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Citations de Cyrille Javary (114)


(Extrait du Discours de la Tortue de Cyrille J.D. Javary)

Texte fondateur de la civilisation chinoise, maître d’oeuvre de sa philosophie et compagnon de son histoire depuis trente-cinq siècles, le Yi Jing est un livre unique, étrange et utile. On peut dire de lui “ce qu’on dit volontiers du Livre de la Voie et de la Vertu attribué à Lao Zi : né du génie d’un peuple, il est devenu patrimoine mondial de l’humanité.”

Et pourtant, voici un livre qui ne ressemble à aucun autre. Il se pourrait même que de tous les livres qu’ont pu produire ou rêver les diverses civilisations, le Yi Jing soit le plus étrange. Ni texte révélé comme la Bible ou le Coran, ni parcours médité comme le Livre des Morts tibétains, encore moins poème épique comme l’Iliade et le Ramayana, ou méthode logique comme celle de Descartes, le Yi Jing est le livre de la vie qui passe.
“La vie qui engendre la vie, c’est cela le changement”. Le nom chinois du Yi Jing “Classique des changements”, situe son sujet : la fluctuation incessante, l’évolution cyclique, le mouvement saisonnier, le changement perpétuel, la seule éternité aux yeux des Chinois. Son projet n’est pas spirituel, il ne révèle rien qui puisse être l’objet d’une foi ou d’une croyance, sa visée n’est pas théorique, il n’édifie aucun système explicatif de l’univers, ni ne disserte sur la cause de son existence ou la finalité de son devenir.

Le Livre des Changements ne fait que constater une évidence ne s’opposant à aucune foi, ne contredisant aucune science : le changement est au coeur de la vie. Seule donnée stable au niveau humain, la raison profonde de cet état de fait ne le concerne guère, seul l’intéresse le fonctionnememnt de ce processus sans cesse à l’oeuvre. Il n’a pas d’autres ambitions que de l’élucider, afin que chaque être humain puisse s’y accorder et y jouer son rôle de la meilleure manière possible.
Mince cahier de quelques dizaines de pages, son énoncé originel se résume à un texte composé de 64 cours chapitres, cernant chacun une situation-type de la vie quotidienne, analysées dans leur dynamique interne, agencée avec minutie, détaillées en phrases brèves dans un style archaïque à la fois précis et poétique et résumées par un nom qui est le plus souvent un verbe d’action : “AVANCER AU GRAND JOUR”, “ATTENDRE”, “ECHANGER”…
Sans âge et sans auteur, ce texte étonnant est l’aboutissement d’une aventure intellectuelle étalée sur une dizaines de siècles et commentée avant même qu’en Chine naisse l’idée d’écriture. On pourrait presque dire, tant leur origine naît d’une source commune, que c’est pour parvenir au Yi Jing que les Chinois ont inventé leurs étranges caractères.”
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La seule chose qui ne changera jamais, c'est que tout est toujours en train de changer.
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L'idée que l'absence, tout autant que la présence, puisse être porteuse de sens, bien qu'elle soit un mode d'expression familier aux Chinois - c'est une des bases du décryptage des discours politiques -, avait rarement été appliquée à la compréhension du "Livre des Changements". Sans doute la teneur Yin, discrète, cachée, de ce genre de message est-elle plus délicate à prendre en compte et nous sommes moins habitués à accorder autant d'importance à ce qui n'est pas mentionné qu'à ce qui l'est. Pourtant, remarquer dans le texte de telle situation type généralement très appréciée l'absence de toute appréciation favorable ou dans telle autre unanimement déconsidérée, l'absence d'appréciations négatives, change considérablement l'idée qu'on peut s'en faire.
Cette analyse textuelle du matériau indiscutable du "Yi Jing" allait finalement m'amener à une autre découverte dont les conséquences sont très importantes par rapport à l'idée qu'on se fait du "Livre des Changements" en Occident. Pendant plus de quinze ans j'avais décrit cet ouvrage comme étant "le grand livre du Yin et du Yang", et voilà qu'il se découvrait sous un tout autre visage. Si son étude, comme le disait Zhang Jiebin, permet de pénétrer l'éternel enlacement du Yin et du Yang, son usage montre qu'à chacun de ces deux principes n'est pas du tout accordée une valeur équivalente. L'examen des appréciations mantiques montre sans conteste que, dans son versant stratégique, le "Yi Jing" est fondamentalement le grand livre du Yin. Voilà une nouvelle qui aurait étonné les traducteurs du XIXe siècle, et en particulier Richard Wilhelm, de tous le plus méprisant envers les femmes.
Tout au long du texte du "Yi Jing", le Yin est valorisé au détriment du Yang et les stratégies Yin systématiquement recommandées deux fois plus souvent que les stratégies Yang. Deux exemples, insuffisants pour prouver cela, permettront néanmoins de l'évoquer. ELAN CREATIF, le seul hexagramme entièrement constitué de Yang, ne se voit gratifié dans le texte de ses traits d'aucune appréciation mantique favorable ; on y trouve plutôt mention de danger et de risque d'orgueil. ELAN RECEPTIF, le seul hexagramme constitué entièrement de Yin, en revanche recueille les deux appréciations les plus hautement favorables : "rien qui ne soit favorable" et "fondamentalement ouvert". Parmi les différents conseils d'attitude du "Yi Jing", il en est un qui parle de "partir en expéditions", c'est-à-dire d'entreprendre un sévère travail de remise en ordre. Cette injonction qui ne manque pas de fermeté est citée en tout 18 fois. Cependant parmi ces occurrences, on n'en trouve que 6 pour lesquelles ce type d'attitude est jugé favorablement ("ouverture pour des expéditions") et 12 où le "Yi Jing" estime que réagir de cette manière mène à une "impasse". L'explication de ce déséquilibre est riche d'enseignements. Si l'attitude, secondaire, réfléchie, en un mot, Yin, est deux fois plus souvent conseillée que la réaction primaire, instinctive, Yang (et cela est également le cas pour la quasi-totalité des autres conseils stratégiques), c'est bien parce que la réaction brutale nous est à chacun spontanée, elle ne demande aucune maîtrise particulière alors que la retenue doit être apprise et réapprise souvent. Dans la ligne confucéenne de l'amélioration de soi, il est compréhensible alors que cette dernière soit le plus souvent prônée. Par ricochet, on prend la mesure de l'importance, dans cette perspective globale, des moments où le "Yi Jing" nous conseille d'agir avec véhémence.
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Le Yi Jing n'est pas une science, c'est un art. Sa pâte est le vivant, son cadre l'humain et sa perspective l'incessant changement.
(...) Le Yi Jing est un livre de sagesse, parce que c'est un livre d'action. Il ne dit rien, pas plus l'avenir que la vérité, il fait mieux, il nous aide à agir.
(...) A la fois manuel d'aide à la prise de décision lorsque nous sommes confrontés à un problème ponctuel et "plan du monde" décrit dans sa continuelle propension au changement, le Yi Jing, ce cadeau de la Chine ancienne, raffiné par la détermination morale de l'éthique confucéenne, s'offre à chacun comme une manière de vivre avec plus de justesse la vie qui nous traverse.
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Les mots sont les outils avec lesquels on pense, et l'on pense différemment selon qu'on écrit avec des mots formés de signes dénués de sens et placés les uns à la suite des autres (les lettres) ou avec des idéogrammes constitués de dessins schématiques disposés de façon à tenir chacun dans un espace identique.
Le raisonnement analytique, ce fondement de la vertu occidentale qui nous a donné la science et la philosophie, doit beaucoup à notre façon d'écrire. Il nous semble évident que tout le réel, les objets physiques, le corps humain, le fonctionnement des entreprises, puisse être ramené à un nombre restreint de composants élémentaires pour être analysé, puisqu'il en est ainsi de tous les mots avec lesquels nous pensons. Rien de tel en chinois. On l'a vu, on ne peut pas épeler un idéogramme, c'est un tout, un agrégat dont la construction est souvent rétive à notre forme usuelle d'analyse.
Cette logique analytique, qui est pour nous la logique tout court, est si étrangère aux Chinois qu'ils n'ont même pas de mot pour la nommer.
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Feindre d'ignorer, ne pas souligner les fautes ou les défaillances d'autrui, c'est rendre la vie plus facile à soi-même et aux autres.

(P293)
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Tout esprit avisé sait combien la saisie qu'opère l'activité mécanique de la conscience peut être dommageable à la perception du réel. Des démonstrations pertinentes de ce dernier point ont été fournies par Jean-François Billeter, pour qui l'arrêt du contrôle qu'exerce la conscience permet à notre subjectivité de retourner à une forme d'activité plus complète et plus spontanée. La création d'un lien analogique entre l'état actuel de notre présence au monde et le corpus défini des hexagrammes semble être de cet ordre, dans la mesure où elle actualise, par le biais de la mémoire, de l'imagination ou de l'intuition, une partir d'un savoir latent mais inutilisé, beaucoup plus vaste que celui qui nous sert à produire ordinairement notre réalité.
Si la Chine ancienne a conçu la notion des san cai, les trois pouvoirs de la Terre, de l'Homme et du Ciel, c'est qu'on y était attentif non seulement à la relation intrinsèque de l'homme avec l'univers, mais surtout à la capacité de l'être humain à dépasser les représentations limitées et vite caduques de la seule conscience. Sans vouloir commettre d'assimilations hâtives, on peut suggérer que laisser intervenir ce que nous nommons "hasard", c'est accepter de prendre du recul par rapport au fonctionnement habituel de notre esprit, abandonner pour un temps nos tendances interventionnistes afin de laisser apparaître des signes où puissent se lire des analogies entre ce que nous percevons et ne percevons pas. Lorsque nous produisons de tels signes, nous accomplissons le lâcher-prise qui permet, non pas d'opérer des interprétations douteuses à partir d'intuitions échevelées, mais d'obtenir des descriptions nous permettant de nous dégager du point de vue étroit dans lequel nous étions enfermés. Amenés à déconstruire nos évidences, nous pouvons désenclaver le présent des rigidités qui l'enserrent : en le refluidifiant, nous l'élargissons aux strates qui le sous-tendent et aux germes qu'il recèle.
Alors, plutôt que d'apporter des réponses, le "Yi Jing" nous conduit à sortir nos questions de la gangue où notre propre sclérose les enfermait pour revisiter nos références, les mettre à jour ou les envisager à travers d'autres découpages. En entrant réellement dans l'originarité du changement, nous côtoyons à nouveau la transformation, nous avons l'opportunité de nous situer dans les courants à l'oeuvre et, plutôt que de les subir, de nous exercer au positionnement juste.
Ainsi la pratique de ce livre peut-elle opérer "à la manière d'une navette qui passe et repasse inlassablement sur la même chaîne", ainsi remplit-il son office de classique, au sens défini par Anne Cheng : "Le pouvoir [des signes écrits leur vient de ce qu'ils] épousent sans médiation les lignes naturelles de l'univers. [...] Une telle écriture est par excellence canonique au sens du terme chinois "jing", qui désigne la chaîne d'un tissu. Le texte, comme texture, se contente de faire apparaître les motifs fondamentaux de l'univers, il ne s'y superpose pas comme un discours sur l'univers."

in "Pour une actualisation du Yi Jing", préface de Pierre Faure
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En augmentant notre information, le Yi Jing augmente notre liberté. En nous permettant des choix moins aléatoires, il nous aide à devenir, selon le mot magnifique d’Albert Jacquart, « co-auteur de notre destin ». 
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Les cérémonies du culte ancestral rendu à Confucius n'ont jamais cessé. De nos jours, elles sont conduites par son 77e descendant en ligne directe. Aucune famille, aucune dynastie ne peut se vanter d'avoir une continuité remontant aussi loin dans l'histoire. C'est peut-être pour cela qu'on a appelé Confucius "le roi sans couronne".
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Chaque langue se bâtit une représentation du monde à partir des termes qu'elle emploie pour désigner et écrire les objets qui l'entourent.
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Wu Ding, sous le règne duquel fût brûlée la carapace qui nous a servi d'exemple au chapitre précédent, était un souverain si fameux qu'il reçut par la suite le nom de culte d' "Ancêtre Illustre". C'est un personnage que la tradition lettrée connaissait bien : ses dates sont précises (1324-1265) et ses exploits sont cités dans différents textes classiques. Son épouse également est connue. Elle se nommait Fu Hao et sa tombe a été retrouvée aux environs de la ville d'Anyang, près de l'emplacement de l'ancienne capitale des Shang. Chef de guerre pour son époux, commandant à des milliers d'hommes, Dame Fu Hao était enterrée avec tout son arroi de général, témoignage de l'estime dans laquelle pouvaient être tenues les femmes à cette époque-là.
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Ni texte révélé comme la Bible ou le Coran, ni parcours médité comme le Livre des Morts tibétain, encore moins poème épique comme l'Iliade ou le Ramayana, ou méthode logique comme celle de Descartes, le Yi Jing est le livre de la vie qui passe.
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(…) le nirvana ne pouvant véritablement être défini que négativement, comme l’extinction d’une flamme, son écriture avec des signes issus d’images concrètes posait un délicat problème. Comment représenter un feu qui ne brûle pas, une lumière qui s’éteint ? La solution trouvée ne manque ni d’élégance ni d’efficacité. Apparemment, l’expression en trois caractères choisie pour écrire nirvana, 涅盤那 niè pán nà, semble s’être attachée à une simple transcription phonétique du mot sanskrit. C’est effectivement le cas pour le troisième mot (那 nà), déterminatif neutre souvent utilisé dans des transcriptions phonétiques. Ça l’est déjà un peu moins pour le second (盤 pán), dont le sens usuel actuel tourne autour des idées de bassin, assiette, plateau, etc., mais qui évoque aussi le fait d’être replié sur soi, lové, enroulé. Mais c’est surtout avec le premier idéogramme que se révèle la subtilité de ce choix ; le caractère 涅 niè a en effet pour sens propre « teindre en noir ». L’assemblage de ces trois caractères évoque donc le nirvana comme ce bassin matriciel dans lequel on se love pour s’y teindre en noir comme une flamme qui s’éteint.
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Etonnant exemple de pérennité chinoise : aucune dynastie impériale, aucune lignée royale ne peut revendiquer une telle continuité par-delà tant de siècles et de soubresauts de l'histoire. Le soixante-dix septième descendant en ligne directe de Confucius, M. Kong Decheng, vit actuellement à Taïwan.
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Demander au Yi Jing si un projet va réussir relève de la divination. […] Demandez-lui donc, en revanche, comment faire aboutir ce projet. Il vous répondra alors en vous proposant la stratégie la plus appropriée compte-tenu du moment, de vous-même et du projet. 
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On n’interroge pas le Yi Jing pour savoir le temps qu’il fera demain ou le cheval qui gagnera dimanche. Non pas parce que cela serait lui manquer de respect (comment peut-on manquer de respect à un volume de papier ?) mais parce que ce serait manquer de logique. Ce genre de question, comme toute demande d’information sur le futur, relève de la voyance ou de la prophétie.
Le Yi Jing, lui, s’occupe du présent. Mais ce présent n’est ni figé ni extérieur, c’est l’état momentané d’une situation qui existe dans la mesure où nous y sommes impliqués. Car, en dernier ressort, ce que le Yi Jing analyse, c’est nous-mêmes. 
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[Renouvellement du confucianisme après l’arrivée du bouddhisme] L’idée de salut individuel au travers de la roue du karma […] sera reformulée en termes de spontanéité consonante avec le mouvement yin/yang de l’univers, celle de l’illumination du cœur comme une recherche en soi-même de l’être authentique, en prise directe avec le Tao (car il fallait compter aussi avec l’influence prise par les taoïstes). Il en résultera une sorte de naturalisme évolutionniste, à la fois rationnel et syncrétiste, qui sera appelé en français « néo-confucianisme », et en chinois tantôt « logique de la Réalité », tantôt « doctrine de la Voie ». On peut comparer ce mouvement à celui qui occupera deux siècles plus tard les scolastiques européens dans leur tentative d’harmonisation de l’héritage gréco-romain avec les doctrines de la théologie chrétienne.
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A la question de savoir pourquoi la même offrande à la même entité spirituelle était parfois agréée et parfois pas, les Shang ont inventé cette réponse hardie : Celle-là a été faite au moment adéquat, et celle-ci à contretemps. La réussite du sacrifice ne dépendait plus uniquement de l'humeur fantasque de l'entité spirituelle ou de la qualité des offrandes, mais principalement du moment du sacrifice. Voilà qui allait bouleverser complètement l'appréhension que l'on pouvait avoir de l'ensemble de l'opération liturgique. Car dès lors que l'on situait ailleurs que dans le ciel le point focal de l'ensemble, il devenait logique de regarder à l'envers la corrélation globale entre l'approbation d'un sacrifice , son efficacité, et les craquelures (ndr : sur les os brûlés, objets de divination originels) qui en témoignaient. Remontant le déroulement du temps ( ce que nous appelons le raisonnement par récurrence), les Shang se sont aperçus alors , si par l'examen des formes des craquelures il est possible de vérifier a posteriori qu'une offrande a été agréée, c'est parce que, réalisé au bon moment, ce sacrifice était agréable a priori. Ils en tirent une conclusion grosse de conséquences : n'étant commandée ni par la qualité des offrandes, ni par le bon vouloir des dieux, mais par son adéquation avec le moment, l'efficacité du sacrifice existe donc "antérieurement" à sa réalisation.
Voilà qui allait changer radicalement le point de vue sur les affaires spirituelles. En effet, dès lors que l'avenir d'une entreprise et le sacrifice offert pour sa réussite cessent d'être liés par une relation de cause à effet, ils deviennent des manifestations équivalentes, des aspects solidaires d'une réalité momentanée.
Et ce peuple pragmatique en tire aussitot le corollaire suivant : plutôt que d'aller recueillir après coup les marques de l'adéquation d'un sacrifice, en tisonnant les cendres tièdes, ne serait-il pas plus raisonnable, et plus économique, de chercher à s'en assurer AVANT d'immoler les victimes ?
Ce n'est pas seulement une modification dans le déroulement de la liturgie qui s'instaure avec l'idée de cet examen préalable, c'est un retournement complet de son sens. L'examen des craquelures, naguère complément de la cérémonie religieuse, va en commander maintenant la réalisation. [...]

Les conséquences de ce tournant, modifiant durablement les rapports que les anciens Chinois entretiennent avec leurs dieux, vont engager la civilisation du Fleuve Jaune vers une conception de la spiritualité assez déconcertante puisqu'il faut se résoudre à la qualifier de "laïque", ou "d'énergétique". [...]
Une déité dont on peut prévoir les réponses perd beaucoup de son prestige métaphysique. En plaçant le problème sur l'axe du temps, les Chinois piègent leurs dieux, ils les enferment dans un système plus global. En déplaçant le problème de l'opportunité du sacrifice (implorer comme il faut) vers l'opportunité de l'entreprise (agir au bon moment), ils s'ouvrent à la possibilité de concevoir un univers qui n'est plus soumis à l'arbitraire religieux, mais qui fonctionne de manière raisonnable, comme un réseau de concordances énergétiques. Cela ne s'est pas fait en un jour, bien sûr, mais l'élan donné par l'auguration préalable sera déterminant. Les siècles qui suivront ne seront que le développement de ce point de vue particulier dans lequel va s'ancrer le désintérêt poli que depuis lors les Chinois manifestent à l'encontre des questions transcendantales.
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Là où notre oeil occidental regarde un idéogramme comme une forme stable, immobile, l'esprit chinois voit surtout une succession de tracés, de mouvements graphiques produisant une configuration éphémère, l'ombre d'un mouvement immobile.
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Paysans expérimentés, les Chinois cultivent les céréales sur leur sol depuis que celles-ci font partie du patrimoine de l'humanité, il y a huit ou dix mille ans. Pareille continuité, sans équivalent dans l'histoire du monde, enracine le mode de penser des Chinois dans une permanence culturelle spécifique. De cette pérennité sédentaire est par exemple née une valorisation de la classe paysanne qu'on ne retrouve pas dans les autres sociétés anciennes. La hiérarchie sociale chinoise traditionnelle comprend quatre niveaux : tout en haut, les lettrés-fonctionnaires à cause de l'importance de l'écriture, juste après viennent les paysans, ensuite seulement les soldats et enfin les commerçants.[...]

Nous verrons en première partie comment cette continuité sédentaire, privilégiant toujours le pragmatisme sur l'abstraction, a conditionné un rapport particulier avec le temps, avec l'invisible, avec l'espace et avec la nature en général. Puis comment cet enracinement a produit un rapport particulier avec le changement, posé comme seule assise stable de toute stratégie raisonnable et efficace, point de vue qui, avec le système Yin/Yang, se concrétisera dans une perception par flux plus que par essences et qui sera explicité par une écriture analogique sans équivalent dans aucune autre civilisation.
La troisième partie portera sur les particularités qu'induit justement ce système non alphabétique d'écriture. Dans un quatrième temps, on observera comment, de la combinaison de ces différents facteurs, est né un rapport inédit avec une forme de spiritualité, une sensibilité plus proche du chamanisme ancien que des religions depuis lors écloses sur le continent eurasien, ce qui se manifeste par une "magie" aujourd'hui toujours très présente dans la vie quotidienne.
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