Le point clef de la pratique est donc de s’exercer à prendre conscience de ces instants intermédiaires, de ces moments atemporels de pure conscience, de pur élan. Nous nous identifions aux contenus, aux objets de l’expérience, mais entre chaque expérience, nous revenons à notre vraie nature libre
C’est du moins ainsi qu’Abhinavagupta interprète la célèbre phrase de l’ancienne Upaniṣad : le Soi « n’est pas ainsi, pas ainsi ! ». Cependant, ce vidage n’est pour le śivaïsme qu’une étape vers la souveraineté. Abhinava ne mentionne pas Śaṅkara. Par contre, il critique une position tout à fait semblable dans ses commentaires sur la Reconnaissance, celle de Maṇḍanamiśra. Cet examen porte sur deux points en particulier : d’une part, le Vedānta affirme que les phénomènes sont irréels et sans fondement rationnel. Mais alors, d’où proviennent ces apparences ? Et qui est ignorant, si seul existe l’absolu ? D’autre part, le Vedānta soutient que l’absolu est sans désir ni activité. Mais du coup, il devient impossible d’agir librement. L’adepte du Vedānta semble condamné à craindre la vie, se réfugiant dans une liberté abstraite, retranchée de tout. Or, que vaut une liberté si elle n’autorise pas à agir ?
Vous devenez alors pur regard, regard sans visage. Vous n’êtes plus que vision. Laissez cette vision, telle une lampe, éclairer à 360 degrés. Laissez-vous aller dans cette transparence sans fond, sans limites, comme si vous étiez ébahi, stupéfait. Vous êtes alors pure lumière, simple présence. Savourez l’intensité de cette présence, sans plus aucune séparation entre le sujet (vous) et l’objet (le ciel). Ressentez l’impact de cette contemplation sur l’ensemble de votre corps tactile, de votre être, qui s’étale à l’infini. Vous êtes le ciel, sans forme délimitée, mais lumineux, éveillé et d’une limpidité parfaite. Vous êtes une vaste ouverture, comme un écran de cinéma sans cadre ou un cristal de roche exceptionnel.
En effet, l’expérience ordinaire ne se présente pas comme un flux continu, mais comme une succession de pensées, de perceptions, d’actes, de désirs, de conjectures, de jugements… Or, chacune de ces expériences commence par un pur acte de prise de conscience de soi. Prise de conscience de soi non comme corps, comme apparence ou comme Untel, mais comme pure conscience identique à la totalité des univers possibles. Le tout premier instant de chaque expérience est prise de conscience émerveillée de soi, extase parfaite. En effet, la conscience crée des objets et des situations instant après instant. Mais elle ne peut créer une nouvelle expérience sans se libérer de la précédente et sans revenir à sa plénitude.
On doit évoquer simultanément
Le vide au-dessus (de soi) et le vide en-dessous.
Grâce à la Puissance qui ne dépend pas du corps,
On deviendra vide d'esprit.
Explication
En évoquant le vide vers le haut et vers le bas, on réalise un corps sans point d’appui. C'est l'état où la Puissance (de conscience) ne dépend plus du corps de chair.
On doit d'abord visualiser un vide absolu dans toutes les directions : au-dessus, en dessous, au sud et au nord, en se disant que"En vérité, tout ceci est l'Immense". Soyez certain que l'être de Śiva apparaîtra alors comme un fruit dans la paume de la main.
Malgré leurs tâtonnements, ne pourrions-nous pas nous intéresser à ceux qui aujourd’hui nous ouvrent de nouveaux chemins pour l’avenir ? C’est peut-être la société telle qu’elle est qui a un avenir inquiétant. Crise économique, crise morale et éducative, démultiplication des maladies psychiques, des addictions chimiques, prémisses d’une crise écologique majeure...
Qui peut exprimer clairement
Sa souveraineté absolue et son indépendance,
Et comment ?
Les êtres accomplis l’ont suggérée
Au mieux en ces termes :
Une vibration, une ivresse, une fulgurance.
Elle est un désir,
Comme un mouvement immobile,
Un ébranlement intérieur.
Se reposer dans cette (ivresse),
Telle est la suprême félicité du Grand Seigneur.
Vous êtes ciel, vous êtes lumière. Un. Simple. Ouvert. Sans rien à protéger. Totalement offert, et pourtant dans une totale sécurité. Constatez qu’il n’y a plus de séparation entre intérieur et extérieur, comme si un barrage s’était rompu. Les eaux de vous et les effluves du ciel se sont mélangés. Elles ne forment plus qu’un seul océan.
Le rituel et le yoga ne sont que des moyens de purification pour se préparer à la connaissance de l’absolu par le moyen des paroles des Upaṇiṣads. Ils font partie de l’illusion. Dès lors, ils ne peuvent nous en délivrer. Abhinavagupta se montre plus nuancé. La connaissance n’est pas le moyen suprême de se délivrer. Il y a, audessus d’elle, le pur désir. De plus, l’action rituelle est une forme de langage. Dès lors, pourquoi ne pourrait-elle mener à la prise de conscience de soi au même titre que la connaissance ?
La spiritualité implique certainement un affaiblissement de l’égocentrisme mais non pas une mise entre parenthèses du sens de sa dignité et de son sens de l’autorité personnelle. Mais, comme les listes des commissions d’enquête parlementaires sur les sectes en France sont parfois discutables, nous nous sommes efforcés de conserver une attitude ouverte, quoique lucide.