Il nage en eau trouble depuis trop longtemps pour ne pas savoir qu'un ami se retourne rapidement contre vous lorsque l'intérêt l'exige.
Ses yeux balaient l'horizon. les silhouettes disséminées continuent de fouiller les ordures. Aussi loin qu'elle porte le regard, elle peut les voir : accroupies ou courbées, tirant et repoussant les sacs, déplaçant des cartons, des planches, des meubles brisés, triant les objets cassés, les vieux matelas éventrés. Plus bas, derrière les corps que la chaleur qui monte du sol fait trembler comme des mirages, elle voit la mer des Caraïbes scintiller et, sur ses reflets d'argent, les cargos glissent comme des jouets miniatures vers le canal de Panamá.
Felicia n'est pas dupe. Elle sait que beaucoup ouvrent les sacs pour y trouver les médicaments qu'ils revendent dans les rues de San Perdido. Ce sont les " docteurs mobiles ", comme ils se nomment eux-mêmes. Ainsi, les pauvres que le scorbut n'a pas édentés, que la faim ou la fièvre jaune n'ont pas tués, trouvent-ils dans les rues une chance de mourir en croyant se soigner.
Par moments, elle suspend sa lecture et laisse ses yeux dériver au-dessus de la décharge. Les sacs lui apparaissent alors tels des livres échoués. Des histoires, des témoignages fragmentés, des instants contenant ce qui a été mangé, bu, porté, désiré, jeté après usage. Il y a en eux des portions pourrissantes de vies ordinaires qui achèvent de se désagréger et sur lesquelles on marche. Là aussi, on trouve des mots. Ceux des journaux, des lettres, des cartes postales, des affiches, des carnets, toute une existence de vocables utiles ou désuets, oubliés, méprisés, servant à emballer les épluchures, les rognures d'ongles, les poils et les cheveux, des des mots déchirés, froissés, à moitié brûlés.
Car il en va ainsi des légendes : elles sont chargées de mensonges plus vrais que la vérité, elles font sourire les sceptiques et applaudir les naïfs.
En contemplant sa mère, Iberio sentait l’amour indéfectible dont elle le couvait, cette force qui l’envahissait sans jamais faiblir. Et il comprenait soudain que jamais une autre femme ne s’attacherait à lui de cette façon.
« La solitude effraie une âme de vingt ans », dit Célimène à Alceste dans Le misanthrope. Le vers lui revenait brusquement, une réminiscence de ces années de collège pendant lesquelles la lecture de Molière, Racine ou Corneille l’avait copieusement ennuyé. Mais à présent, quelque chose de concret le touchait. Il percevait toute l’acuité de cette observation qu’il pensait avoir oubliée depuis longtemps. Il entrevoyait ce qui faisait de ces auteurs des peintres si justes de la nature humaine.
Comme toute la population, elle a vécu sous les régimes successifs des différents gouverneurs. Ils passent et trépassent au palais avec des appétits toujours renouvelés et des fortunes diverses, tandis qu'elle, la Ghanéenne, trône sur un territoire putride que nul ne lui dispute.
... la virilité, pour un homme de pouvoir, est le sel d’une vie politique bien remplie.
Que serait la vie sans cette pointe d’incertitude où tout peut basculer à votre désavantage ?