Daniel Pouilly

p 246
24 MAI 1962

Qui sait si la tristesse qui m’envahit alors
Mêlée tout à la fois de rage et de remords
N’allait me submerger, telle une eau en furie
Et noyer à la fois mon coeur et mon esprit

C’était un soir de mai sur la côte Algérienne
Un de ces soirs de mai aux couleurs incertaines
Où la douceur intense du printemps finissant
A déjà de l’été les parfums entêtants.
Un de ces soirs de mai, de juin ou de juillet
Où un peuple vaincu, trahi et déchiré,
Fuyant les incendies, les bruits et les tumultes
Des derniers soubresauts d’une guerre civile,
Prenait, la rage au cœur, les chemins de l’exil
En traversant la mer dont il avait le culte.

Les combats étaient vains, la cause était perdue
Le déracinement était la seule issue.
Il nous fallait partir et trancher sans orgueil
Le diabolique choix de valise ou cercueil....

P 318
Mais ce qu’à l’inverse on ne peut leur pardonner c’est, à quelques rares exceptions près, leur absence de marques de solidarité, cette solidarité qu’ils savent montrer quand la Bretagne, l’Hérault ou le Vaucluse sont victimes de catastrophes. L’Algérie c’était des départements français au même titre que n’importe quel département français. Alors pourquoi cette indifférence, voire cette hostilité, au malheur des Pieds-Noirs, malheur nullement fortuit, mais parfaitement prévisible, prévu même, puisque décidé par le gouvernement. Ce n’est donc pas de Gaulle tout seul qui a voulu la fin de l’Algérie Française. C’est aussi, derrière lui, toute la société française, qui s’est en outre dépêchée de fermer les yeux sur les suites dramatiques de cet abandon. Cela ne peut appeler aucune indulgence, en tout cas pas la mienne.