Déjà, je sens mon coeur qui s'emballe, se battant jusqu'au bout pour la vie. Mais mon esprit est déjà ailleurs, parti loin de ce monde, qui est devenu pour moi un enfer à vivre.
Dans la deuxième année de leur relation, Kimberley tomba enceinte et le poids de la tradition tomba également sur ses épaules. Sa famille, de confession catholique, très pratiquante, était attachée à certaines valeurs et la jeune femme dut, pour un temps, mettre de côté sa carrière professionnelle et s’occuper de son enfant. Cette nouvelle fut ressentie par Andrew comme un choc et une immense joie. Lui, qui n’avait pas même envisagé de devenir père, était sur le point de se marier et de fonder une famille. Le mariage, dans la plus grande et prestigieuse église de Seattle, fut, pour certains observateurs, un véritable choc des cultures. La famille d’Andrew, modeste, sans le sou, et plus habituée aux sorties familiales le dimanche au stade, pour voir un match de baseball, fit sensation au milieu de personnes aux coutumes religieuses fortes et aux moyens financiers importants. Mais le fossé entre les deux mondes fut vite comblé par le bonheur des mariés et une bonne dose de champagne.
Avec prudence, il gravit les marches de l’escalier et arriva à l’étage. Au bout du couloir une porte était fermée. Il n’y avait plus de doute maintenant la source de cette pestilence se trouvait là, derrière cette porte. L’odeur devenant épouvantable, il sortit de la poche de sa veste son mouchoir et le mit sur son nez. Adam se trouvait maintenant devant la porte. Il enleva sa main droite de la crosse de son pistolet et pivota lentement la poignée de forme ovoïde. La porte s’ouvrit et une vision d’horreur vint à ses yeux. Dans cette chambre close à la décoration désuète et florale le corps d’une femme gisait allongé dans le lit, son visage n’avait plus l’air humain, il était momifié. De ses arcades sourcilières et de ses pommettes l’on pouvait distinguer la couleur pâle de l’os. Le souffle du courant d’air venant de la porte fit s’envoler une nuée affamée de mouche verte.
Dans sa détresse affective profonde, elle ne pouvait enfouir les prémices de sentiments maternels qui commençaient à naître pour ce garçon. Malgré la froideur de celui-ci [...] et ses mensonges, sa désespérance lui interdisait tout jugement sensé, au péril de sa santé mentale déjà désastreuse.
Tu as une méthode d’interrogatoire pour le moins originale Adam dit Larry en posant devant lui son gobelet en plastique vide.
— Que veux-tu dire Larry ?
— Eh bien tu as utilisé ton histoire personnelle pour gagner la confiance du suspect. Je trouve que tu t’investis trop personnellement. Si je peux te donner un conseil, garde tes distances…
— J’ai fait cela pour les besoins de l’enquête. Darren est en deuil et pour lui soutirer des informations, il fallait qu’il trouve dans son interlocuteur la compréhension de son malheur. J’ai utilisé une partie de mon histoire personnelle pour le mettre en confiance et cela a plutôt bien fonctionné… Non ?
Au dehors, le soleil n'était pas encore levé et la couleur ocre et orange des maisons semblait tendre vers le gris pâle ou foncé. L'humidité, la fraicheur et une quasi-obscurité régnaient dans le quartier silencieux.
Le supplicié, torse nu, en proie au froid mordant de l'hiver approchant, fut ligoté aux poteaux tandis que les tambours continuaient leur sinistre musique syncopée.
Adam se positionna debout devant son prisonnier et attendit avec nervosité qu’il reprenne ses esprits. Il ne voulait pas appeler tout de suite son collègue. Adam avait besoin de savoir, il devait se confronter au mal, face à face, comprendre pourquoi cet homme avait tué avec une telle cruauté ses victimes. Pourquoi s’était-il donné le droit d’ôter la vie à trois jeunes femmes ?
A cette vision, Alan eut le cœur serré. Il s’approcha d’elle et s’assit à ses côtés. Il connaissait ces moments de découragements et de fatigue extrême. Il les vivait aussi. Aucun mot ne pouvait apaiser cet état de quasi-tétanie. Aucune phrase réconfortante ne réussirait à soulager ce terrible accablement, il le savait.
Seuls, endormis, au beau milieu de la forêt, ils devenaient des proies faciles dans cet environnement devenus hostile.