Le feu avait maintenant atteint toute la charpente. Les poutres multicentenaires s’embrasaient tour à tour à une vitesse effrayante. Dans le vacarme assourdissant des craquements de cette ossature à l’agonie, l’enchevêtrement géant de bois secs entrecroisés crépitait tel un bûcher des temps obscurs. On pouvait sans peine imaginer les âmes revanchardes des hérétiques, sorcières et autres templiers qui s’étaient réunies dans ces flammes tourbillonnantes, narguant les statues des anges au point de leur faire perdre leur sourire. L’épaisse fumée grise, visible à des kilomètres à la ronde, avait figé tous les esprits alentour dans une béatitude passagère. Mais rapidement, les premiers cris retentirent : « Notre-Dame est en feu ! Notre-Dame est en feu ! »
— Manon, Manon... Je vous adore ! Votre optimisme est vraiment très rafraîchissant ! Il se trouve que cette fortune dont vous parlez est essentiellement basée sur les actions de mon groupe que je possède. Or, si jamais je déclarais que j'envisage de me préoccuper des sans-abris-, ou d'autres grandes causes comme l'écologie, dans les cinq minutes, le cours du titre commencerait à dégringoler. Le capitalisme est une bête féroce qui dévore tous ceux qui tentent de se mettre en travers de sa marche inexorable. Or, encore une fois, je préfère me trouver à la place du lion plutôt que celle de la gazelle.
Son père fit brusquement demi-tour :
- Je vous laisse, je vais me reposer.
- Tu veux que je t’aide ?
- Non, c’est bon, je vais rester dans mon fauteuil.
L’instant d’après, il n’était plus là.
Justin se retourna vers le fils de monsieur Boullu. En une fraction de seconde, il vit son visage grimaçant de colère puis le tisonnier qui fendait l’air dans sa direction.
Ensuite, plus rien…
Marche funèbre
Il s'écarta brusquement et projeta la lumière de sa lampe torche derrière lui. Le corps momifié de son père apparut. C'était bien monsieur Boullu, le menuisier, ligoté sur une chaise, la bouche tordue dans un rictus de terreur. En séchant, le visage s'était contracté et le tissu qui avait très probablement servi de bâillon avait glissé autour du cou pour se muer en un foulard incongru. Une vision d'horreur absolue !
Les deux hommes se firent la même réflexion au même moment : pour déplacer le lourd miroir en toute sécurité, une troisième personne aurait été nécessaire... Mais Louise n'avait certainement pas le gabarit attendu, quant à Mira... De plus le caractère illégal de l'opération les empêchait clairement de faire appel à une aide extérieure. Ils durent donc se résoudre à ne compter que sur eux-mêmes. Max prit les choses en main. Il chercha dans la bibliothèque deux romans suffisamment récents pour ne pas présenter trop de valeur et surtout qui avaient la même épaisseur. Il tendit le Musso à Ivan et garda le Levy pour lui :
— Alors, c'est très simple, on soulève chacun notre côté et dès qu'on sent que les attaches sont sorties des crochets, on glisse le bouquin dessous pour pouvoir reprendre notre souffle tranquillement.
Foutue retraite ! Ce n’était déjà pas facile de devoir tourner le dos à une vie entière consacrée à la police, mais en plus, il fallait que ça arrive le jour où il coffrait ce tueur en série qui le narguait depuis le début de l’année. Pour une fois qu’il aurait pu parader à la télé…
Sa femme et lui avaient passé toute leur vie à faire la chasse aux incivilités du quotidien. Le bruit, les odeurs, les insultes, les comportements dangereux sur la route, mais aussi les gens qui s’allongent sur les sièges de bus, ceux qui hurlent dans leur téléphone portable ou qui fument à côté des enfants. Il y avait également les profiteurs en tout genre : les fonctionnaires qui font leurs courses pendant leur temps de travail, les locataires des HLM qui sont bizarrement toujours ceux qui en ont le moins besoin, les travailleurs au noir qui touchent une pension d’invalidité…
La liste était sans fin.
Tout d’abord, pour la première fois on retrouve l’arme du crime : un tournevis couvert de sang dissimulé dans le conduit de la cheminée. J’ai donc parlé de « tueur au tournevis » dans mon article et le nom est resté. Mais il se trouve qu’il a également massacré les chats de la même façon que leur maîtresse. Immédiatement, ce fut le déchaînement sur les réseaux sociaux. Tuer trois personnes, passe encore mais deux chats, ce n’est pas humain : ce type est un monstre !
Lorsque l’extrême droite avait remporté la majorité à l’assemblée, tous les gens comme lui s’étaient mis à rêver d’un monde où ils seraient enfin respectés. Mais depuis qu’ils avaient été élus, rien n’avait changé. À chacune des propositions de réforme allant dans le bon sens, le gouvernement avait reculé devant la pression de la rue. Pour certains sympathisants, ça n’était plus possible : si l’état ne pouvait pas les protéger, ils le feraient eux-mêmes.
Souvent, il se demandait ce qui lui procurait le plus de plaisir : tuer ou écrire ? Mais il en arrivait toujours à la conclusion qu’il était préférable de ne pas savoir. Toutefois, tant que le tueur au tournevis sévirait, il pourrait sortir des scoops et tant qu’il n’aurait pas été recruté dans un grand journal parisien, il aurait besoin de nouveaux scoops pour attirer l’attention. Le prix à payer pour son rêve…