Citations de David Zukerman (123)
Il nage en eau trouble depuis trop longtemps pour ne pas savoir qu'un ami se retourne rapidement contre vous lorsque l'intérêt l'exige.
Ses yeux balaient l'horizon. les silhouettes disséminées continuent de fouiller les ordures. Aussi loin qu'elle porte le regard, elle peut les voir : accroupies ou courbées, tirant et repoussant les sacs, déplaçant des cartons, des planches, des meubles brisés, triant les objets cassés, les vieux matelas éventrés. Plus bas, derrière les corps que la chaleur qui monte du sol fait trembler comme des mirages, elle voit la mer des Caraïbes scintiller et, sur ses reflets d'argent, les cargos glissent comme des jouets miniatures vers le canal de Panamá.
Felicia n'est pas dupe. Elle sait que beaucoup ouvrent les sacs pour y trouver les médicaments qu'ils revendent dans les rues de San Perdido. Ce sont les " docteurs mobiles ", comme ils se nomment eux-mêmes. Ainsi, les pauvres que le scorbut n'a pas édentés, que la faim ou la fièvre jaune n'ont pas tués, trouvent-ils dans les rues une chance de mourir en croyant se soigner.
Par moments, elle suspend sa lecture et laisse ses yeux dériver au-dessus de la décharge. Les sacs lui apparaissent alors tels des livres échoués. Des histoires, des témoignages fragmentés, des instants contenant ce qui a été mangé, bu, porté, désiré, jeté après usage. Il y a en eux des portions pourrissantes de vies ordinaires qui achèvent de se désagréger et sur lesquelles on marche. Là aussi, on trouve des mots. Ceux des journaux, des lettres, des cartes postales, des affiches, des carnets, toute une existence de vocables utiles ou désuets, oubliés, méprisés, servant à emballer les épluchures, les rognures d'ongles, les poils et les cheveux, des des mots déchirés, froissés, à moitié brûlés.
Car il en va ainsi des légendes : elles sont chargées de mensonges plus vrais que la vérité, elles font sourire les sceptiques et applaudir les naïfs.
En contemplant sa mère, Iberio sentait l’amour indéfectible dont elle le couvait, cette force qui l’envahissait sans jamais faiblir. Et il comprenait soudain que jamais une autre femme ne s’attacherait à lui de cette façon.
... la virilité, pour un homme de pouvoir, est le sel d’une vie politique bien remplie.
« La solitude effraie une âme de vingt ans », dit Célimène à Alceste dans Le misanthrope. Le vers lui revenait brusquement, une réminiscence de ces années de collège pendant lesquelles la lecture de Molière, Racine ou Corneille l’avait copieusement ennuyé. Mais à présent, quelque chose de concret le touchait. Il percevait toute l’acuité de cette observation qu’il pensait avoir oubliée depuis longtemps. Il entrevoyait ce qui faisait de ces auteurs des peintres si justes de la nature humaine.
Comme toute la population, elle a vécu sous les régimes successifs des différents gouverneurs. Ils passent et trépassent au palais avec des appétits toujours renouvelés et des fortunes diverses, tandis qu'elle, la Ghanéenne, trône sur un territoire putride que nul ne lui dispute.
Que serait la vie sans cette pointe d’incertitude où tout peut basculer à votre désavantage ?
Dans son costume de lin impeccable, rasé de près, les cheveux gominés, le conseiller incarne à la perfection l’efficacité glacée du palais. Ainsi qu’une élégante cruauté.
Sur cet isthme qu'est l'Amérique centrale, enserré par deux immenses continents, on regarde le monde avec le point de vue d'un nain coincé entre deux géants.
Devant eux, s'étend la décharge publique qui coupe San Perdido en deux, comme une plaie humide et purulente. On dit que les pauvres l'ont placée là pour ne pas sentir la mauvaise odeur des riches qui vivent au-dessus d'eux.
... qu’est-ce qu’un héros sinon un homme qui réalise un jour le rêve secret de tout un peuple ?
Une bonne négociation doit permettre à chacun de faire un bénéfice, même si Tonino s'arrange souvent pour que le sien soit supérieur à celui de ses clients.
... il en va ainsi des légendes : elles sont chargées de mensonges plus vrais que la vérité, elles font sourire les sceptiques et applaudir les naïfs.
Augusto sait qu'il n'a pas le choix. Quand on vient du quartier le plus pauvre de San Perdido, on apprend en naissant que vivre demande beaucoup d'efforts. La ville est sans pitié. Mais partir pour Colon, Panama City ou même en Colombie ou au Costa Rica ne changerait rien . Sur cet isthme qu'est l'Amérique centrale, on regarde le monde avec le point de vue d'un nain coincé entre deux géants.
Le Panama a perdu tout honneur depuis que le pays s'est vendu aux Américains. Seul compte le profit et chacun roule vers son destin sans regarder à côté de lui.
Les vieux légumes qu’elle a récupérés la veille à la fin du marché de Lagrima, ceux dont plus personne ne veut parce qu’ils sont à moitié pourris, mais dont elle trouve toujours une portion mangeable, sont encore sur la petite table, emballés dans une feuille de bananier. Elle a aussi quelques fruits tavelés : des baie d’acerola, des babacos, du guanabara dont elle gardera les feuilles pour faire des tisanes et calmer ses migraines. Elle a récupéré des cous de poulets dont elle fera une bonne soupe et un morceau de lard à peine vert, qu’elle a lavé soigneusement et fait sécher sur un clou.
Sur cet isthme qu'est l'Amérique centrale, enserrée par deux immenses continents, on regarde le monde avec le point de vue d'un nain coincé entre deux géants.