AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Partemps


Denis Roche
3/
De 1917 à 1919 il est le représentant à Londres de la Little Review de Chicago. En 1920, il est le correspondant du Dial à Paris.
Enfin, en 1924, il s’installe en Italie d’où il ne cessera de faire rayonner son activité littéraire, d’organisateur et de créateur.
La coupure, ou plutôt le tournant, car à aucun moment Pound ne cherchera à se libérer totalement de la pensée occidentale, se situe en 1907, à Londres, où Pound
reçoit de la veuve d’un expert d’art japonais Ernest Fenollosa, les notes de ce dernier concernant la transcription de poèmes chinois en japonais et enfin en prose anglaise. J’ai emprunté à G. S. Fraser l’explication suivante : dans leur structure aussi bien que dans leur vocabulaire, le chinois et le japonais n’ont pratiquement aucun lien. Cependant le japonais s’écrit à l’aide de caractères chinois ou « idéogrammes », avec l’aide d’un syllabaire. Un idéogramme aurait une expression sémantique plutôt que phonétique, ce qui permet aux Chinois de communiquer par l’écriture alors qu’ils parlent des dialectes souvent très éloignés les uns des autres ; comme si les Occidentaux avaient un idéogramme qui puisse se prononcer aussi bien « chien » que « dog ». Ainsi le nom « Li-po » devient en japonais « Rihaku ». Grâce aux idéogrammes, il est possible à un Japonais lettré de transposer un poème classique chinois en japo­nais, alors qu’il serait incapable de parler chinois (ce que G. S. Fraser appelle sight­ translation). C’est ce que fit Ernest Fenollosa à partir d’un grand nombre de poèmes chinois classiques. Pound édita les travaux de Fenollosa et écrivit une introduction à son essai sur Le caractère écrit chinois. En même temps, Pound se liait d’amitié avec le philosophe-poète T. E. Hulme (il fut tué pendant la première guerre mondiale) et avec le poète F. S. Flint tous deux grands amateurs de « haïku » et de « tanka ». Écoutons Fraser : « Les haïku et les tanka sont extrêmement concis, allusifs, et ellip­tiques ; ils présentent sans commenter ; ils impliquent une certaine disposition d’esprit, un certain état de sensation ; ils sont images et non concepts... » Malgré Robert Frost, dont l’influence alors était déjà grande, et qui voulait assujettir la nouvelle poésie américaine à la rigoureuse métrique anglo-saxonne , Pound va opérer une véritable révolution poétique. Non seulement il fit sien cet axiome de Cummings « un poème est ce qui ne peut pas être traduit », mais il en tirera parti d’une manière particuliè­rement ambiguë : tout au long de l’élaboration de ses cantos, il est manifeste que Pound écrit des poèmes dans le même état d’esprit que celui dans lequel le peintre Tobey exécutera ses tempéras quelques années plus tard. Le poème n’est plus « cette porte qui s’ouvre à un doigt mystérieux », ou encore cette « masse puissante de sono­rités » chères à Maurras. De même que, selon Manessier, « la non-figuration semblait la chance actuelle où le peintre pouvait le mieux remonter vers sa réalisation intérieure », le poème pour Pound devient l’occasion d’un renouveau constant de la yision poétique, non pas par les thèmes, encore que ceux des cantos soient de continuels dépassements, mais par le fait qu’échappant aux impératifs de la prosodie et de la métrique, le poème garde cette « instantanéité » dans le déroulement qui fait que les lecteurs de Pound, comme les amateurs de Tobey ou des premières aquarelles abstraites de Kandinsky, ne sont plus analystes mais observateurs. L’Art Museum de Seattle conserve de Tobey un tableau peint en 1942, intitulé « Formes poursuivant l’homme », dont le titre seul, et la facture remarquable, sont déjà une incitation à cette échappée. Je crois, malgré sa vie même qui fut toute d’action et de recherche de la gloire, de la gloriole devrais-je dire, que Pound s’est apparenté par certains côtés, orientalisme surtout, mais aussi constante recherche du dépassement lyrique, à ces romanciers, peintres, ou poètes américains que caractérise un incessant va-et-vient mystique. Pound a semé ses Cantos d’aphorismes confucéens qui prônent un certain mode de vie et de pensée, une attitude de recueillement propre au renouveau passif. Il parle sans cesse, lorsqu’on l’interroge, de « tensions » et d’ « interactions ». C’est exactement, et c’est extrêmement frappant, l’ « espace vibrant » de Tobey. On sait que, pour échapper au « cauchemar climatisé » d’une Amérique vouée à l’industrialisation et à l’avance à marches forcées vers un Taylorisme du travail et du loisir, Tobey cherchera le réconfort spirituel dans la foi persane Baha’i, interprétée par divers groupes à travers les États-Unis. Pound, comme Tobey, est le sage pour qui tout est .« accident » : « L’important c’est de rester neuf devant l’expérience, prêt à en saisir le nouvel apport. La conception qu’a l’Orient de la valeur de l’accidentel peut être un de ces apports. L’accident peut nous ramener à une prise de conscience de l’essentiel si nous savons l’accepter. Si nous savons l’employer, il peut permettre la création artistique »
Commenter  J’apprécie          00









{* *}