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Citation de SZRAMOWO


Il était une fois trois sœurs, Béatriz, Damiana et Rosa Haro Garcia. Leurs parents, José de Haro Léon et Antonia Garcia Molina, habitaient à Vera, calle Inclusa, dans la province d’Almeria au sud-est de l'Espagne. Elles avaient deux frères : Frasquito, l’aîné, garde civil à Seron dans la sierra de los Filabres et Melchior, le cadet pêcheur à Cartagena.
Le père, José, exerçait la profession de métallurgiste et transformait le minerai de fer qu’extrayait un de ses voisins, Pedro de Haro Simon. Ce dernier marié à Dionisia Cervantes Carrizo avait six enfants, Juan Manuel, Francisco, Francisca, Maria, Antonia et Anita.
Pedro de Haro Simon hérita en 1886 des biens de son père Juan Manuel de Haro Albarracin, l’un des pionniers de l’épopée de la mine du Sud Est espagnol depuis la découverte du filon de galène argentifère de Jaroso en 1834. Certains des terrains étaient situés dans les montagnes dominant Vera, Los Cabezos Pelados.
Hélas, Pedro de Haro Simon et José de Haro Léon se lancent dans l’activité minière au moment où elle connait son déclin.
L’année 1890 voit naitre les premiers conflits sociaux, une grève des ouvriers sur le site minier de Bedar, et des dockers sur le port de Garrucha. L’arrivée d'industriels français et belges, la construction d’un téléphérique et d’un chemin de fer reliant les sites miniers au port de Garrucha marque le début de l’industrialisation de l’activité et la fin de l’époque des entrepreneurs individuels, souvent des propriétaires de terres agricoles qui se lancent dans la prospection minière. C’était le cas de Pedro de Haro Simon.
En 1890, malgré la crise, Pedro achète une maison 19 calle Hileros, et en 1892 devient actionnaire d’une société de mineurs «Providencia y amigos». Mais la malchance le poursuit. D’échec en échec, il est contraint de devenir salarié, maître fondeur, d’une grande compagnie minière à La Union près de Cartagena. Il mourra en 1895 à l’âge de 35 ans.
Pour sa famille c’est le début d’une période noire. L’année même de sa mort, Juan Manuel son fils aîné tire un mauvais numéro et part pour trois ans à la guerre hispano américaine de Cuba. Il en reviendra rescapé, miraculé, avec un autre jeune homme de Vera, Paco Romero.
À son retour, il prend la suite de son père comme maître fondeur à La Union. Son frère Francisco y travaillera avec lui.
En 1908 il épouse l’une des sœurs Haro Garcia, Damiana.
La région connait alors un déclin économique majeur. Ses habitants la quittent en masse. Juan Manuel fait le choix de la « emigracion golondrina » et part en Algérie avec son frère Francisco en 1909.

En 1902, Béatriz, la sœur aînée de Damiana, unit son destin à celui de Bartolomé Núñez Segura un ouvrier maçon. Les Núñez Segura habitaient aussi calle Hileros. Jusqu'à l’année 1910, le couple parvient à bien vivre, bénéficiant de la vague de prospérité des industriels de la mine. Ils ont trois enfants, Sébastian, José-Antonio et Lucia. Puis, se retrouvant sans travail, Bartolomé choisit de partir seul pour l’Argentine en 1911. Un choix qui implique une séparation longue et hypothèque l’avenir du couple.
Juan Manuel et Damiana sont les parents de ma mère Denise, Bartolomé et Béatriz ceux de mon père José Antonio. Mes deux grands-mères étaient soeurs !

Leurs maris à l'étranger, les deux femmes ont vécu seules avec leurs enfants. Lingère, nourrice, femme de ménage, elles travaillent essentiellement pour la famille Caparros, des commerçants catalans établis à Vera et possédant un « cortijo » dans la montagne.

Béatriz meurt à Vera en janvier 1914, à l’âge de trente-huit ans. Bartolomé revient alors d’Argentine. Le 8 mai de la même année, il épouse sa belle-sœur Rosa, la troisième fille Haro Garcia, de seize ans sa cadette, et repart au début de l’année suivante en lui laissant la charge des trois enfants de son premier mariage. L’infortunée Rosa attendra huit ans le retour de ce mari fugueur. Elle travaille chez le juge de paix de Vera pour subvenir aux besoins de ses trois neveux dont elle aussi est la belle-mère.

En 1911, Damiana, elle, avait décidé de partir en Algérie rejoindre son mari Juan Manuel, accidenté. Les deux sœurs ne se retrouveront en Algérie pour s’y installer définitivement qu’en 1923.

Enfant, j’ignorais cette histoire. Elle me fut révélée au fil des voyages en Espagne et du temps. Elle m’apparut comme un secret dont on ne parlait jamais ou plutôt comme d’une histoire banale qui ne méritait pas que l’on s’y attarde.

En 1964, quarante-deux ans après son départ du village de Vera où il naquit, mon père José Antonio y retournait pour renouer avec ses cousins espagnols. Dès lors, son unique obsession fut ce mois de congés payés qu’il y passait chaque année et qui constituait sa raison de vivre mais aussi, peut-être, un moyen de supporter sa modeste condition de maçon. L’amour qu’il portait à ce pays m’effrayait. Il parlait quelquefois d’y acheter une maison, de s’y installer, et les cousins évoquaient notre retour au pays en riant.

Un mois par an, l’Espagne me rendait mon véritable père mais je ne le comprenais pas. Je vivais ces vacances espagnoles comme une contrainte, et je regrette aujourd’hui d’avoir manqué plusieurs rendez-vous avec son histoire.

Lors de l’été de 1967, ma mère nous apprit que la maison de son père, Juan Manuel, celle de la calle Hileros, ainsi que les terrains des Cabezos Pelados, où se trouvait la mine, étaient toujours la propriété des héritiers. Une voisine de Vera, la Juana, voulait racheter la maison, inoccupée depuis 1911, et tombée en ruines. Préférant rester à la plage avec mes cousins, je n’assistais pas à la transaction entre elle et ma mère qui en était l’héritière, ni à la visite du terrain de la mine. La cession fut faite à titre gratuit, les deux propriétés étant grevées d’impôts. L’image de mes grands-parents quittant leur pays en fermant simplement la porte de leur maison est inspiré de cet événement.
Cette même année, ma mère retrouva l’une de ses tantes à Albacete, Maria, la sœur de mon grand-père Juan Manuel. Cette vieille dame de près de quatre-vingt ans lui rapporta de nombreux événements : le retour de son frère Juan Manuel de la guerre de Cuba, seul survivant avec un autre appelé du village, les facéties de Melchior son beau-frère dont elle refusait de croire qu’il était maintenant âgé de soixante-huit ans, le considérant toujours comme le petit garçon qui venait l’embêter.
La thèse d’Andres Sanchez Picon, « la mineria del levante almeriense », les œuvres du poète de Cuevas de Almanzora, José Maria Martinez Alvarez de Sotomayor, dont le père possédait la mine « Virgen del Carmen », notamment la pièce de théâtre « Pan de sierra », décrivent le contexte de cette histoire familiale.
Il y a quelques années, la fille d’Antonia, la plus jeune sœur de notre grand-père Juan Manuel, nous fit parvenir la copie d’actes notariés relatifs à la cession des biens de Juan Manuel De Haro Albarracin à ses enfants en 1886, et à l’achat de la maison Caparros de la calle Hileros par mon arrière-grand-père, Pedro de Haro Simon en 1890.
Elle me transmit également un récit tiré des souvenirs de sa mère Antonia sur le décès de Pedro De Haro Simon mon arrière-grand-père, en mars 1895.
En rapprochant ces différentes sources, j’ai bâti une chronologie des dates familiales qui s’insérait parfaitement dans celle des événements économiques et sociaux aux mêmes périodes dans la province d’Almeria. Des liens sont apparus, qu’il fallait à peine forcer pour les rendre cohérents.
Plusieurs entretiens avec ma mère ont permis de combler les vides dans cette chronologie et d’apporter des faitsque je ne connaissais pas, comme les récits de la guerre de Cuba par son père, le commerce de charbon de ma grand-mère Damiana à Oran, l’accident de Juan Manuel à la ferme Vivès, les retrouvailles des deux sœurs survivantes en 1923 à Oran, la maison Font, la Tia Lista, le TOH, le brigadier Juste et le tio Andres.

J’avais également conservé le souvenir d’une conversation avec ma tante Lucia, la sœur de mon père, après le décès de ce dernier en 1994. Elle m’avait alors raconté les relations tendues entre eux et la Tante Rosa, la deuxième femme de leur père Bartolomé Núñez Segura, avec laquelle ils ont vécus plusieurs années alors que celui-ci travaillait en Argentine.
Les certificats de travail de ce grand-père «argentin» m’ont permis, grâce aux archives de l'entreprise allemande Wayss y Freitag, de retrouver les lieux dans lesquels il avait travaillé, notamment «el centro de gravitacion del gran devoto» à Buenos Aires.
Las golondrinas s’est construit sur tous ces souvenirs, ces regrets, ces retrouvailles.
Avec l’aide d’Anne Ducrocq, que je remercie sincèrement pour son écoute patiente et ses conseils, je suis parvenu au résultat que vous allez lire maintenant.
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