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Critiques de David Hahn (1)
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Private Beach

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les chapitres initialement publiés par Antartic Press en 1995, ceux publiés par Slave Labor Graphic entre 2001 et 2003, tous écrits, dessinés et encrés par David Hahn. Il s'agit d'un comics en noir & blanc. Il débute par une introduction de deux pages écrite par Jeff Parker, puis une deuxième d'une page de Hahn expliquant que cette réédition lui a permis de réaliser le denier chapitre de l'histoire.



En mai 1978, Trudy Honeyvan, une jeune adolescente fait un tour de vélo de nuit dans la banlieue pavillonnaire où résident ses parents. Il se produit un phénomène étrange : un léger tremblement, et elle voit passer une soucoupe volante au-dessus de sa tête. Puis sa copine Sharona Cupkey l'appelle par la fenêtre pour voir l'épisode de Bionic Woman. Au temps présent, elles sont attablées dans un diner, en train d'évoquer le paradoxe temporel au cœur de la série de films La planète des singes. Puis elles se rendent dans la librairie spécialisée de comics pour regarder les nouveautés. Trudy ne trouve pas ce qu'elle souhaite et le demande au vendeur qui lui répond en la prenant de haut. Elle a tôt fait de le remettre à sa place et de lui faire accepter de le commander. Elle n'a aucune intention de revenir le prendre. Puis elles se rendent à la plage en voiture, Sharona ayant pris le volant. Elles doublent un car scolaire rempli d'adolescents boutonneux qui regardent ces spécimens féminins avec insistance. Arrivées au parking de la plage, elles sont interpellées par un beau jeune homme qui les informe qu'il est chargé de collecter le prix du stationnement fixé par la municipalité. Trudy lui répond du tac au tac : il est incapable de prouver qu'il travaille pour la mairie, c'est donc une escroquerie. Il nie tout, mais c'en est bien une et il se fera choper par la police quelques dizaines de minutes plus tard.



Trudy et Sharona se mettent en maillot et s'allongent sur leur serviette. Elles sont rejointes par leur copain Junior, et elles se mettent à porter des jugements de valeur à l'emporte-pièce sur les personnes qui passent devant eux. Junior et Sharona vont chercher des glaces. Trudy observe autour d'elle, voit deux hommes en costume qui la regardent, puis qui s'en vont. Puis elle demande à ses amis d'aller voir la remise à l'eau d'une otarie par un groupe scolaire qui l'a soignée. La cérémonie se déroule tranquillement et l'animal rejoint la mer. Peu de temps après elles la voient se faire happer et croquer par un orque. Un autre jour, Trudy a terminé sa matinée de travail et elle laisse les consignes à son collègue car elle a pris son après-midi : il n'emmène pas large car ça lui semble très compliqué. Elle part sous le regard désapprobateur de sa cheffe Becky. Elle prend le train de banlieue, dans une rame avec peu de voyageurs. Elle s'assoit confortablement, et se fait accoster par Guy Mooney, un garçon qui était dans le même lycée qu'elle. En réponse à sa question de politesse, il répond que sa mère est morte d'un cancer, et que son job du moment consiste à mettre des prospectus sous les essuie-glaces des voitures. Comme elle s'apprête à descendre, il lui doit qu'ils se reverront peut-être dans le train un autre jour.



Pendant une période de deux / trois ans au milieu des années 2010, l'éditeur Dover s'est mis à exhumer des comics plus ou moins récents suivant une politique éditorial indéfinissable. C'est ainsi qu'il est donné au lecteur de (re)découvrir cette œuvre d'un auteur de comics peu prolifique, lui donnant même l'opportunité de terminer son histoire. Celle-ci a été conçue et racontée sur une huitaine d'années, entre 1996 et 2003, pour être terminée 10 ans plus tard. Le lecteur peut donc noter une évolution dans la manière de dessiner. Mais en fait passées les 10 premières pages, l'artiste a trouvé ses marques et l'évolution par la suite s'avère minime. Les dessins sont de nature descriptive et réaliste, avec un bel usage des aplats de noir, pour les chevelures, les vêtements, les ombrages, contrastés avec le blanc, mais aussi avec des zones en nuance de gris. Cette approche naturaliste avec de contours parfois élégants, sans être systématiquement arrondis, peut évoquer ceux de Jaime Hernandez, toute proportion gardée. Les cases sont souvent un peu plus chargées, et les personnages moins naturels, moins évidents.



En termes d'environnement, l'histoire se déroule dans une ville de moyenne importance de la côte ouest des États-Unis, non loin de l'océan. Les personnages se trouvent généralement dans un milieu urbain, des maisons ou de petits immeubles, sans beaucoup de personnalité, régulièrement dans la rue et parfois dans des lieux plus spécifiques. Ainsi le lecteur les accompagne à la plage, dans les transports en commun, sur un green de golf, dans un bureau, dans un diner, dans une chambre d'hôpital, dans une discothèque, dans l'appartement de Trudy, sur une highway traversant un désert. Le lecteur observe que le dessinateur a un goût pour certains aménagements, en particulier les diners, et les appartements avec des mobiliers et des accessoires particuliers. Il adapte le niveau de détail en fonction de la nature de la séquence, tout en prenant soin de représenter les arrière-plans dans plus de 90% des cases. Il peut le faire sous la forme de quelques traits de rappel derrière les personnages, comme se montrer très minutieux dans les détails, par exemple pour attester de l'absence de tout rangement dans l'appartement d'un ami de Trudy, avec des restes de nourriture, de cartons, de boîtes jonchant tout le salon et la cuisine.



David Hahn se montre tout aussi habile à insuffler de la vie dans ses personnages. Trudy et Sharona sont deux belles jeunes femmes d'une vingtaine d'années avec un corps différent, une coupe de cheveux différentes. Elles changent régulièrement de tenue d'un jour à l'autre, pour des vêtements bon marché qui leur vont bien. L'artiste ne les réduit jamais à un simple objet du désir : elles font preuve d'un solide caractère et sont légèrement cyniques, mais sans être blasées. Elles côtoient leurs amis, des connaissances et il leur arrive d'interagir avec des inconnus. Tous s'inscrivent dans un registre naturaliste, que ce soit pour leur apparence, ou leur comportement. Ils sont tous distincts et faciles à reconnaitre, normaux, sans être fades. En les observant, le lecteur peut voir qu'ils évoluent dans le monde sans souci financier, avec un travail régulier leur assurant un revenu leur permettant d'avoir des loisirs, sans rien de luxueux. Il prend plaisir à suivre leur quotidien, chaque chapitre correspondant à une situation différente, sans impression de train-train ou de redite.



Après l'apparition de la soucoupe volante dans l'enfance de Trudy, le quotidien banal reprend ses droits. Il y a peu de phénomènes bizarres : les deux hommes en noir qui apparaissent à trois reprises, moins de cinq rencontres fortuites avec Guy Mooney et un message qui apparaît une demi-douzaine de fois à Trudy dans des modalités différentes, y compris sur sa boule magique (8-ball) : nous t'observons. Du coup, l'intérêt du lecteur se reporte sur le quotidien de Trudy : rencontrer un copain du lycée, accepter un boulot d'hôtesse dans une boîte de nuit où il s'agit juste d'accompagner les clients qui lui demandent l'antre dorée, papoter avec sa copine Sharona, rendre visite à un copain qui a perdu sa jambe gauche en dessous du genou, assister à une journée de travail de Sharona à l'hôpital, croiser une copine d'école primaire qui ne reconnaît pas Trudy, permettre de mettre fin à un cambriolage, convoyer une belle voiture jusqu'à son nouveau propriétaire en effectuant un arrêt touristique. David Hahn sait maintenir l'intérêt du lecteur pour ces moments normaux de la vie de Trudy, mais qui sortent vraisemblablement du quotidien du lecteur, grâce une protagoniste sympathique, et une narration visuelle simple qui montre les choses et le gens.



Le dernier chapitre vient conclure l'histoire par une séquence qui sort de la banalité du quotidien pour expliquer les quelques éléments bizarres de la vie de Trudy Honeyvan. Cette dernière ne perd pas son calme pour autant et continue d'avancer à son rythme pour se confronter à la situation extraordinaire dans laquelle elle se retrouve. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut y voir une aventure bien étrange, ou une métaphore de la relation que Trudy entretient avec la réalité, avec les autres êtres humains de son entourage. La dernière page vient relativiser l'importance de cette révélation car la vie continue.



Le lecteur se retrouve assez curieux de découvrir les mérites d'une histoire qui lui ont valu d'être rééditée treize ans après la publication du dernier épisode, et de bénéficier d'un nouveau chapitre pour la clore en bonne et due forme. Il sait qu'elle n'est pas inscrite au patrimoine de l'Histoire des comics. Il découvre un récit essentiellement naturaliste, pour suivre une jeune femme dans des situations banales tout en sortant de l'ordinaire, le renvoyant à des passages de sa vie similaires, avec une narration visuelle sympathique. Il se dit que cette histoire constitue à la fois un témoignage de ce que pouvait produire les comics indépendants de l'époque, et une preuve de leur prise d'indépendance d'avec les superhéros sur-représenté dans les comics.
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