Entretien avec David Bellos
réalisé par la rédaction d'Un Livre, Un Jour.
Dans la vie en général, et dans la traduction en particulier, nous ne sommes pas toujours très doués pour calculer les effets qu'auront nos paroles et nos actes.
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Les chiens jouent un rôle important dans tous les films de Tati, particulièrement dans "Mon Oncle".
Les bêtes en question ne furent pas achetées, mais adoptées à la SPA. A la fin du tournage, Tati mit une annonce dans le journal demandant des foyers d'accueil pour des chiens qui seraient bientôt des stars de cinéma. Naturellement, les réponses affluèrent et tous ces chanceux chiens y gagnèrent une vie confortable pour le restant de leurs jours...
Avec son maintient de marionnette, Charlot est aux antipodes de M. Hulot, qui est à mi-chemin entre le patineur et le kangourou.
La propension de Hulot à se sentir coupable est le revers de l'ardeur à faire plaisir que suggèrent sa posture, son maintien et le reste de ses actions.
Hulot existe dans un espace bien à lui. Hulot est une idée, une émotion, une présence immatérielle.
En fait, dans la longue et frustrante partie de squash que disputent la traduction "littérale" et la traduction "libre", la joueuse de gauche n'existe pas. Elle n'est que l'ombre d'un autre monde, plus ancien. Mais les ombres peuvent impressionner, même quand on sait qu'elles n'existent pas.
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...de même que nous ne saurons jamais très bien ce qu'on attend dans Godot, Les vacances ne nous apprennent pas grand chose sur M. Hulot.
« Je ne traduis mot pour mot que là où l'original – y compris l'ordre de ses mots – reste pour moi complètement impénétrable. » [Saint Jérôme à propos de sa traduction de la Bible]. Et c'est ainsi, bien entendu, que les traducteurs ont toujours procédé. Dans l'ensemble, ils transmettent le sens ; quand celui-ci est obscur, le mieux qu'ils puissent faire - car, contrairement aux lecteurs ordinaires, il leur est interdit d'omettre des portions de texte – est d'offrir une représentation des mots de l'original, pris isolément.
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Vous pouvez soutenir que la traduction littéraire est facile, puisqu'en dernière analyse, on peut y faire ce qu'on veut. Ou vous pouvez affirmer que la traduction littéraire est impossible, puisque quoi que l'on fasse, on s'expose à des objections sérieuses. La traduction littéraire se distingue de toutes les autres espèces de traduction. Elle rend à ses lecteurs un genre de service tout à fait particulier. Humblement, qu'ils le veuillent ou non, mais inéluctablement, elle leur enseigne à chaque fois ce qu'est la traduction.
Un nouveau roman étranger en traduction devrait-il se conformer à la manière et au style d'un prosateur déjà connu dans la langue cible ? Pour certains critiques, il crève les yeux que non : quand les Français importent du Paul Auster, ce n'est quand même pas pour qu'on le travestisse en Patrick Modiano.
Avec Babel, on se trompe d'histoire. Selon toute vraisemblance, l'utilité première de la parole humaine fut d'affirmer la différence, non l'identité.