Citations de David Grossman (250)
Quand on est petit, vous savez, et qu'un adulte accepte de jouer avec vous, on a toujours peur qu'il se lasse, consulte sa montre ou ait autre chose de plus urgent à faire, non?
Mais pas ma mère. Elle ne se fatiguait jamais avant moi et, quoi qu'il arrive, je savais qu'elle ne s'interromprait jamais la première.
C'est quelque chose qui vous insuffle de la force pour toute la vie, quelque chose qui vous rend heureux, hein?
Elle était très jeune, ignorant que l’on pouvait faire l’amour dans les rires. Elle ne savait pas non plus que son corps était aussi insouciant, espiègle et joyeux.
Qu’est-ce qui fait que deux êtres forment un couple ? Une étincelle ? Un attachement ? Une appartenance ? Un battement de paupières rêveur accompagnant un regard apparemment anodin ? Tout est possible. Mais le plus important : la sensation d’être chez soi.
Les familles...Tant de variables, de parenthèses, de multiplications par des puissances, toutes ces complications, ce besoin constant d'être "en relation" avec tous les autres membres de cette famille, à n'importe quel moment, de jour comme de nuit, même en rêve.
C'est comme recevoir en permanence des décharges électriques, ou vivre dans un éternel orage.
Quand les enfants étaient petits, ils adoraient étendre le linge ensemble à la nuit tombée - la dernière tâche domestique après une dure journée.
Ils transportaient la grande bassine dans le jardin, face aux champs obscurs.
Le grand figuier et les grévilléas bruissaient doucement d'une vie riche et mystérieuse, tandis que les cordes ployaient sous de minuscules vêtements, pareils à des hiéroglyphes en miniature : chaussettes microscopiques, bodys, chaussons, pantalons à bretelles, salopettes aux couleurs vives.
Je suis convaincu qu’ils se seraient depuis longtemps levés pour partir, voire qu’ils auraient sorti le clown de scène à coups de sifflets et de huées, n’était la tentation à laquelle il est si difficile de résister : la tentation de lorgner l’enfer d’autrui.
Je veux être prêt pour la prochaine fois que cela arrivera. Pas seulement pour pouvoir me séparer des autres sans trop souffrir, mais pour pouvoir aussi me séparer de moi-même. Je voudrais être capable d’effacer tout ce qui, en moi, menacé d’annihilation, d’avilissement, pourrait provoquer une douleur intolérable. (p.178)
Elle qui, chaque fois qu'elle passait de la 4e à la 3e vitesse, paniquait à l'idée d'avoir enclenché la marche arrière, voilà qu'elle donnait la vie à une autre personne !
« Un poème, c’est comme un flirt, me dit-elle en souriant dans le noir, un roman ressemble davantage au mariage : tu vis avec les personnages longtemps après que l’amour et le désir des débuts se sont éteints » (p.173)
Faire un petit pli dans la mémoire, c'est ce que signifie un secret.
Vous connaissez tous cette situation : vous chopez une saloperie vraiment sérieuse, qui se développe et dégénère, et là tout le monde vous dit que c'est pas si grave, au contraire. Chacun a entendu parler de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui vit très bien avec une sclérose en plaques ou un cancer depuis vingt ans déjà, et qui s'éclate dans l'existence ! Même que ça a amélioré sa vie ! Et on cherche tellement à te convaincre que c'est bon, super, génial, que tu en viens à penser : quel idiot j'ai été de ne pas attraper cette sclérose en plaques plus tôt ! Quelle vie de dingue j'aurais pu avoir elle ! Quel duo merveilleux nous aurions formé !
Ecrire et lire, c'est accepter de regarder la souffrance de l'autre "
« Tu comprendras quand tu seras grand », manque-t-elle de dire. Au fond, c’est le contraire, elle le sait : Tu comprendras quand tu seras petit, quand tu redeviendras un enfant, conjurant les ombres menaçantes et les cauchemars par des pactes stupides, et peut-être que tout s’éclairera à ce moment-là.
Ada a eu un accident la nuit précédente à Ramat Gan, annonça-t-il. Elle traversait la rue au moment où passait un bus…
Alors c’est en classe que tu as appris la nouvelle ?
Oui.
Ce n’est pas possible.
Si.
(…)
Chaque élève a rédigé quelques lignes à la mémoire d’Ada. Moi aussi. Le prof de littérature les a ramassées, elle les a reliées et les a envoyées à ses parents.
(…)
Ora dodelina de la tête, le corps secoué de spasmes.
Je n’avais jamais parlé d’elle à personne avant, et elle…On n’y a plus jamais ait allusion en classe, pas une seule fois en deux ans…
Elle renversa soudain la tête en arrière et se mit à la cogner en cadence contre le mur : Comme-bang-si-bang-elle-bang-n’a-bang-vait-bang-ja-bang-mais-bang-exis-bang-té.
Elle avait trompé son monde et dormi tout éveillée, une vraie somnambule. Quel exploit ! La reine de la triche ! Championne du monde du somnambulisme !
(…)
Ses mains, ses pieds, ses lèvres remuaient constamment, une vraie pipelette, bref, elle faisait beaucoup de bruit, s’agitait en tous sens, mais son esprit ressemblait à une coquille vide, et son corps à un désert aride.
La vie continuait. Incroyable, mais c’était ainsi. Son corps se mouvait mécaniquement – elle mangeait, buvait, marchait, s’asseyait, se levait, dormait, déféquait, riait…Seulement, un an après la mort d’Ada, ses orteils étaient devenus insensibles. Parfois, le phénomène se prolongeait pendant des heures et gagnait sa main gauche. Et les cuisses et le dos. Elle avait beau se gratter, elle ne sentait rien du tout. Elle ne s’en était ouverte à personne. Comment l’aurait-elle pu ?
Il y avait un trou, pensa-t-elle, frissonnante et glacée. Et ce n’était pas nouveau. Comment avait-elle pu ne rien remarquer ? Depuis la disparition d’Ada, il y avait un trou en forme d’Ora à sa place habituelle.
Non mais, soyons sérieux ! s’écrie-t-il en accélérant encore d’un cran son débit. Vous savez ce que ça représente aujourd’hui d’entretenir une âme, une conscience ? Attention, article de luxe ! Faites le compte et vous verrez que cela revient plus cher qu’un SUV ! Et je vous parle d’une âme, d’une conscience normale, pas de celle de Shakespeare, Tchekhov ou Kafka. À propos, c’était de la bonne qualité, du moins c’est ce qu’on m’en a dit, parce que moi, personnellement, je n’ai rien lu de ce qu’ils ont écrit.
Le bras d'Ora est douloureux à force de serrer le téléphone humide entre ses doigts, à croire qu'Avram pèse de tout son poids à l'intérieur du combiné.
(...)
- Alors, pourquoi ne l'ont-ils pas libéré? hurle-t-il.
On croirait qu'un lance-flammes l'attaque à travers l'écouteur.
(...)
Il y a de la friture sur la ligne, interférences du temps et de la mémoire. Ora redessine les motifs du tapis du bout de l'index. On devrait chercher un jour pourquoi passer le doigt sur un tapis de laine suffit à ranimer les souvenirs et les regrets, médite-t-elle avec amertume.
(...)
- Ora..., reprend Avram avec difficulté, comme s'il se hissait hors d'un puits. je ne peux pas rester seul.
– Regarde-nous, glisse-t-il. On dirait deux petits vieux.
– L’essentiel, c’est de ne pas vieillir avant de grandir.
Keskili ?
Un premier souvenir de lecture ?
Mon père me lisant un livre sur une réunion d'animaux dans la forêt.
Un chef-d'oeuvre méconnu que vous portez aux nues ?
Gentleman Overboard,d'Herbert Clyde Lewis (1937, non traduit).
L'auteur avec qui vous aimeriez passer une soirée ?
J'en vois trois : Paul Auster, -Margaret Atwood, Colm Toibin.
Un livre récent que vous rêvez de lire ?
2666,de Roberto Bolaño, qui vient de paraître en hébreu (Christian Bourgois, 2008).
Le livre qui vous a fait manquer votre station ?
Austerlitz, de W. G. Sebald (Actes Sud, 2002).
Celui dont vous souhaiteriez être le héros ?
Winnie l'Ourson, de A. A. Milne (1926 ; Hachette, 1967).
Celui qui vous réconcilie avec l'existence ?
Je le cherche encore.
Celui que vous offrez à tout le monde ?
La Storia,d'Elsa Morante (Gallimard, 1977).
Celui qui vous fait rire ?
J'en vois deux : Pnine,de Vladimir Nabokov (Gallimard, 1962) et Trois hommes dans un bateau,de Jerome K. Jerome (Firmin-Didot, 1894).
Le roman dont vous aimeriez écrire la suite ?
Le Vent dans les saules,de Kenneth Grahame (Armand Colin, 1935 ; -Gallimard, 1967).
L'auteur que vous aimeriez lire dans sa langue ?
Bruno Schulz.
Votre endroit préféré pour lire ?
Dans mon lit ou sur ma terrasse.
David Grossman
… je ne peux plus continuer comme ça. Toutes ces histoires. Toutes ces atrocités. Comment est-il possible de continuer à vivre dans ce monde et de croire en l’humanité après avoir appris ce qui s’est passé? (p.118)
Le coeur me fend,
Mon trésor,
A la seule pensée
Que j’ai -
Peut-être -
Trouvé des mots
Pour le dire