À quatre-vingt-six ans, je suis ce qu’il est convenu d’appeler «une vieille dame». J’ai une belle vieillesse, de bons enfants, une bonne santé malgré quelques petits bobos. Je m’accommode aussi bien que possible des plus gros. À mon âge vénérable, je reçois une paye chaque semaine et j’ai une bonne job avec, en prime, un bon boss! Je me trouve privilégiée d’être la directrice artistique du plus vieux théâtre de langue française au Canada… Je profite d’une confortable vieillesse, ayant eu le bonheur de vivre une belle jeunesse auprès de mes chers parents adoptifs, hélas aujourd’hui disparus: Yvonne, ma mère, que ses sœurs appelaient Vovonne, et Paul-Armand, mon père, qui lui la surnommait Vonneau.
Entre cette jeunesse dorée et ma belle vieillesse, j’ai eu des bouttes rough comme tout le monde, mais n’anticipons pas.
J’ai donc cédé à papa, croyant à un caprice de maman et convaincue que ce bel endroit au bord de l’eau lui ferait oublier l’idée d’aller vivre ailleurs. Mais plus le temps passait, plus je voyais que ma mère, ce boute-en-train qui semait la joie de vivre partout où elle passait, ne sortait presque plus de son appartement et demeurait prostrée devant sa télévision. Y aurait-il eu encore une place vacante, là où elle aurait voulu aller? Je dois avouer que je n’ai pas eu le courage de déplacer mon père du Manoir, où il se plaisait tant.
Pas moyen de les convaincre! Une amère déception, que je vis d’autant plus mal que je n’ai senti aucun soutien. Quelque chose se rompt… Le cœur n’y est plus. Je punche en arrivant sur l’émission, fais ma job et repunche en partant. J’assiste encore aux meetings, je suis payée pour ce travail, mais, lors d’une de ces séances de brainstorming, au bout de deux heures, je jette l’éponge, je suis vidée.
Quelle petite fille n’a pas rêvé de défiler sur un char allégorique, déguisée en princesse. Je lui en avais fait la promesse. Le jour venu, la perspective du défilé ne m’amuse pas tellement, je suis fatiguée à cause du travail. Je préférerais me reposer tranquillement à la maison plutôt que de revêtir ma robe d’apparat pour aller faire des bye-bye, juchée sur un faux trône en carton-pâte.
«Ça n’est pas vraiment bon, mais ce serait moins grave si encore c’était mangeable.»