait être marginalisé ou institutionalisé, mais comme un membre à part entière de la societé. L'essai part d'ailleurs du constat de l'universalité de la vulnérabilité. Prenant ce constat en main, Cynthia se demande comment " concevoir des modes d'être ou d'agir résilients, sucseptibles de refonder des émancipations et des capacités ... de faire advenir " le réel" ."



Sa pensée va bien au delà des soins en clinique, et co-opte l'architecture, le droit, la politique. Ainsi souhaite t-elle promouvoir la vue ( l'espace ouvert) et le silence ( qui permet d'accéder au spirituel, favorise la concentration et encourage le bien-être). Elle affirme le capacité réversible et capacitaire de la vulnérabilté : elle peut inspirer, guider, orienter. Elle souhaite aller au-delà de la rationalité instrumentale pour promouvoir la générosité. Ceux qui vont "habiter" une réalité à construire doivent pouvoir la co-déterminer. Prendre soin donne des droits. Donner une place au sacré, essentiel pour la santé mentale de l'homme - un sacré qu'elle n'assimile pas nécessairement à la religion. L'éloge de la furtivité ( "vivre sous les radars"). Comprendre ce qui demeure ici et maintenant. Une réference au compagnonnage ...



Je ne vais pas attribuer une note à cet essai. Il est trop riche, trop ouvert sur l'horizon, il compte bien trop de dimensions pour pouvoir le ramener à quelques paragraphes, voir à une poignée d'étoiles. Si je n'ai pu qu'entrevoir les visions lointaines qui peuplent la pensée de Cynthia dans le sprint qu'est cet essai, elle m'aura, comme à son habitude, ouvert des portes, et des fenetres qui me permettent des regards auxquels je ne suis pas habitué. Merci !



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Qui a écrit ça ? [3]

QUEL ROMANCIER A ECRIT CES PHRASES: « Nous disons bien que l’heure de la mort est incertaine, mais quand nous disons cela, nous nous représentons cette heure comme située dans un espace vague et lointain, nous ne pensons pas qu’elle ait un rapport quelconque avec la journée déjà commencée et puisse signifier que la mort — ou sa première prise de possession partielle de nous, après laquelle elle ne nous lâchera plus — pourra se produire dans cet après-midi même, si peu incertain, cet après-midi où l’emploi de toutes les heures est réglé d’avance » ?

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