Alors que les couronnes de laurier sont des symboles de victoire et de piété envers les dieux, apanage des hommes sérieux, les couronnes de roses dont les convives se ceignent les tempes ne sauraient convenir à une conversation philosophique, tout au moins d’après ce trouble-fête d’Ammonios. C’est l’occasion pour Plutarque de revenir sur la soirée d’Agathon qui sert de cadre au Banquet de Platon.
ROSE VS LAURIER
Un jour, en effet, il y eut une discussion sur les couronnes. C’était lors d’un banquet à Athènes : le musicien Ératon recevait un grand nombre de personnes à l’occasion d’un sacrifice qu’il avait offert aux Muses. Après le repas, on fit circuler des couronnes de toutes sortes, et Ammonios trouva moyen de se moquer de nous, parce qu’au lieu d’en porter de laurier nous en portions de roses : les couronnes de fleurs étaient un ornement parfaitement puéril, mieux fait pour les jeux des filles et des femmes que pour une assemblée d’hommes passionnés d’art et de science. « Vraiment, Ératon m’étonne, poursuivit-il ; il déteste l’emploi des demi-tons dans la phrase musicale et critique le bel Agathon, qui passe pour avoir introduit et mêlé le premier le chromatisme dans la tragédie, lors de la représentation des Mysiens, et le voilà qui nous remplit lui-même son banquet des tons et des nuances de toutes ces fleurs ; il prétend fermer l’entrée des oreilles à la mollesse et à la volupté, mais c’est par la porte des yeux et du nez qu’il les fait pénétrer dans nos âmes, en destinant au plaisir les couronnes qui devraient être une marque de piété. Et pourtant ce parfum-là a plus de valeur que l’odeur de vos fleurs, qui s’évente aux mains des bouquetières. Il n’y a point de place dans un banquet, où l’on se veut philosophes, pour un plaisir qui n’est pas lié à quelque besoin et qui ne procède d’aucun désir naturel. La courtoisie veut que les personnes amenées à un repas par des amis qui y sont invités soient reçues de la même façon que ces derniers, comme il arriva à Aristodème, amené par Socrate au festin d’Agathon ; mais si quelqu’un y vient de son propre chef, il faut qu’il trouve porte close. De même, il y a lieu d’admettre les plaisirs qui se rapportent au manger et au boire, parce qu’ils répondent à l’invitation de la nature et accompagnent nos désirs, tandis qu’il faut s’opposer à l’intrusion de toutes les délectations artificielles.
Propos de table, III, 1, 1 (645 D-646 A) p. 104-105
À tout seigneur, tout honneur : la rose a toujours été considérée comme la fleur par excellence, celle qui exprime la quintessence de la beauté, à la senteur enivrante, l’ornement qui rehausse toute célébration, divine ou humaine. La rose est, sans conteste, la reine de toutes les autres fleurs, sur lesquelles elle règne sans partage. Dès que, dans un texte ancien, il est question de prairie ou de jardin, c’est la rose qui est mentionnée en premier. C’est elle la fleur incontournable des cérémonies de toute sorte, mariages ou funérailles, des jours de banquet comme de la parure quotidienne, celle que l’on tresse en guirlandes, dont l’on fait des couronnes ou que, tout simplement, on offre du bout des doigts.
La rose a sa légende, qui par bien des aspects se révèle fondatrice pour celle des autres fleurs. Métaphoriquement, elle symbolise l’union entre la déesse qui préside aux forces de la génération et son amant, dont la mort et la transformation ont donné lieu à une interprétation du mythe comme rendant compte du renouvellement cyclique de la végétation. Aphrodite, dont la rose est le symbole, est vue comme la déesse de l’amour universel, celle qui rend possible le retour de la vie en suscitant chez tous les êtres animés, plantes, animaux et humains, le désir de perpétuer l’espèce.