Le romancier Alain Mabanckou, président de ce prix, et Mathieu Klein, maire de Nancy, président de la Métropole du Grand Nancy, remettent le 20e Prix Livre et Droits Humains à Stefan le Courant pour "Vivre sous la menace", une enquête sur les effets de la politique migratoire sur les personnes en situation administrative irrégulière.
Et, à l'occasion de ses vingt ans, il se double d'un prix exceptionnel : une mention spéciale étranger pour le Dr Denis Mukwege, l'homme qui répare les femmes, gynécologue congolais et spécialiste de la chirurgie reconstructive, prix Nobel de la paix 2018.
Une remise de prix à l'Hôtel de Ville de Nancy, le 9 septembre. Animation : Alain Mabanckou et Christophe Ono-Dit-Biot.
Stefan le Courant, "Vivre sous la menace : les sans-papiers et l'État" (Seuil)
Denis Mukwege, "La force des femmes" (Gallimard)
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Cette épidémie montre les limites du système qu’a créé notre génération. Un système qui n’a pensé qu’à l’économique et à la course au profit rapide, au détriment du social et de l’attention aux autres. Un système qui a complètement perdu de vue certaines valeurs comme la solidarité et n’a eu de cesse de penser « global » pour chercher au bout du monde la main-d’œuvre la moins chère possible en dédaignant l’investissement social. Un système où l’hôpital public a été considéré comme la cinquième roue du carrosse alors qu’il devrait être un rempart.
Alors j’espère que l’on apprendra de cette pandémie. Que le monde d’après le coronavirus ne sera plus le même. Que l’homme saura retourner vers l’humain. Que seront réhabilitées les notions d’égalité, de dignité et enfin d’empathie.
Le Monde
Toute personne, avant d’appartenir à un sexe, une nationalité ou une religion, appartient d’abord à l’humanité. Le vrai combat est la défense des valeurs humaines, des droits de l’homme et de la femme. Il dépasse la religion, la politique, l’identité nationale ou l’appartenance ethnique.
Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences qui sont responsables de leurs crimes, mais aussi ceux qui choisissent de détourner le regard. Le viol, les massacres, la torture, l’insécurité diffuse et le manque flagrant d’éducation, créent une spirale de violence sans précédent.

« En quoi le viol concerne-t-il le Conseil de sécurité ? » a objecté l'ambassadeur russe, car il ne voyait pas le lien entre le viol et le maintien de la paix ou la prévention des conflits. Je suis ravi de dire que je ne rencontre plus à pré sent ce genre de remarque. Le viol est désormais accepté comme une conséquence, et souvent une tactique délibérée, de toutes les guerres.
La résolution 1820 des Nations unies, votée à l'unanimité malgré le scepticisme des Russes, a ouvert une voie d'espoir quant à des actions plus fermes à l'encontre des coupables de crimes sexuels dans des pays tels que le Congo. Cette résolution reconnaît la jurisprudence établie par les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l'ex Yougoslavie que j'ai évoqués au chapitre sept. Le viol peut maintenant être reconnu comme une arme et un crime de guerre - voire un crime contre l'humanité - voire un acte génocidaire. Ce qui met les Etats dans l'obligation de mener l'enquête et de poursuivre les coupables, et en appelle également au déploiement de davantage de femmes lors des missions de paix internationales.
Le problème, comme avec tant de résolutions de l'ONU, c'est que les bonnes intentions ne se transforment pas en actions concrètes. Il n'y a aucune preuve que les violences sexuelles dans les zones de conflit aient diminué malgré plusieurs mois d'intenses négociations diplomatiques qui ont conduit au vote de la résolution 1820. Les forces armées ou les milices qui commettent des viols au Congo, au Sou dan, en Birmanie ou en Syrie agissent toujours avec la même impunité.
Un an après, le Conseil de sécurité de l'ONU a fait passer une importante résolution complémentaire, la résolution 1888, qui instaure la création du Bureau de la représentante spéciale du secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles en période de conflit, un développement bienvenu qui a permis d'attirer l'attention sur ce problème.
Au cours de la décennie suivante, le Conseil de sécurité de l'ONU a voté d'autres résolutions, sept au total, sur la question de la sécurité des femmes, dont la résolution 1960 pour mettre en œuvre un mécanisme de surveillance et d'établissement de rapports sur les violences sexuelles dans les conflits, ainsi que la résolution 2106, qui met de nouveau l'accent sur l'idée de responsabilité.
Ce travail de sensibilisation a été vital, mais la Russie et la Chine font preuve de scepticisme quant à la place que prend la sécurité des femmes dans l'agenda de l'ONU, tan dis que l'alliance occidentale, qui était moteur de progrès, a été mise sous rude pression par l'administration Trump.
En 2019, lorsque le gouvernement allemand a proposé une nouvelle résolution, la résolution 2467, sur le viol dans les zones de conflit, l'administration Trump a menacé de mettre son veto si cette résolution incluait la moindre référence au fait que les victimes de viol devaient bénéficier de soins par rapport à la sexualité et la reproduction. Leur crainte était que cette résolution ne ménage un droit à l'avortement.
Ce rétropédalage par rapport à des résolutions précédentes a mis l'accent sur l'importance de l'accès aux services médicaux comme leste sis VIII ou à la pilule du lendemain sur demande de la survivante. Il signifie qu'il ne faut jamais rien considérer comme acquis. Le dynamisme de la décennie précédente a paru sur le point de s'éteindre
Au final, il y a eu compromis autour d'une version expurgée de toute référence aux services médicaux qui s'occuperaient de la sexualité et de la reproduction, ainsi qu'à la vulnérabilité des populations LGBT dans les conflits. J'ai tire satisfaction de l'idée que cette résolution était la première à insister sur l'importance d'une approche centrée sur la survivante d'agressions sexuelles et qu'elle reconnaisse la nécessité de venir en aide aux enfants nés de viols. Les Etats-Unis ont voté cette résolution, la Chine et la Russie se sont abstenues.
Fin 2020, la Russie a de nouveau tenté de réduire à néant les progrès de ces vingt dernières années en présentant une résolution qui aurait édulcoré certains engagements précédents. Même si elle était soutenue par la Chine, la résolu tion a été rejetée par les autres membres.
Il y a également eu dans certains pays des efforts pour combattre les violences sexuelles. L'ancien président amé ricain Barack Obama, le gouvernement britannique du Premier ministre David Cameron, le Premier ministre canadien Justin Trudeau et Emmanuel Macron, dernier président français élu, y ont tous participé. La Suède est devenue le premier pays au monde à mener une politique étrangère féministe en 2014 sous le règne d'un Premier ministre homme, Stefan Löfven, qui repose sur trois principes: les droits, la représentation et les ressources.
Les vies de bien des femmes de ce livre sont assombries par la violence. Mais chacune d'elles est une lumière et un exemple qui prouve que les meilleurs instincts de l'humanité − aimer, partager, protéger − sont capables de triompher, même dans les pires circonstances. Elles sont la raison pour laquelle j'ai persévéré. La raison pour laquelle je n'ai jamais perdu ma foi ni ma santé mentale, même lorsque, exposé aux conséquences de la cruauté, je me sentais submergé.
Dans les jours qui ont suivi, alors que je repensais à son comportement, j'en ai conclu que cet individu pitoyable avait un point commun avec tous les violeurs. Il en constituait bien sûr un exemple extrême, mais son attitude était comparable à celle de l'homme d'affaires qui utilise son pouvoir sur une subalterne, de l'étudiant ivre qui s'en prend à une fille de son âge, du père de famille respectable qui viole sa femme, du producteur hollywoodien qui oblige les actrices à le rejoindre dans un lit. Chaque fois qu'un homme viole, quelle que soit la situation, quel que soit le pays, ses actes trahissent la même croyance : ses besoins et désirs sont de la plus haute importance, les femmes sont des êtres inférieurs dont on peut user et abuser. Les hommes violent parce qu'ils ne considèrent pas la vie des femmes comme aussi précieuse que la leur.
(...) C'est là que les parents et amis attendent de savoir comment s'est déroulée l'opération. Ils ne diront pas ce qui s'est vraiment passé près de l'aéroport ou ailleurs. Les chirurgiens devront simplement consigner l'état de la victime lors de son arrivée : fistule vésico-vaginale, infections locales, perforation de l'anus, déchirement des sphincters. Et aussi son âge : dix-huit mois.
Je me suis toujours dit qu'une émotion qui n'est pas suivie d'action ne sert à rien. C'est l'un de mes mantras. Nous devons trouver des manières de canaliser nos sentiments de tristesse, de dégoût, d'admiration, d'amour, de les transformer en décisions qui aident à réduire la souffrance des autres.
L’amour est notre ligne de conduite!
Pour les Sarah,pour les femmes ,les hommes et les enfants du Congo,je vous lance un appel urgent de ne pas seulement nous remettre le Prix Nobel de la paix,mais de vous mettre debout et de dire ensemble et à haute voix:" La violence en R.D.C ,c'est assez! Trop ,c'est trop! La paix maintenant !".
Je vous remercie".
Denis Mukwege. ( Page 155).