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3.94/5 (sur 8 notes)

Nationalité : Royaume-Uni
Né(e) à : Blantyre, Écosse , le 19/03/1813
Mort(e) à : Près du lac Bangwelo, Zambie , le 01/05/1873
Biographie :

David Livingstone est un missionnaire, explorateur et médecin écossais.

Issu d'une famille modeste, Livingstone travaille dans une manufacture de coton dès l'âge de dix ans et s'instruit en suivant les cours d'une école du soir, formation qu'il complète par de nombreuses lectures personnelles.

Vers sa vingtième année, il décide de devenir missionnaire et étudie la médecine et la théologie à Glasgow puis à Londres.

Membre de la London Missionary Society, il s'embarque pour l'Afrique du Sud et s'établit à la mission de Kourouman (juillet 1841) d'où il parcourt le Bechuanaland, nouant des rapports amicaux avec les indigènes dont il apprend les langues, observe les mœurs et pour lesquels il crée des écoles confiées à des maîtres africains.

Poursuivi par son besoin d'aventure, il se lance dans l'exploration du continent. Il découvre alors les chutes Victoria en 1855 dans le cours du Zambèze. Dès lors, ce grand missionnaire explorateur multipliera les découvertes, toujours en Afrique (lacs Shirwa, Nyassa, Meoro et Bangweolo).

Alors qu'il ne donne plus aucun signe de vie, le journaliste américain Stanley part à se recherche. Il le rejoint enfin à la fin de l'année 1871.

Livingstone meurt d'une maladie en 1873. Ses journaux seront publiés à titre posthume.
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Source : www.linternaute.com
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
L’éducation du monde est terrible, et se fait en Afrique avec une rigueur implacable, depuis les temps les plus reculés. Ce que deviendront les Africains après cette effroyable leçon est dans les secrets de la Providence ; mais ce sera sans doute un merveilleux pays ; quelque chose de très grand, comme à l’époque de Tirkaba et Zerah.
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Halimah, la ménagère du docteur, n'en revenait pas. Elle qui avait eu peur que son maître n'appréciât jamais ses talents culinaires, faute de le pouvoir ! Et le voilà qui mangeait, mangeait, mangeait encore ! Son ravissement tenait du délire.
Nous entendions sa langue courir à toute vapeur, rouler et claquer, pour transmettre à la foule le fait incroyable dont elle l'ébahissait.
J'étais arrivé à une entière réplétion; et Livingstone finit par convenir qu'il avait assez mangé. Nous continuâmes à parler de choses et d'autres, principalement de la déception qu'il avait éprouvée lorsque, en arrivant à Oujiji, il s'était vu sans ressources. En outre, une dysenterie fort grave l'avait mis dans un état déplorable; et depuis trois semaines qu'il était là, c'était à peine si l'amélioration était sensible. Toutefois, il avait bien mangé, et se trouvait déjà plus fort.
Comme tous les autres, cet heureux jour finit par s'éteindre. Nous regardions, tout en causant, l'ombre envahir les palmiers, ramper au flanc des montagnes que j'avais franchies le matin, et qui s'effaçaient rapidement. Pleins de gratitude pour Celui qui dispense tout bonheur, nous écoutions le roulement des vagues et tous les bruits du soir.
Des heures passèrent; nous étions toujours là, l'esprit occupé des événements du jour. Tout à coup, je me rappelai ses dépêches, qu'il n'avait pas lues.
- "Docteur", lui dis-je, "et vos lettres ? Je ne vous retiens pas plus longtemps."
- "Oui", répondit-il, "je vais les lire. Il est tard. Bonsoir, et que Dieu vous comble de ses bénédictions."
- "Bonne nuit, docteur; permettez-moi d'espérer que les nouvelles que vous allez apprendre seront au gré de vos désirs."
Et maintenant, lecteur, que vous savez comment j'ai retrouvé Livingstone, à vous aussi, je souhaite le bonsoir.

("Comment j'ai retrouvé Livingstone")
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Notre expédition est la première, nous le croyons du moins, qui ait vu la traite au lieu même de son origine et l'ait suivie dans toutes ses phases; c'est pour cela que nous avons décrit avec tant de détails les diverses pratiques de cet odieux négoce.
On a dit que la vente de l'homme était soumise, comme toutes les autres, à la loi commerciale de l'offre et de la demande, et devait par conséquent rester libre. Cette assertion a été risquée parce que nul ne pouvait la démentir. Mais, nous l'affirmons à notre tour : cette vente est la cause de tant de meurtres qu'elle ne mérite pas plus d'être classée parmi les branches de commerce que le vol de grand chemin, l'assassinat ou la piraterie.
Tout d'abord, c'est une pénalité : le coupable seul est vendu; et l'on peut y voir un acte de justice. La peine atteint bientôt les accusés de sorcellerie; puis l'enfant d'un pauvre est saisi en paiement d'une dette ou d'une amende : tout cela au nom du chef, et à titre légal.
Viennent ensuite les voleurs qui, soit isolément, soit par groupe, enlèvent les enfants des hameaux voisins quand les pauvres petits vont puiser de l'eau ou chercher du bois.
Nous avons vu des districts où chaque demeure était entourée d'une estacade, et les habitants n'y étaient pas en sûreté.
Ces rapts, d'abord partiels, amènent des représailles; les bandes se forment, la lutte grandit. Ce qui avait lieu de village à village se passe de tribu à tribu. Le parti le plus faible devient errant, se procure des armes en vendant ses captifs, attaque les tribus paisibles et n'a plus d'autre emploi que d'approvisionner les marchés de la côte.
Des Arabes et des métis portugais viennent en outre chercher le bétail humain qu'ils ont fait recueillir et stimulent l'activité des pourvoyeurs. Parmi ces derniers, se remarquent les Ajahouas et les Babisas, qui ont à la fois le goût du trafic et des voyages.
L'effet de cet odieux commerce est visible chez tous ceux qui le pratiquent; ainsi les Babisas et les Ajahouas, d'une intelligence supérieure à la plupart des gens de leur race, sont tellement pervertis par leur affreux négoce, qu'on les a vus troquer leurs nouvelles épouses ou leurs propres filles pour une dent d'éléphant qui leur plaisait. Ceux de leur tribu, qui ont une vie sédentaire et n'ont jamais trafiqué de leurs semblables, s'indigneraient au seul récit de pareilles énormités.
Enfin, nous voyons la traite prendre un nouvel essor par le fait d'Européens qui, sans le vouloir, offrent un débouché à l'exportation de l'indigène. Des bandes armées, conduites par des agents commerciaux, appartenant à des Arabes et à des Portugais de la côte, sont expédiées dans l'intérieur avec de grandes quantités de mousquets, de munitions, de grains de verre et de cotonnade. Ces derniers articles servent, au début du voyage, à payer les frais de route et à faire des achats d'ivoire. Très souvent, ainsi que nous l'avons vu, la bande conserve le caractère commercial pendant une grande partie de la tournée. En pareil cas, elle s'installe dans un lieu favorable aux affaires, s'entend avec le chef et cultive un champ d'une certaine étendue; mais il n'est pas une de ces caravanes qui n'ait accompagné les indigènes dans leurs razzias et n'ait attaqué une peuplade quelconque avec l'intention d'y faire des captifs. Nous n'avons pas un seul exemple du contraire. Le fait est si commun qu'il en résulte une dépopulation effrayante. L'arc et les flèches ne tiennent pas contre le mousquet; la fuite des habitants, la famine et la mort s'ensuivent. Nous répétons ce que nous avons dit plus haut avec une ferme conviction, qu'il n'est pas un cinquième des victimes de ces chasses, souvent même un dixième, qui arrive à Cuba ou partout ailleurs et profite de ces bons maîtres que leur destine la Providence; car c'est ainsi que les possesseurs d'esclaves interprètent les Écritures.
Ce dernier système des bandes guerrières et trafiquantes est celui des Portugais de Têté; et le carnage qu'il a mis sous nos yeux défie toute description. Comme tous les médecins, nous avions assisté à des scènes bien douloureuses; le spectacle de la mort nous était familier; mais les horreurs produites par le commerce de l'homme dépassent tout ce que nous aurions pu croire.
Nous avons montré le double courant de cet odieux négoce, tel qu'il se faisait sous nos yeux !une partie des esclaves remontant le Zambèze, tandis que le reste se dirigeait vers la côte. Les femmes, expédiées dans l'intérieur, s'y vendaient jusqu'à deux arrobas (soixante-quatre livres) d'ivoire. Une grande partie des hommes étaient envoyés à l'île de la Réunion.
Si nous reparlons de ce sujet pénible, c'est qu'il est important de faire observer que tout cela s'est fait sous la direction d'un esprit aussi éclairé que prévoyant. En voulant suppléer par des Africains aux ouvriers qui manquaient à la Réunion, Napoléon III ne songeait qu'à des émigrants volontaires. Sur chaque navire était un préposé chargé de veiller à ce que l'engagement fût équitable et librement consenti; à ce que la nourriture fût saine, en quantité suffisante, et le nombre des passagers en rapport avec l'espace qu'ils devaient occuper.
Malgré tous les soins de l'Empereur, cette mesure n'a jamais été que la traite sous la forme la plus grave; et le trafic maudit a d'autant mieux prospéré qu'il était soutenu par un gouvernement énergique et puissant. Honneur à Napoléon III pour avoir délivré les Français de toute participation à la vente de l'homme; honneur au gouvernement britannique pour lui avoir démontré les maux qu'il faisait naître, sans en avoir conscience, et pour avoir facilité l'émigration des coolies hindous au prix d'un sacrifice considérable.
On pourrait croire que les effets que nous attribuons au système des "engagés" sont le résultat d'une méprise; mais nous n'avons rien dit que nous n'ayons vu, rien avancé dont nous n'ayons la preuve.

("Expédition du Zambèze et de ses Affluents")
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Trois cents mètres nous séparent encore du village. La foule augmente; on se presse autour de moi. Tout à coup, au milieu des yambos, j'entends dire à ma droite:
- "Good morning, sir !"
Je tourne vivement la tête, cherchant qui a proféré ces paroles; et je vois une figure du plus beau noir, celle d'un homme tout joyeux, portant une longue robe blanche, et coiffé d'un turban de calicot, un morceau de mérikani
autour de sa tête laineuse.
- "Qui diable êtes-vous ?" demandé-je.
- "Je m'appelle Souzi; le domestique du docteur Livingstone", dit-il avec un sourire qui découvrit une double rangée de dents éclatantes.
- "Le docteur est ici ?"
- "Oui, monsieur."
- "Dans le village ?"
- "Oui, monsieur."
- "En êtes-vous sûr ?"
- "Très sûr; je le quitte à l'instant même."
- "Le docteur va bien ?"
- "Non, monsieur."
- "Allez prévenir le docteur."
- "Oui, monsieur."
Et il partit comme une flèche.
Nous étions encore à deux cents pas; la multitude nous empêchait d'avancer. Des Arabes et des Vouangouana écartaient les indigènes pour venir me saluer, car d'après eux j'étais un des leurs.
- "Mais comment avez-vous pu passer ?"
C'était là leur surprise.
Souzi revint bientôt, toujours courant, me prier de lui dire comment on m'appelait. Le docteur, ne voulant pas le croire, lui avait demandé mon nom; et il n'avait su que répondre.
Mais pendant les courses de Souzi, la nouvelle que cette caravane, dont les fusils brûlaient tant de poudre, était bien celle d'un blanc, avait pris de la consistance. Les plus marquants des Arabes du village, Mohammed ben Séli, Séid hen Medjid, Mohammed ben Ghérib, d'autres encore, s'étaient réunis devant la demeure de Livingstone; et ce dernier était venu les rejoindre pour causer de l'événement.
Sur ces entrefaites, la caravane s'arrêta, le Kirangozi en tête, portant sa bannière aussi haut que possible.
- "Je vois le docteur, monsieur", me dit Sélim. "Comme il est vieux !"
Que n'aurais-je pas donné pour avoir un petit coin de désert où, sans être vu, j'aurais pu me livrer à quelque folie : me mordre les mains, faire une culbute, fouetter les arbres; enfin donner cours à la joie qui m'étouffait ! Mon cœur battait à se rompre; mais je ne laissais pas mon visage trahir mon émotion, de peur de nuire à la dignité de ma race.
Prenant alors le parti qui me parut le plus digne, j'écartai la foule, et me dirigeai, entre deux haies de curieux, vers le demi-cercle d'Arabes devant lequel se tenait l'homme à barbe grise.
Tandis que j'avançais lentement, je remarquais sa pâleur et son air de fatigue. Il avait un pantalon gris, un veston rouge et une casquette bleue, à galon d'or fané. J'aurais voulu courir à lui; mais j'étais lâche en présence de cette foule. J'aurais voulu l'embrasser; mais il était anglais, et je ne savais pas comment je serais accueilli.
Je fis donc ce que m'inspiraient la couardise et le faux orgueil : j'approchai d'un pas délibéré, et dis en ôtant mon chapeau :
- "Docteur Livingstone, je présume ?"
- "Oui", répondit-il en soulevant sa casquette, avec un bienveillant sourire.
Nos têtes furent recouvertes, et nos mains se serrèrent.
- "Je remercie Dieu", repris-je, "de ce qu'il m'a permis de vous rencontrer.
- "Je suis heureux", dit-il, "d'être ici pour vous recevoir".
Je me tournai ensuite vers les Arabes, qui m'adressaient leurs yambos, et que le docteur me présenta, chacun par son nom. Puis oubliant la foule, oubliant ceux qui avaient partagé mes périls, je suivis Livingstone.
Il me fit entrer sous sa véranda, simple prolongation de la toiture, et m'invita de la main à prendre le siège dont son expérience du climat d'Afrique lui avait suggéré l'idée : un paillasson posé sur la banquette de terre qui représentait le divan, une peau de chèvre sur le paillasson, et pour dossier, une autre peau de chèvre, clouée à la muraille, afin de se préserver du froid contact du pisé. Je protestai contre l'invitation; mais il ne voulut pas céder; et il fallut obéir.
Nous étions assis tous les deux. Les Arabes se placèrent à notre gauche. En face de nous plus de mille indigènes se pressaient pour nous voir, et commentaient ce fait bizarre de deux hommes blancs se rencontrant à Oujiji, l'un arrivant du Manyéma, ou du couchant, l'autre de l'Ounyanyembé, ce qui était venir de l'est.
L'entretien commença. Quelles furent nos paroles ? Je déclare n'en rien savoir. Des questions réciproques, sans aucun doute.
- "Quel chemin avez-vous pris ?"
- "Où avez-vous été depuis vos dernières lettres ?"
Oui, ce fut notre début, je me le rappelle; mais je ne
saurais dire ni mes réponses, ni les siennes; j'étais trop absorbé. Je me surprenais regardant cet homme merveilleux, le regardant fixement, l'étudiant et l'apprenant par cœur. Chacun des poils de sa barbe grise, chacune de ses rides, la pâleur de ses traits, son air fatigué, empreint d'un léger ennui, m'enseignaient ce que j'avais soif de connaître, depuis le jour où l'on m'avait dit de le retrouver. Que de choses dans ces muets témoignages, que d'intérêt dans cette lecture !
Je l'écoutais en même temps. Ah ! Si vous aviez pu le voir et l'entendre ! Ses lèvres, qui n'ont jamais menti, me donnaient des détails. Je ne peux pas répéter ses paroles, j'étais trop ému pour les sténographier. Il avait tant de choses à dire qu'il commençait par la fin, oubliant qu'il avait à rendre compte de cinq ou six années. Mais le récit débordait, s'élargissant toujours, et devenait une merveilleuse histoire.
Les Arabes se levèrent, comprenant, avec une délicatesse dont je leur sus gré, que nous avions besoin d'être seuls.
Je donnai des ordres pour que mes gens fussent approvisionnés; puis je fis appeler Kéif-Halek, et le présentai au docteur en lui disant que c'était l'un des soldats de sa caravane, restée à Kouihara, soldat que j'avais amené pour qu'il remit en mains propres les dépêches dont il était chargé. C'était le fameux sac, daté du 1er novembre 1870, et qui arrivait trois cent soixante-cinq jours après sa remise au porteur. Combien de temps serait-il resté dans l'Ounyanyembé, si je n'avais pas été envoyé en Afrique ?
Livingstone ouvrit le sac, regarda les lettres qui s'y trouvaient, en prit deux qui étaient de ses enfants, et son visage s'illumina.
Puis il me demanda les nouvelles.
- "D'abord vos lettres, docteur; vous devez être impatient de les lire."
- "Ah !" dit-il, "j'ai attendu des lettres pendant des années j'ai maintenant de la patience; quelques heures de plus ne sont rien. Dites-moi les nouvelles générales; que se passe t-il dans le monde ?"
- "Vous êtes sans doute au courant de certains faits; vous savez, par exemple, que le canal de Suez est ouvert, et que le transit y est régulier entre l'Europe et l'Asie ?"
- "J'ignorais qu'il fût achevé. C'est une grande nouvelle. Après ?"
Et me voilà transformé en annuaire du globe, sans avoir besoin ni d'exagération, ni de remplissage à deux sous la ligne; le monde a vu tant de choses, et tant de choses sur prenantes dans ces dernières années ! Le chemin de fer du Pacifique, Grant président des États-Unis, l'Égypte inondée de savants, la révolte des Crétois, le Danemark démembré, l'armée prussienne à Paris, la dynastie des Napoléon éteinte par Bismarck et par de Moltke, la France vaincue.
Quelle avalanche de faits pour un homme qui sort des forêts vierges du Manyéma ! En écoutant ce récit, l'un des plus émouvants que l'histoire ait jamais permis de faire, le docteur s'était animé; le reflet de la lumière éblouissante que jette la civilisation éclairait son visage.
Combien les petits actes des États barbares pâlissaient devant ceux-là ! Et qui pouvait dire sous quelles nouvelles phases s'agitait l'Europe, tandis que, isolés de tous, deux de ses enfants s'entretenaient de ses dernières gloires, de ses derniers malheurs ? Plus digne de les raconter, peut être, eût été un Démodocus; mais, en l'absence du poète, le reporter s'en acquitta de son mieux et le plus fidèlement possible.
Peu de temps après leur départ, les Arabes nous avaient envoyé leurs présents, sous forme de nourriture : Séid ben Medjid, des gâteaux de viande hachée, espèces de rissoles; Mohammed, un poulet au cari; Moéni, une étuvée de riz et de chèvre. Les dons se succédaient; et, à mesure qu'ils étaient apportés, nous les attaquions énergiquement. J'ai des facultés digestives de premier ordre, que l'exercice avait fortement aiguisées, il n'était pas étonnant que j'en fisse usage. Mais Livingstone, qui se plaignait d'avoir perdu l'appétit, de ne pouvoir digérer au plus qu'une tasse de thé, de loin en loin, Livingstone mangeait aussi, mangeait comme moi, en homme affamé, en estomac vigoureux; et tout en démolissant les gâteaux de viande, il répétait :
- "Vous m'avez rendu la vie, vous m'avez rendu la vie."
- "Oh ! Par George, quel oubli !" m'écriai-je. "Vite Sélim, allez chercher la bouteille; vous savez bien. Vous prendrez les gobelets d'argent."
Sélim revint bientôt avec une bouteille de Sillery que j'avais apportée pour la circonstance; précaution qui m'avait souvent paru superflue. J'emplis jusqu'au bord la timbale de Livingstone, et versai dans la mienne un peu du vin égayant.
- "À votre santé, docteur."
- "À la vôtre, monsieur Stanley."
Et le champagne que j'avais précieusement gardé pour cette heureuse rencontre fut bu, accompagné des vœux les plus cordiaux, les plus sincères.
Nous parlions, nous parlions toujours, les mets ne cessaient pas de venir; tout l'après-midi, il en fut ainsi.

("Comment j'ai retrouvé Livingstone")
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Je restai là pendant deux jours. Un de mes hommes, nommé Jako, avait déserté avec l'une de mes carabines; j'avais envoyé à sa recherche; il fallait bien l'attendre; j'en profitai pour explorer les bords du lac.
Jako me fut ramené vers la fin du second jour : il expliqua sa disparition en disant qu'un excès de fatigue l'avait fait s'endormir dans les broussailles, à quelques pas de la route. Mais cette halte en pays de famine, halte forcée dont il était cause, ne m'avait pas disposé à la clémence; et pour prévenir chez lui toute velléité de récidive, je fis ajouter Jako à la chaîne des déserteurs.
Nous perdîmes encore deux ânes, dont l'un fut tué par le poids énorme et par le balancement continu de Farquhar. Celui-ci devenait la risée de la caravane par son complet abandon de lui-même et par ses exigences. Il voulait toujours avoir près de lui cinq ou six personnes qu'il invoquait sans cesse en pleurant, comme un enfant malade. Jako avait été son cuisinier; il l'avait rendu stupide à force de le battre; et mes soldats craignaient tellement sa violence, qu'ils n'osaient pas approcher de lui.
Je supportai cette musique pendant une semaine. Si les ânes ne m'avaient pas manqué, je l'aurais supportée plus longtemps; mais avec le petit nombre de mes baudets, avee leur affaiblissement et un pareil cavalier, c'eût été la ruine de l'expédition que de continuer ainsi. Je pensai done qu'il valait mieux pour nous tous, et pour lui-même, que Farquhar fût laissé à quelque bon chef de village, avec de l'étoffe et des grains de verre pour six mois, pendant lesquels il se remettrait plus facilement qu'en route.
En attendant, il mangeait à ma table ainsi que maître Shaw. Le 15 mai, lorsque mes deux convives furent appelés pour déjeuner, ils arrivèrent avec des figures qui ne présageaient rien de bon. Ni l'un ni l'autre ne répondit au "Good morning" que je leur adressai, et leurs visages se détournèrent pour éviter mon regard. L'idée me vint que la conversation qu'ils venaient d'avoir entre eux, et dont j'avais entendu le bruit, avait roulé sur moi. Néanmoins je les priai de s'asseoir, et je dis à Sélim d'apporter le déjeuner. Le menu se composait d'un quartier de chèvre rôti, d'un foie à l'étuvée, d'une demi-douzaine de patates, d'une assiettée de crêpes et d'une tasse de café.
- "Veuillez découper le rôti et servir Farquhar", dis-je à maître Shaw.
- "Cette viande-là ? Bonne pour les chiens !" s'écria celui-ci, avec la dernière insolence.
- "Que dites-vous ?" Iui demandai-je.
- "Je dis que c'est une honte, monsieur", répondit-il en se tournant vers moi, "une véritable honte que la manière dont vous nous traitez. Je dis que vous m'écrasez de fatigue, que nous pensions avoir des ânes et des serviteurs, et qu'au lieu de cela vous me faites marcher tous les jours, en plein soleil, jusqu'à me faire sentir que j'aimerais mieux être en enfer que dans cette expédition damnée; et je voudrais que tous ceux qui en font partie fussent au diable. Voilà ce que je dis, monsieur."
- "Écoutez-moi, Shaw, et vous aussi, Farquhar. Depuis notre départ jusqu'au moment où nous les avons perdus, vous avez eu des ânes. Les serviteurs ne vous ont pas manqué, on a dressé vos tentes, fait votre cuisine, porté vos bagages. Mes repas ont été les vôtres; à cet égard, pas de différence entre vous et moi. Aujourd'hui, les ânes nous manquent; tous ceux de Farquhar sont morts; j'en ai perdu sept, et les autres faiblissent. Il m'a fallu jeter divers objets qui faisaient partie de leur charge. Bientôt il ne m'en restera plus; il faudra les remplacer, louer de nouveaux pagazis : une dépense énorme. Et c'est en face d'un pareil état de choses que vous osez vous plaindre, vous emporter, me maudire à ma propre table ! Rappelez-vous donc le pays où vous êtes, et votre qualité de serviteurs; je ne suis pas votre compagnon."
- "Au diable le..."
Avant qu'il eût fini sa phrase, maître Shaw était par terre.
- "Faut-il continuer la leçon ?" lui demandai-je.
- "Monsieur", répondit Shaw en se relevant, "permettez moi de vous dire : le mieux est que je m'en aille. J'en ai assez et je n'irai pas plus loin. Veuillez me donner mon congé."
- "Oh ! Certainement."
J'appelai Bombay :
- "Cet homme veut partir", lui dis-je. "Pliez sa tente, apportez-moi ses armes; prenez ses effets, et conduisez-le à deux cents mètres du camp où vous le laisserez avec ses bagages."
Peu de temps après, Bombay avait exécuté mes ordres et revenait avee quatre soldats.
- "Maintenant, monsieur", dis-je à mon contremaître, "vous pouvez partir; vous êtes libre."
Il se leva et sortit avec l'escorte.
Après le déjeuner, je démontrai à Farquhar la nécessité d'une marche rapide et le besoin, pour moi, de n'avoir pas d'entraves. Nous allions franchir un désert où l'on ne fait pas de halte; que deviendrait-il si je n'avais pas de monture à lui donner ? Sa maladie pouvait durer longtemps. Ne serait-il pas plus sage de le laisser dans un endroit paisible, sous la protection d'un bon chef, qui, moyennant un prix quelconque, veillerait sur lui jusqu'au moment où il pourrait regagner la côte, avec les gens d'un Arabe ? Il en convint et approuva cette résolution.
L'entretien n'était pas fini, lorsque Bombay reparut en me disant que maître Shaw désirait me parler.
Je me rendis à l'entrée du camp où je trouvai Shaw qui, air confus et plein de repentir, me demanda pardon et me supplia de le reprendre, en m'assurant que désormais je n'aurais aucun reproche à lui faire.
Je lui tendis la main.
- "Cher camarade", lui dis-je, "ne parlons plus de tout cela. Il n'est pas de famille qui n'ait ses querelles; dès que vous m'offrez vos excuses, tout est
fini; soyez-en convaincu".
Le soir, au moment où je commençais à dormir, j'entendis un coup de feu et le sifflement d'une balle qui traversait ma tente à quelques pouces de moi. Je saisis mes revolvers et me précipitai au-dehors.
- "Qui vient de tirer ?" demandai-je aux sentinelles. Tout le monde était debout, chacun plus ou moins ému.
L'un des hommes répondit :
- « C'est Bwana Mdogo, le Petit Maître."
J'allumai une bougie et me dirigeai vers la tente du Bwana.
- "Est-ce vous qui avez tiré, Shaw ?"
Pas de réponse; il paraissait dormir et affectait de ronfler.
- "Shaw ! Shaw ! Est-ce vous qui avez tiré ce coup de feu ?"
- "Moi ?" dit-il en s'éveillant; "Moi ? Un coup de feu ? Je dormais."
Mes yeux tombèrent sur son fusil qui était à côté de lui. Je pris cette arme : le canon était chaud; j'y introduisis le petit doigt et l'en retirai noirci par la poudre.
- "Qu'est-ce que c'est que cela ?" demandai-je au dormeur. "Le fusil est chaud, et les hommes disent que c'est vous qui avez tiré".
- "Ah !... Oui", répondit-il. "Je me rappelle; j'ai rêvé qu'un voleur passait ma porte; et j'ai tiré; c'est vrai, je l'avais oublié. J'ai tiré, mais après ? De quoi s'agit-il ?"
- "De rien", répliquai-je. "Seulement, je vous conseille à l'avenir, pour éviter les soupçons, de ne pas tirer dans ma tente ou dans mon voisinage; je pourrais être blessé; dans ce cas-là, de mauvais rapports ne manqueraient pas de se faire et vous en devinez les conséquences. Bonsoir."
Il ne fut plus question de l'incident; la première fois que j'en ouvris la bouche, ce fut pour le raconter à Livingstone.
- "Il voulait vous tuer !" s'écria celui-ci, donnant un corps à mes soupçons.
Mais quelle stupidité que ce meurtre ! Assurément, s'il m'avait tué, mes hommes l'en auraient puni à l'instant même ; et s'il voulait se défaire de moi, il en aurait eu, pendant la marche, des occasions cent fois meilleures. Je ne peux m'expliquer le fait que par un accès de folie.

("Comment j'ai retrouvé Livingstone")
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Il nous fut impossible de partir le lendemain; et six des Makololos, voulant essayer leurs mousquets, allèrent à la recherche d'un éléphant. Ils rencontrèrent une bande de femelles avec leurs éléphanteaux. Dès que la première de la troupe eut découvert les chasseurs qui se trouvaient sur les rochers, d'où ils la dominaient, elle plaça, avec un instinct vraiment maternel, son petit entre ses jambes de devant, afin de le protéger. "Il faut tous envoyer nos balles à celle-là", cria Mantlanyané. La pauvre bête reçut une volée d'artillerie, et s'enfuit dans la plaine où elle fut achevée par une nouvelle décharge. Quant à l'éléphanteau, il s'échappa et disparut avec les autres.
Nos chasseurs, ivres de joie, dansèrent autour du corps de la reine des forêts en poussant des acclamations, mêlées à des chants de triomphe. Ils prirent la queue, plus un morceau de la trompe, et revinrent au camp, où ils entrèrent le front haut, d'un pas militaire, et se sentant grandis de plusieurs coudées.
La femme de Sandia fut immédiatement informée de leur succès, attendu que, suivant la loi du pays, la moitié de l'éléphant appartient au chef du district où l'animal est tombé. Les Portugais se soumettent toujours à cette loi; fût-elle d'ailleurs de création indigène qu'on ne pourrait guère la taxer d'injustice. Elle fit prévenir son mari, et nous dit qu'il reviendrait bientôt; elle ajouta qu'elle allait envoyer plusieurs de ses gens pour aider nos hommes à dépecer l'animal, et qu'ils recevraient la part que nous voudrions bien leur donner. Nous accompagnâmes nos chasseurs à l'endroit où ils avaient laissé la bête. C'était une belle vallée, couverte de grandes herbes. On trouva l'animal intact : une masse énorme de viande.
Le partage d'un éléphant, en pareil cas, est un spectacle des plus curieux. Les hommes, rangés autour de la bête, gardent un profond silence, tandis que le chef des voyageurs déclare qu'en vertu d'une ancienne coutume, la tête et la jambe de devant, du côté droit, appartiennent à celui qui a tué l'animal, c'est-à-dire qui l'a blessé le premier; que la jambe gauche est à celui qui a fait la seconde blessure, ou qui, le premier, a touché la bête après que celle-ci soit tombée; que le morceau qui entoure l'œil se donne au chef des étrangers; et que certaines parts reviennent aux chefs des feux, c'est-à-dire des différents groupes qui forment le camp. Il recommande surtout de réserver la graisse et les entrailles pour une seconde distribution.
Dès que ce discours est terminé, les indigènes fondent sur la proie en criant, et, s'animant de plus en plus, jettent des clameurs sauvages, tout en découpant la bête avec leurs grandes lances, dont les longues hampes s'agitent dans l'air au-dessus de leurs têtes. Enfin, leur exaltation, plus forte de moment en moment, arrive au comble lorsque la masse énorme est ouverte, ainsi que l'annonce le rugissement des gaz qui s'en échappent. Quelques-uns s'élancent dans le coffre béant, s'y roulent çà et là, dans leur ardeur à saisir la graisse précieuse; tandis que leurs camarades s'éloignent en courant, chargés de viande saignante, la jettent sur l'herbe, et reviennent en chercher d'autre, tous parlant et hurlant sur le ton le plus aigu qu'il leur soit possible d'atteindre. Trois ou quatre, au mépris de toutes les lois, saisissent le même morceau qu'ils se disputent brièvement. De temps à autre s'élève un cri de douleur : un homme, dont la main a reçu un coup de lance d'un ami frénétique, surgit de la masse grouillante qui remplit la bête et qui la recouvre. Il faut alors un morceau d'étoffe, et de bonnes paroles, pour éviter la querelle. Toutefois, l'œuvre continue, et, dans un espace de temps incroyablement court, plusieurs tonnes de viande sont détaillées, et les morceaux rangés en différents tas.
Peu de temps après la division de la bête, arriva Sandia : un vieillard portant une perruque de filasse d'ifé, teinte en noir et d'un lustre brillant. Il avait au cou son mosaméla, qui lui pendait dans le dos, et ressemblait exactement à celui des Égyptiens d'autrefois. Le mosaméla, espèce de petit tabouret en bois sculpté qui sert d'oreiller, s'emporte ordinairement dans les expéditions de chasse, de même que la natte où l'on s'étend pour dormir.
Le chef visita les feux de nos hommes et accepta la viande que ceux-ci lui donnèrent; mais il se réserva de la manger avec ses anciens; il voulait les consulter, ne sachant pas trop s'il devait recevoir la moitié de notre éléphant. Ses ministres ne voyant pas de motif pour se départir de la règle établie, décidèrent qu'il fallait traiter les payeurs blancs sur le même pied que les noirs, et prendre la part qui revenait au trésor.
Sandia revint dans l'après-midi avec ses conseillers; il était accompagné de son épouse et suivi de plusieurs femmes qui apportaient cinq pots de bière; trois dont il nous faisait présent et deux qui étaient à vendre.
Nous eûmes pour nous le pied de la bête, que l'on nous accommoda à la mode du pays. Un grand trou fut creusé dans le sol, on y fit du feu; quand l'intérieur eut le degré de chaleur voulu, on y plaça l'énorme pied, que l'on recouvrit de cendres chaudes, ensuite de terre, et l'on fit sur le tout un bon feu qui brûla toute la nuit. Le lendemain matin, le pied nous fut servi à déjeuner : il était parfait. C'est une masse blanchâtre, un peu gélatineuse, et qui ressemble à de la moelle. Après un repas de pied d'éléphant, il est sage de faire une longue course pour éviter un mouvement de bile.
La trompe et la langue sont aussi de bons morceaux; mises à l'étuvée et cuites à point, elles se rapprochent beaucoup de la langue de bœuf et de la bosse de bison. Tout le reste est coriace et d'un tel fumet que, pour le manger, il faut avoir grand-faim.
La quantité de viande que nos gens consomment en pareille occasion est vraiment prodigieuse. Ils en font bouillir autant qu'il peut en tenir dans leurs marmites, et en avalent jusqu'à ce qu'il leur soit physiquement impossible d'en loger davantage. Vient ensuite une danse tumultueuse, accompagnée de chants de stentors. Dès qu'ils ont secoué le premier service et lavé la sueur et la poussière dont la danse les a revêtus, ils s'occupent du rôti et le font disparaître. Ils se couchent, se relèvent bientôt pour remplir la marmite; et la nuit tout entière se passe à faire bouillir et à manger, à faire rôtir et à dévorer, sans autre intervalle que de courts instants de sommeil.

("Exploration du Zambèze et de ses Affluents")
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Rencontré une vieille femme de bonne humeur, qui a été belle, et dont la toison blanche contrastait vigoureusement avec la peau foncée. Elle paraissait jouir d'une verte vieillesse et travaillait activement dans son jardin. Nous voyant passer, elle nous salua d'un air affable et avec ce qu'on appellerait ailleurs l'usage du monde. Certaine, évidemment, de mériter la qualification de "femme un peu brune, mais charmante", elle répondit à nos questions par un « Oui, mon enfant » plein de franchise et d'aisance.
En observant ces races primitives, on trouve continuellement chez elles de ces traits d'une nature essentiellement humaine, et qui nous sont familiers.
Une autre partie de la tâche des Africaines est la préparation de la bière. Elles font germer le grain, le mettent à sécher au soleil, le réduisent en poudre, et soumettent cette farine au brassage.
Leur bière, ainsi que nous l'avons dit, ne se garde pas; quand elle est faite, il faut la boire. Souvent, les convives sont priés d'apporter leurs houes afin de dissiper l'excitation de l'ivresse par un vigoureux piochage.
Quelquefois, le mari et la femme s'enferment dans leur case et, sous prétexte de maladie, boivent à eux seuls toute la cuvée. Mais, généralement, on invite tous les amis et tous les parents de l'épouse à boire la bière que celle-ci a faite. Personne ne manque à ces réunions qui sont fort réjouissantes pour tous. C'est à qui félicitera la brasseuse en lui disant que le « goût de sa bière va droit au dos du cou ». Le fin gourmet, renchérissant sur cet éloge, déclare que « le régal est si délicat et si grand que chacun des pas qui le ramèneront chez lui feront dire à son estomac : Tobou, tobou, tobou ».
Un cuistre, ou un ladre, pourrait seul leur reprocher ce plaisir, assez pauvre du reste. Qu'ils soient bénis, au contraire, et jouissent en paix des fruits de leur travail !

("Exploration du Zambèze et de ses Affluents")
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Le lendemain, dans l'après-midi, nous nous arrêtions au village de Mbamé, notre ancienne connaissance, afin d'obtenir de nouveaux porteurs. Les hommes de Chibisa, qui n'avaient jamais été loués, et ne savaient pas s'ils devaient avoir confiance en nous, voulaient retourner chez eux.
Au bout de quelques instants, Mbamé nous dit qu'une chaîne d'esclaves allait traverser le village pour se rendre à Têté. Devions-nous intervenir ? Telle était la question que nous nous posions réciproquement. Tous nos bagages personnels, ayant quelque valeur, se trouvaient entre les mains des habitants de Têté. Si nous délivrions les esclaves, il était possible qu'en revanche, on s'emparât de notre avoir et même des objets qui nous avaient été confiés pour les besoins de l'expédition. Mais ces faiseurs d'esclaves, pénétrant grâce à nous dans un lieu où jusqu'alors ils n'osaient pas s'aventurer, ces chasseurs d'hommes fomentant la guerre civile pour se procurer des captifs, et se disant nos enfants pour mieux atteindre leur but, s'opposaient tellement à la mission dont nous étions chargés, mission qu'avait approuvée le gouvernement portugais, que nous ne pouvions pas nous dispenser d'agir. Il fut donc résolu que nous essayerions d'arrêter ce commerce odieux qui profitait de nos découvertes pour s'étendre.
Il y avait à peine quelques minutes que nous étions avertis, quand une longue chaîne composée d'hommes, de femmes et d'enfants, liés à la file les uns des autres et les mains attachées, serpenta sur la colline et prit le sentier du village. Armés de fusils et parés d'une toilette pimpante, les noirs agents des Portugais, placés à l'avant-garde, sur les flancs et à l'arrière de la bande, marchaient d'un pas délibéré. Quelques-uns tiraient des notes joyeuses de longs cornets de fer-blanc; tous prenaient des airs de gloire, comme des gens persuadés qu'ils ont fait une noble action.
Néanmoins, dès qu'ils nous aperçurent, ces triomphateurs se précipitèrent dans la forêt, et tellement vite que nous ne fimes qu'entrevoir leurs calottes rouges et la plante de leurs pieds.
Le chef demeura seul au poste; il était en avant; l'un de nos hommes le reconnut et lui serra vivement la main. C'était un esclave de l'ancien commandant de Têté; nous l'avions eu nous-mêmes à notre service et nous le reconnûmes à notre tour. Aux questions qui lui furent adressées à l'égard des captifs, il nous dit qu'il les avait achetés; mais les captifs, interrogés ensuite, répondirent tous, à l'exception de quatre, qu'ils avaient été pris en combattant. Pendant que nous faisions cette enquête, le chef avait disparu. Les prisonniers, restés seuls avec nous, s'agenouillèrent et battirent des mains avec énergie pour exprimer leur gratitude.
Nous eûmes bientôt coupé les liens des femmes et des enfants; mais il était plus difficile de délivrer les hommes. Chacun de ces malheureux avait le cou pris dans l'enfourchure d'une forte branche de six à sept pieds de long que maintenait à la gorge une tige de fer solidement rivée aux deux bouts. Cependant, au moyen d'une scie qui, par bonheur, se trouvait dans les bagages de l'évêque, la liberté leur fut rendue. Nous dîmes alors aux femmes de prendre la farine dont elles étaient chargées et d'en faire de la bouillie pour elles et pour leurs enfants. Tout d'abord elles n'en voulurent rien croire; c'était trop beau pour être vrai. Mais quand l'invitation leur eut été renouvelée, elles se mirent promptement à l'œuvre, firent un grand feu et y jetèrent les cordes et les fourches, leurs maudites compagnes de tant de nuits douloureuses et de tant de journées pénibles.
Beaucoup d'enfants avaient à peine cinq ans; il y en avait de plus jeunes.
Deux femmes avaient été tuées la veille pour avoir essayé de détacher leurs courroies. Il fut dit à tous les captifs qu'il leur en arriverait autant s'ils cherchaient à s'évader. Une malheureuse mère, ayant refusé de prendre un fardeau qui l'empêchait de porter son enfant, vit aussitôt brûler la cervelle au pauvre petit. Un homme accablé de fatigue et ne pouvant plus suivre les autres avait été expédié d'un coup de hache. L'intérêt, à défaut d'humanité, aurait dû prévenir ces meurtres; mais nous avons toujours vu que dans cet affreux commerce, le mépris de la vie humaine et la soif du sang parlaient plus haut que la raison.
Quatre-vingt-quatre esclaves, femmes et enfants pour la plupart, furent ainsi délivrés. On leur dit qu'ils étaient libres et pouvaient aller où ils voudraient; ils aimèrent mieux rester avec nous. L'évêque eut la sagesse de se les attacher avec l'espoir d'en faire les membres d'une famille chrétienne. Ainsi disparaissait la plus grande difficulté que ces messieurs auraient eu à vaincre. Ce n'est ordinairement qu'après plusieurs années que les indigènes ont assez de confiance dans les missionnaires pour se laisser guider par des étrangers dont les usages ne ressemblent en rien aux leurs, et qui ne donnent, pour expliquer leur conduite, que des motifs complètement en dehors de tout intérêt personnel.

("Exploration du Zambèze et de ses Affluents")
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Nous avons quitté le fleuve, malheureusement trop tard; et le reste de la gorge a été franchi à pied.
L'un de nos ânes est mort de lassitude près de la Louia. Bien que nos hommes mangent du zèbre et du couagga, qui appartiennent à la même famille, ils ont été choqués à l'idée de manger notre baudet. "Ce serait", disait-ils, "comme si on mangeait l'un de nous autres, car un âne vit avec l'homme et il est son intime compagnon."
Nous venons de rencontrer deux groupes des esclaves de Têté qui se rendent à Zumbo. Ils y conduisent un certain nombre de femmes manganjas qu'ils vont échanger contre de l'ivoire. Chacune de ces femmes est liée par le cou; et toutes sont attachées à une longue et même corde.
Le 21 novembre, nous avons trouvé des mangues, fruit qui annonce ordinairement les stations portugaises; et le 23 nous arrivions à Têté, après six mois d'absence.
Les deux matelots anglais, chargés du "Ma-Robert", ont joui pendant tout le temps d'une santé parfaite, et se sont fort bien conduits. Quant à leur essai d'agriculture, il a complètement échoué. Nous leur avions laissé quelques moutons et deux douzaines de poules afin qu'ils eussent de temps en temps de la viande fraîche. Ils avaient acheté d'autres volailles, en avaient doublé le nombre et comptaient sur les produits de leur basse-cour; mais ayant en même temps fait l'acquisition de deux singes, ceux-ci avaient gobé tous les œufs. Un hippopotame avait détruit le jardin. Les moutons avaient mangé les cotonniers; les crocodiles avaient mangé les moutons et les indigènes avaient enlevé les poules.
L'état d'armurier ne leur avait pas mieux réussi. Un Portugais, les croyant fort habiles, était venu avec un rifle à deux coups et leur avait demandé s'ils pouvaient le lui rebronzer. "C'est très facile", avait répondu l'un de nos marins, dont le père était forgeron; il suffit de le mettre dans le feu. Un grand feu de bois ayant été fait sur la rive, notre homme y avait déposé les malheureux canons, tout rongés par la rouille et, à sa grande surprise, les deux canons s'étaient séparés. Son compagnon et lui n'avaient rien trouvé de mieux que de recoller les deux pièces avec de la résine et de renvoyer le fusil au Portugais, en disant qu'ils ne demandaient rien pour leur peine.
Ils ont découvert une façon originale de terminer promptement leurs marchés. Après s'être enquis des prix courants, ils prennent ce qui leur convient, payent ce qui est dû; mais pas une perle avec. Si les gens demandent davantage et refusent de quitter le navire, nos matelots vont dans la cabine et en font sortir un caméléon. À peine les indigènes ont-ils vu cet animal, dont ils ont une frayeur mortelle, qu'ils sautent par-dessus bord et s'éloignent au plus vite. Le caméléon apaise également toutes les disputes en un clin d'œil.
Ils n'ont pas seulement témoigné d'un bon caractère, ils ont fait preuve d'humanité. Un soir, émus par un cri terrible, ils se jetèrent dans le bateau : un crocodile avait saisi une pauvre femme, et la traînait sur un banc de sable. Comme ils arrivaient près d'elle, la malheureuse poussa de nouveau un cri déchirant : le monstre lui avait coupé la jambe. Nos matelots ramenèrent la pauvre créature à leur bord; ils la pansèrent, lui firent avaler du rhum, estimant qu'ils n'avaient rien de meilleur, et la portèrent dans l'une des cases du village. Le lendemain matin, quand ils allèrent la voir, ils la trouvèrent dans le plus entier abandon; on avait arraché les compresses qu'ils lui avaient mises, et la pauvre femme était mourante. Le bon Rowe, l'un de ces matelots, nous disait : "Je crois que son maître, voyant qu'elle n'avait plus qu'une jambe, nous en voulait de lui avoir sauvé la vie".

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C'était un administrateur de singulière espèce que le senhor officier qui commandait par intérim le fort de Têté. Peu de temps après son arrivée au pouvoir, il avait fait une loi pour fixer la valeur des denrées. En raison des guerres qui désolaient le pays depuis longtemps, les provisions coûtaient alors le triple de ce qu'on les payait jadis. Il fut donc décidé par Son Excellence que les choses seraient remises sur l'ancien pied; qu'on aurait à l'avenir vingt- quatre poulets, au lieu de huit, pour deux yards de calicot; et que le prix des chèvres, des moutons et de l'huile serait réduit dans la même proportion.
Le premier indigène qui vint au marché refusa de céder ses volailles au prix du nouveau tarif. On le traîna immédiatement devant le gouverneur, qui, pour le punir, lui fit attacher au cou sa marchandise gloussante, et le condamna à remonter et à descendre la rue jusqu'au soir, sous la surveillance d'un argousin, puis ensuite à passer la nuit en prison. Un autre malheureux, ayant apporté de l'huile d'arachide, et n'ayant pas non plus consenti à la vendre aux conditions légales, fut condamné à en boire une large dose. Cela servit d'exemple; et la seule difficulté que rencontra la réforme vint de ce que les indigènes attendirent, pour reparaître au marché, qu'on eût abrogé la taxe.
Les vins et les liqueurs, dus à l'importation, payant une entrée assez forte, Têté, pour un simple village, doit avoir un revenu respectable. Le climat y est pour beaucoup; on l'accuse généralement d'une foule de choses.
Les Portugais de Têté poussent l'intempérance et les autres vices tellement loin, que nous sommes surpris, non pas de ce qu'ils ont la fièvre, mais de ce que la fièvre ne les a pas déjà tous emportés. Leurs habitudes seraient mortelles sous n'importe quel climat. C'était pour les Africains un sujet d'étonnement plus encore que pour nous-mêmes. Nos Makololos, par exemple, regardaient avec effroi ces réunions bachiques; et Sininyané les décrivait de manière à servir de leçon aux acteurs de ces tristes scènes. "Un Portugais se lève", disait-il, "et crie : Viva ! - C'est-à-dire je suis content -; un autre crie : Viva ! à son tour, puis ils crient : Viva ! tous ensemble. Ainsi donc, pour les contenter, il ne faut qu'un peu de bière !".
Un soir, il vit trois officiers qui, dans leur contentement, se querellaient au sujet d'un faux rapport. L'un de ces officiers se jeta sur son supérieur, s'efforça de le mordre, l'entraîna dans sa chute et roula avec lui sur le plancher, tandis que le troisième, prenant une chaise, les frappait tous les deux. Dans son horreur d'une pareille conduite, Sininyané s'écria : "De quelle espèce sont donc ces blancs, qui traitent leurs chefs de la sorte !"
Les fautes de ces gens nous attristent; quand nous en parlons, c'est avec chagrin, non pas avec colère. Leur trafic d'esclaves est une méprise énorme. En les retranchant du reste du monde, leur gouvernement les place dans une fausse position; ils le sentent et le disent avec une amertume qui ferait changer de langage aux hommes d'Etat de Lisbonne, si ces derniers pouvaient les entendre. Mais il n'y a pas de journaux à Têté, pas de libraire, à peine un maître d'école. Si nous étions nés dans un pareil milieu... Nous tremblons d'y penser !

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