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Citations de Delphine Horvilleur (630)


Personne ne sait parler de la mort, et c'est peut-être la définition la plus exacte que l'on puisse en donner. Elle échappe aux mots, car elle signe précisément la fin de la parole. Celle de celui qui part, mais aussi celle de ceux qui lui survivent et qui, dans leur sidération, feront toujours de la langue un mauvais usage. Car les mots dans le deuil ont cessé de signifier. Ils ne servent souvent qu'à dire combien plus rien n’a de sens.
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Delphine Horvilleur
On a longtemps pensé que le propre de l’homme était le langage, le rire ou les rites funéraires, or il n’en est rien. Au bout du compte, il me semble que le propre de l’homme est sa capacité de raconter des histoires et se raconter des histoires. Si certains tournent cela en ridicule, je pense à l’inverse que la force des humains tient à cette capacité à construire des mondes, et à avoir une action politique dans le monde en partageant des récits qui leur permettent d’agir ensemble.

Si nos traditions religieuses, chacune par le biais de ses propres narratifs, se révèlent porteuses d’histoires de vie, elles peuvent apporter quelque chose de l’ordre d’une bénédiction pour nos sociétés. Quand elles se font porteuses de récits de mort – comme elles l’ont souvent fait dans l’histoire, et particulièrement ces dernières années –, alors elles sont une malédiction. Car les assassins du Bataclan se racontaient eux aussi des histoires qui, de leur point de vue, étaient sacrées. De ce travail de conteur, on peut faire le meilleur comme le pire.

A ce titre, les histoires constituent une arme de destruction ou de construction massive dans le monde. Mais quand la mort surgit, la puissance de ces récits est décuplée. Face à la dévastation, soit vous la laissez s’emparer de vous, soit vous agissez avec vos mots pour la contrer.

Source : https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2021/03/14/delphine-horvilleur-la-laicite-est-une-forme-de-transcendance-une-promesse-d-infini_6073040_6038514.html
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L'annonce d'une maladie ou d'une suspicion de maladie produit invariablement cet effet. Vos proches continuent bien sûr de vous parler, mais ils amorcent généralement à votre insu une autre conversation en votre absence, avec votre mari, votre femme, votre cercle rapproché. Et ils font de votre santé un sujet de conversation qui vous échappe. Vous percevez parfois un chuchotement à votre approche, ou une conversation qui s'arrête quand vous entrez dans une pièce.
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Delphine Horvilleur
Je ne peux pas lire sans un stylo à la main, sans souligner. J'ai besoin de savoir que je peux laisser la trace de mon émotion.
Interview dans Les Echos du 30 avril 2021
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Delphine Horvilleur
L'antisémitisme est toujours le prélude, le clignotant, le marqueur d'un effondrement général, dont les Juifs sont les premières victimes, mais dont on sait très vite qu'il va concerner tout le monde.
Donc je pense qu'aujourd'hui il faut qu'il y ait un relais de parole, très fort, et d'action, que chacun perçoive à quel point c'est SON problème.
(La Grande Librairie 27 mars 2019)
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Je devais lui dire que les rabbins n'ont pas plus de réponses que les autres. Parfois, juste un peu plus de questions.
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Un petit garçon nommé Roman Kacew naît le 21 mai 1914 à Vilna, tandis que l'Europe plonge dans la guerre et la destruction. Il fera du texte et de l'écriture le refuge de sa vie, le lieu de son salut, comme une maison d'Elisha. Il grandira, s'exilera, deviendra français et amoureux de cette langue.

Plus tard, il choisira Gary comme nom d'emprunt, parmi tant d'autres noms de plume qu'il aurait pu adopter. L'écrivain, qui aimait tant les mots et les langues, ne savait sans doute pas qu'il venait de se trouver un nom à l’étrange signification hébraïque. Gary, écrit en hébreu, signifie quelque chose comme « mon étranger » ou « L’étranger en moi ».

Et ce jeu de mots, qu'il ne connaissait sans doute pas, pourrait résumer toute son entreprise littéraire : s'assurer de n'être jamais complètement soi-même, en rendant toute sa place à l’étranger en soi. Savoir ainsi, où que l’on se trouve, qu’on ne sera jamais complètement à la maison.
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Delphine Horvilleur
Déni, Colère, Négociation, Dépression et Résignation. Pour le dire autrement, la plupart des mourants diraient tour à tour et dans cet ordre : « il doit y avoir une erreur », « c’est tellement injuste », « laissez-moi au moins vivre jusque tel ou tel événement », « à quoi bon ? » et « je suis enfin prêt ».
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Romain Gary ne connaissait sans doute pas cette histoire mais c'est ce nom qu'il a pourtant choisi quand il s'est agi de devenir un autre. Il a trouvé alors, et sans doute au hasard, un pseudo pour échapper à un nom déjà chargé d'histoire, et s'est choisi Ajar, c'est-à-dire Ah'ar... à une lettre près. Pure coincidence, évidemment. A moins que son inconscient, héritier de la sagesse talmudique, n'ait choisi de le mener là ?

Que savons-nous des textes dont nous ne savons rien ? De quelle manière sommes-nous les héritiers à la fois des histoires qu'on a lues et de celles qu’on ne nous a pas racontées ?
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La laïcité dit que l’espace de nos vies n’est jamais saturé de convictions, et elle garantit toujours une place laissée vide de certitudes. Elle empêche une foi ou une appartenance de saturer tout l’espace. En cela, à sa manière, la laïcité est une transcendance. Elle affirme qu’il existe toujours en elle un territoire plus grand que ma croyance, qui peut accueillir celle d’un autre venu y respirer. 
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(…) parfois, quand rien ne va, je me souviens des origines méconnues de cette expression quotidienne. « Comment ça va ? »

Au Moyen Age, on demandait ainsi à l'autre « comment il va... à la selle ». Tel était l'indicateur principal de son état de santé : la consistance, la fréquence ou l'odeur de ses défécations.

Notre « comment ça va » est donc une abréviation sanitaire, le résidu lexical d'une question physiologique. Bref, une question merdique !
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Il y a aussi de nouvelles obsessions identitaires aujourd’hui, celles qui font de nous de simples héritiers d'une couleur ou d'une « race », des fautes ou des mérites de nos ancêtres, des égarements ou des douleurs de nos pères. Là encore, cette identité transmise par des générations passées nous empêcherait d'être autre chose que ce que notre naissance a dit de nous. La fidélité à un peuple, un groupe ou une mémoire rend suspecte toute individuation. Peut-on dire « je » contre les siens ? demandent ces voix. Comprend-on le racisme sans être noir, la lutte contre l'antisémitisme sans origine juive, le combat féministe sans utérus ?
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Accompagner la mort des autres ne m’a pas immunisée contre l’appréhension de la croiser. Je me méfie de tous ceux qui disent que mourir s’apprend et qu’il existerait une méthode imparable pour se résoudre à l’accepter. 
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Les tueurs [de Charlie Hebdo] ont-ils perçu le paradoxe obscène de leur geste assassin? Leur croyance en un Dieu qui demande vengeance et se vexe d'être méprisé constitue un gigantesque blasphème. Quel Dieu "grand" devient si misérablement "petit" qu'il a besoin que des hommes sauvent son honneur? Penser que Dieu s'offusque d'être moqué, n'est-ce pas la plus grande profanation qui soit? Grand est le Dieu de l'humour. Tout petit est celui qui en manque.
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J'ai souvent eu le sentiment que le judaïsme porte, en ses langages, quelque chose qui résonne avec cette idée. L'identité juive repose elle aussi sur une vacance. Tout d'abord parce qu'elle n'est pas prosélyte et ne cherche pas à convaincre l'autre qu'elle détient l'unique vérité. Ensuite, parce qu'elle peine à formuler ce qui la fonde. Nul ne sais vraiment ce qui fait un juif et encore moins un "bon juif". Est-ce une origine, une pratique, une croyance, une tradition culinaire ? L'identité juive est toujours au-delà de ce qu'on pourrait en dire, et ne se laisse jamais emmurer dans une définition unique qui réduirait ses possibles.

Pour le dire autrement : "le" judaïsme est toujours plus grand que le "mien". Il préserve un espace libre pour une autre conception que la mienne, et donc une transcendance infinie : celle de la définition qu'en donnera un autre.

Le judaïsme garantit en son sein la place d'Elsa (Cayat) et la mienne, celle d'une juive non croyante et celle d'un rabbin, sans qu'aune de nous puisse se revendiquer plus légitime. Aucune ne peut s'affirmer "plus" ou "meilleure" juive que l'autre.

page 30
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Seul celui qui vit pour acquérir peut jalouser l’autre au point de l’anéantir. 
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Dans les contes pour enfant, il y a souvent une ou plusieurs fées qui se penchent sur le berceau d’un nouveau-né pour y placer un souhait ou offrir un talent. J’ai souvent pensé que Simone [Veil, bien sûr] avait été l’une de ces fées pour les femmes de ma génération, et qu’elle s’était penchée sur nos berceaux en murmurant une puissante promesse. Je suis née en novembre 1974, au moment même où sa voix portait à l’Assemblée nationale un engagement solennel.
« Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme », avait-elle dit, avant d’ajouter : « Je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes. »
 Il était une fois une femme qui interpellait des parlementaires en leur présentant de prétendues excuses, mais, nous le savions bien, c’était à nous toutes qu’elle s’adressait. 
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Voilà comment nous sommes tombées enceintes, l'une après l'autre. Tombées enceintes... Mais de quelle chute était-il question ? À cette époque, nous volions si haut que rien ni personne n'aurait pu nous faire perdre de la hauteur.
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En français comme dans la plupart des langues, il n'existe aucun mot pour désigner celle ou celui qui perd un enfant. Perdre un parent fait de vous un orphelin, et perdre un conjoint fait de vous un veuf. Mais qu'est-on lorsqu'un enfant disparaît? (...)
En hébreu, en revanche, ce mot existe. Un parent qui perd un enfant est appelé "Shakoul", un terme preque impossible à traduire. Il est emprunté au registre végétal et signifie la branche de la vigne dont on a vendangé le fruit. Un parent endeuillé est raconté en hébreu par une image, celle d'une branche amputée de ses grains, ou d'une grappe dont on a arraché le fruit. La sève coule en elle mais n'a plus où aller, et le bourgeon s'assèche car un bout de sa vie l'a quitté. (Page 111)
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Chez mes grands-parents paternels, j'ai rencontré la mort, une nuit. Elle était venue me dire qu'on ne m'avait pas tout dit de mon histoire. M'avertir qu'il y avait dans mon jardin beaucoup de fantômes et des secrets qui y poussaient comme des arbres. Parmi eux , il en est un qui portait les fruits de la connaissance du bien et du mal absolu, les fruits de la connaissance d'une histoire jamais racontée. L'arbre des survivants dont j'étais née.

Cet arbre poussait ailleurs, non pas chez mes grands-parents paternels mais dans le jardin ravagé de ma famille maternelle. J'étais le fruit de ces arbres brûlés jusqu'à la cendre, ces résineux des plaines de Birkenau où personne ne m'avait jamais emmenés et dont on ne m'avait rien dit. De ces arbres arrachés et replantés ailleurs, une sève amère me parvenait.

Au soir de mes dix ans, j'avais décidé de goûter à cette mémoire, quitte à en mourir.
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