Rencontre animée par Elisabeth Philippe - Interprète : Marguerite Capelle
Après Ce que je ne veux pas savoir et le coût de la vie (diptyque couronné par le Prix Femina du roman étranger en 2020), la britannique Deborah Levy clôt son cycle autobiographique. Ces trois textes captés « dans la tempête de la vie », disent une manière d'être au monde et revendiquent avec brio la conquête d'un espace à soi. Une idée qui traverse aussi le nouveau livre d'Emanuele Coccia qui fait de la maison, notre maison, une expérience de pensée. Elle le conduit à élaborer une philosophie du vivant, qui construit une intimité avec ce qui l'entoure, préalable essentiel à l'altruisme.
Au coeur de ces deux textes en forme de promenades réflexives, une méditation belle et profonde sur ce que c'est qu'habiter.
À lire aux éditions du Sous-sol : Deborah Levy, État des lieux, trad. de l'anglais par Céline Leroy, 2021 À paraître le 4 novembre : Coffret trilogie Deborah Levy : Autobiographie en mouvement (Ce que je ne veux pas savoir / le Coût de la vie / État des lieux).
Emanuele Coccia, Philosophie de la maison, trad. de l'italien par Léo Texier, éd. Rivages, 2021.
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Bourgeois had learned to sew at an early age in he
parents’ tapestry business. She thought of the needle as an object of psychological repair-and what she wanted to repair, she said, was her past.
(Bourgeois* à appris à coudre très jeune dans l’entreprise de tapisserie de ses parents.Elle considérait l’aiguille comme un outil de réparation-et ce qu’elle voulait disait-elle c’était réparer son passé .)
*Louise Bourgeois, artiste américaine d’origine française.
De tous les arts, l'art de vivre est sans doute le plus important.
Le chauffeur faisait penser à un philosophe dans un film de série B.Il avait une folle crinière de cheveux blancs,une longue barbe blanche, et portait une veste en tweed élimée.J’étais tentée de lui poser quelques questions philosophiques basiques : Notre univers existe t-il vraiment ? Qu’est-ce que l’âme ? Le doute est-il le point de départ de la sagesse ?
La tempête
Au début, je n'étais pas sûre de pouvoir rejoindre le navire et puis je me suis rendu compte que je n'avais pas envie de le rejoindre. A priori, le chaos représente notre pire crainte, mais j'en suis venue à croire que c'est peut-être ce que nous désirons le plus.Si nous ne croyons pas à l'avenir que nous planifions, à la maison que nous payons avec un emprunt, à la personne qui dort à nos côtés, alors peut-être qu'une tempête ( longtemps tapie dans les nuages) pourrait nous rapprocher de ce nous voulons être au monde.
( p.15)
Devenir ce que quelqu'un à imaginer pour nous, ce n'est pas la liberté - c'est hypothéquer notre vie contre la peur des autres.
(...) C'est ce qui me contrariait le plus, de voir qu'il avait kidnappé mon esprit et l'occupait entièrement. Ça n'était rien de moins qu'une occupation. Mon chagrin était en train de devenir une habitude qui rappelait la tristesse décrite par Beckett, "à laquelle on peut toujours ajouter jusqu'à ce que mort s'ensuive (...) comme à une collection de timbres-poste ou d'œufs d'oiseaux".
« Angleterre » était un mot excitant à écrire. Ma mère m’avait dit que nous étions en exil et que nous retournerions un jour dans mon pays natal. L’idée que je vivais en Exil et non en Angleterre me terrifiait. Quand j’ai dit à ma nouvelle copine Judy (qui était née à Lewisham) que je ne voulais pas vivre en Exil, elle a dit « C’est clair, moi aussi ça me foutrait la trouille »
J'ai pleuré comme une femme quand j'ai su que mon mariage était terminé. J'ai vu un homme pleurer comme une femme, mais je ne suis pas sûre d'avoir déjà vu une femme pleurer comme un homme.
Arracher le papier peint de ce conte de fées qu’est la maison familiale où le confort et le bonheur des hommes et des enfants ont été prioritaires... Il faut de l’habilite, du temps, de la dévotion et de l’empathie pour fonder un foyer qui fonctionne et dans lequel tout le monde se sent bien. C’est surtout un acte d’une générosité immense que d’être l’architecte du bien-être de tous les autres. Beaucoup de gens pensent encore que cette tâche revient aux femmes. Par conséquent, on utilise toutes sortes de mots pour minimiser cet effort monumental. (Pages 21-22)
Pour moi, il n'y aura pas de fin au deuil de ce vieux désir de vivre un amour durable qui ne réduirait pas ses personnages principaux à moins que ce qu'ils sont.