DANIÈLE VALLÉE, conteuse québécoise d'origine franco-ontarienne, en spectacle au Festival interculturel du conte du Québec Extrait tourné à Montréal, au Théâtre de l'Esquisse, le 26 octobre 2007, dans le cadre du spectacle « Racontars », une création de Danièle Vallée. Danièle est accompagnée du musicien québécois Jean Cloutier.
« Sous ma fenêtre, il y a la rue. Dans la rue, il y a la vie. Dans la vie, il y a des hommes et des femmes qui ruent. Le matin, je lève le rideau et je suis au théâtre. Entre les enfants qui vont à l'école et les écureuils noirs qui se font écraser, il y a les prostituées, les tueurs à gages... Il y a les miracles. Je vous raconterai... »
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Je pensais à Marie-Léonce, me convainquant que cette fameuse parente n’avait donc pas eu de chance de venir au monde vieille, vilaine, religieuse et cuisinière de surcroît.
(Ed. David, p. 16)
Maman aime mieux sa perruche que moi. Moi aussi j’aime mieux Cricri que ma mère. Nous sommes des rivales égales. Maman et moi, nous ne sommes pas faites pour nous entendre. « Incompatibles », confirme maman. Et parfois, elle ajoute : « Tu vas me faire mourir. » Ça aussi, ça m’est égal.
(Ed. David, p. 27)
Lui (le vicaire), un esprit saint dans un corps sain. Moi, ce sera un esprit sain dans un corset. Gloire aux femmes!
(Ed. David, p. 130)
Mon frère est par ailleurs devenu un jeune homme très bien, malgré l’exhibitionnisme dont il a été blâmé à l’âge de six ans. Et pour s’assurer que sa vertu soit protégée, maman lui a acheté le livre Ce que tout jeune homme devrait savoir qu’il n’a jamais ouvert, puisque j’ai inséré entre certaines pages des fourmis séchées qui sont restées ensevelies entre les lignes. Pas d’ouvrage équivalent pour les filles. En effet, si tous les jeunes hommes savent, les filles n’ont plus rien à apprendre, car les gars sauront bien partager leur savoir avec elles, en paroles et en actes, pour sauvegarder la vertu.
C’est la prof de littérature française qui me l’a soufflé à l’oreille droite. Je l’ai bien entendue. J’écris bien, j’ai beaucoup d’imagination et une diction impeccable. D’ailleurs, ce sont les seuls trois talents qui m’ont été légués. Ce serait péché de les enfouir. Écrivaine, je serai. Romain sera si fier de moi. Il aime me lire. Mon monde imaginaire l’entraîne dans des ailleurs fascinants. C’est lui qui me l’a dit, en badinant. Farceur. Sa vérité passe par ses blagues parce qu’il refuse de s’apitoyer sur son sort.
Elle a les yeux bleus. Une blonde aux yeux bleus, mère Sainte-Pauline. C’est si rare et tant prisé, une vraie blonde aux yeux bleus : pourquoi se déguiser en corneille ? C’est mal d’enfouir ses talents. Je connais la parabole. Et pourquoi s’est-elle faite religieuse, cette belle Pauline ? Pour expier une faute grave ? Ou peut-être ses parents l’auraient-ils offerte à Dieu en échange d’un enfant mâle, eux qui n’avaient malheureusement engendré que des filles.
J’aime beaucoup le cinéma. Français et étranger surtout, pas américain. Et j’ai vu dans un film une jeune femme qui écrivait des lettres à son amoureux en se servant d’une plume trempée dans le lait sur des feuillets blancs. Quand l’amant recevait sa correspondance, il allumait une bougie et passait la lettre, qui semblait vierge, au-dessus de la flamme. Le lait roussi faisait apparaître une écriture brûlante de passion aux couleurs de mots d’amour.
C’est à quatorze ans aussi que la jalousie se met à me tenailler. Les finissantes, les grandes de seize ans, je les enviais toutes quand elles entraient au confessionnal avant nous, les petites. Elles étaient plus belles, des femmes faites, rondes, ricaneuses. Je voulais leur arracher les yeux, les lèvres, les dents, les ongles, les seins et les fesses. Je leur enviais leurs menstruations, moi qui, à quatorze ans, ne les avais toujours pas.
Justice a été rendue. C’est tout ce que tu trouves à dire. Justice qui efface toutes les traces. Toi, le surprotégé de l’Église catholique. Toi l’éternel irréprochable devant Dieu et les hommes. Ce que tu me fais à moi, c’est aussi un viol. Un viol lent, sournois. Que caches-tu sous ta robe noire, derrière la seizième boutonnière ? Le seizième bouton va-t-il sauter ? Que fais-tu quand le désir te tord le bas-ventre ?
C’est ma première lettre d’amour. Une lettre d’amourette plutôt, puisqu’à mon âge, maman l’a dit, c’est déjà les amourettes qui nous guettent tels de petits loups qui apprennent à chasser. J’ai enfermé ma lettre d’amour dans une vulgaire boîte à trésors en carton brun. Un jour, je me marierai avec Romain et nous aurons quatre ou cinq enfants. Je le maintiens. Juré, craché !