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3.98/5 (sur 28 notes)

Nationalité : Canada
Biographie :

Après des études à l’École nationale de théâtre du Canada, Anne-Marie Desbiens se consacre
au théâtre pendant 20 ans. Parallèlement, elle écrit plusieurs textes et nouvelles pour la radio
de Radio-Canada, dont l’une a été publiée et sélectionnée pour le Prix du récit – Prix littéraires de
Radio-Canada. Depuis 2003, elle est conceptrice-rédactrice. Elle participe également à un blogue
littéraire et anime des ateliers d’écriture créative. La jeune fille du rang est son premier roman.
Native de Cowansville, elle habite le quartier Villeray, à Montréal.

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Bibliographie de Anne-Marie Desbiens   (6)Voir plus

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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
D’un pas mesuré, Françoise monte l’escalier menant à sa chambre. La décision de ses parents vient de tomber. Dans son dos, elle sent leur désolation peser sur elle: Armand, les épaules voûtées, Victoria, les mains nouées. Passé le choc initial, l’étonnement, la stupeur, elle voudrait se retourner et leur dire qu’elle comprend, mais une bille coincée dans sa gorge l’en empêche. Dans sa chambre, elle défait sa valise. Posément, pour maîtriser le tremblement de ses mains, elle fait un tas des vêtements à laver, une pile de ceux qui sont propres. Cela lui demande peu d’effort, pourtant elle est en sueur. Elle ouvre la fenêtre; la brise fait voleter les pages de son journal intime qui s’ouvre sur la dernière entrée: Congrès JEC, Montréal. Le noyau dur dans sa gorge enfle.

Une heure plus tôt, Françoise est rentrée de sa fin de semaine, excitée et heureuse. Après avoir fait ses au revoir à Marthe, non sans regret, et sur la promesse de donner rapidement des nouvelles, elle a repris le chemin du retour en compagnie de Claire, dans la voiture du médecin. Pendant tout le trajet, les deux amies ont échangé leurs impressions, rappelant certaines allocutions, certains moments forts qui les ont enthousiasmées, incapables, leur a-t-il semblé, de redescendre sur le plancher des vaches. À peine le pied posé dans la maison, Françoise s’est précipitée à la cuisine. Sans prendre le temps d’enlever son manteau, elle s’est lancée dans un monologue étourdissant devant ses parents, bouche bée. «Je veux m’instruire, y a encore tellement de choses que je sais pas!» Si ceux-ci y consentaient, elle voudrait faire son cours classique plutôt que terminer ses études à l’École normale. La sœur directrice le lui a d’ailleurs proposé un mois plus tôt, ne s’en souviennent-ils pas? Ils n’en ont jamais reparlé, pourraient-ils remettre le sujet sur le tapis? Ses parents, peu habitués à voir leur fille s’échauffer de la sorte, n’ont rien répondu. Françoise a donc poursuivi son plaidoyer.

Cette fin de semaine passée en réflexions l’a éclairée. Et elle y a fait la connaissance d’une jeune fille très intéressante, Marthe, qui veut étudier le droit, les lois, pourquoi pas? Faire régner la justice, ça a un sens, non? Son père aime à répéter que les lois sont faites pour arranger ceux qui n’en ont pas besoin, peut-être pourrait-elle faire bouger les choses? C’est devenu clair comme de l’eau de roche: elle veut faire son cours classique et fréquenter l’université, Claire le ferait bien, elle! Puis, elle a clos son argumentation – il faut bien qu’elle s’habitue si elle veut devenir avocate – en soulignant que c’est elle, la studieuse de la famille, et non Germain, son frère, alléché par l’odeur de l’argent comme un requin par l’odeur du sang, et qu’un métier de vendeur en ville attire bien plus qu’une profession libérale, «c’est lui-même qui le dit»!

Françoise leur a débité tout ça d’un souffle, certaine du bien-fondé de ses aspirations qui ont gonflé en quarante-huit heures comme le bon pain à la chaleur. La surprise passée, ses parents ont d’abord paru bien disposés. Bien sûr, ils comprennent. Non, ils ne sont pas surpris, ils savent son potentiel. Sa mère, surtout, vante partout les succès scolaires de sa fille telle une parure scintillante dont l’éclat rejaillirait sur elle. «A retient toute, une vraie invention!» C’est pourtant Victoria qui a fini par l’interrompre d’une voix nette, faisant exploser son avenir à peine ébauché: «Françoise, t’es fille de cultivateur, je sais pas c’que t’es allée t’imaginer. On t’a laissée aller à l’École normale pour que tu te contentes, c’est pas rien! Mais… l’université? Avocate! On n’a pas les moyens, ma pauvre p’tite fille. Avec ton frère au cours commercial… Sans compter qu’à 17 ans, le mariage est pas loin. Non. Ce serait de l’argent gaspillé.»
De l’argent gaspillé… Françoise est incapable de rattacher ces paroles à toutes celles qu’elle a entendues ces deux derniers jours. Elle n’arrive tout simplement pas à rapprocher les deux univers. Deux coups frappés à la porte de sa chambre la font sursauter, la ramenant à la réalité. Son frère a dû entendre des bribes de discussion et vient aux nouvelles. Elle tente de raffermir sa voix, de se composer un visage. Si elle se laisse aller maintenant, elle va s’effondrer.

— Entre.

La porte s’ouvre sur le grand jeune homme maigre.

— Pis?

Françoise hausse les épaules, fait signe que non, la bouche tordue comme si elle venait de mordre dans un quartier de citron. Germain tend vers elle une main compatissante, mais la jeune fille se détourne. Il ne peut pas la consoler. Après tout, c’est lui, le fils aîné, qui poursuivra ses études. Pas elle, la fille de la maison tout juste bonne à marier.
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La vodka chauffe ses tempes, dégourdit ses membres, lui laissant une délicieuse sensation d’apesanteur, lui offre la possibilité de s’évader d’elle-même… Son esprit tourne au ralenti, grisé par les vapeurs d’alcool. Elle le connaît, Alain, il fera tout ce qu’elle veut. Il ne lui fera jamais de mal. Et leurs corps se connaissent par cœur. « Aussi ben lui qu’un autre. » Elle saisit la main du jeune homme et l’entraîne à l’étage supérieur.
Une fois dans une des chambres, Christine se jette dans l’action avec la froide obstination de celle qui a décidé de perdre sa virginité. Les yeux fermés. Consciencieusement. Ébloui, son partenaire frétille littéralement et, sans patience, sans contrôle, pétrit la chair élastique, la saisit, s’en empare. Lorsqu’il veut l’embrasser, haletant, elle se dérobe, bouge ses hanches étroites pour détourner son attention. Lorsqu’il lui parle, elle le fait taire en gémissant, les yeux obstinément fermés, insoumise au désir du jeune homme.
L’esprit détaché de Christine flotte au-dessus de son corps. Il observe, analyse, s’ancre dans le bruit des discussions étouffées qui monte de la
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Dans ce moment fragile, accrochée entre toute ce qui a été et tout ce qui sera, Françoise retrouve néanmoins un peu de son équilibre, voyant l'avenir se teinter de nuances plus claires, ce qu'elle n'espérait plus. La foi couve de nouveau, comme si là où elle ne voyait plus que cendres, il y avait toujours eu des flammes.
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Le souvenir a beau être vieux de quinze ans, il est aussi vif que le rêve qu’elle vient de faire. Le bout de papier semble vibrer sous ses doigts, mû par une étrange énergie. Hypnotisée, Françoise fixe les lettres écrites en pattes de mouche qui dansent devant ses yeux. Derrière la porte, des petits pas précipités, des voix fluettes, des rires contenus. Tirée de sa torpeur, elle remet en hâte les morceaux dans l’enveloppe, la replace tout au fond du tiroir et retourne se glisser entre les draps, le souffle court.
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De l’aube au couchant, le père et la fille travaillent aux champs. Dérocher, creuser, retourner la terre. Les deux hommes de main accueillent la fille de leur employeur sans émoi apparent. Les premiers jours, Françoise s’écroule sur son lit comme une bête abrutie de fatigue. Tout son corps lui fait mal. Puis elle apprend à manier les outils, à ménager ses forces et à n’entreprendre que les travaux qu’elle se sent l’énergie de terminer le jour même. Elle se concentre sur ses tâches plutôt que de s’y jeter avec la fureur des premiers jours, répète les mêmes gestes et adopte le silence comme compagnon. À midi, elle s’arrête pour manger en compagnie des autres, s’assied près de son père sur les marches du tracteur et boit l’eau à même sa gourde. Puis, elle replonge ses mains dans la terre noire. «Quand on travaille, on pense pas.»
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À la veille de reprendre ses cours, la question se pose: y retournera-t-elle à l’École normale, sachant que c’est en vain? L’odeur des livres, le grattement de sa plume sur le papier, le frottement de ses semelles sur les planchers astiqués, l’heure d’étude dans le silence de la bibliothèque ou dans le salon paisible de sa grand-tante… Ce qu’elle chérissait tant hier lui apparaît bien terne aujourd’hui, affadi par le mirage du cours classique, qu’on a placé à sa portée avant de le lui retirer. Gardant la main de sa grand-mère dans la sienne, Françoise ferme les yeux. Sous ses paupières closes, des pleurs silencieux se forment et débordent, pendant que la Terre continue sa course folle autour du soleil et que des étoiles mortes s’effondrent sur elle-même au fond de l’espace infini.
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Les pelletées de terre tombent sur le couvercle du cercueil dans un petit bruit mat. Ploc. Ploc. Ploc. Et sec. Comme les yeux de Christine, malgré la main qui lui broie le cœur depuis l’annonce de son père. « Y avait plus rien à faire pour Gervaise… » Christine stoppe les souvenirs ; si elle y songe trop, la peine creusera un tunnel tout le long de son corps, laissant pénétrer un vent glacial qui la traversera toute, et alors, elle ne sera plus qu’une longue plainte sifflante. Serrer les poings, fermer les écoutilles. Christine peut presque voir les parois de silex étanches qui tombent autour d’elle, elle peut presque entendre les verrous qui se ferment dans un claquement définitif. Schlak ! Enfermée à triple tour dans sa tour d’ivoire. À l’abri.
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Hasard ou destin, cette rencontre fortuite avait ravivé la flamme chez le jeune homme, qui avait entrepris pour une troisième fois une cour ardente auprès de la jeune fille. Françoise s’était montrée réfractaire à tout rapprochement, mais pouvait-elle empêcher Jean-Louis de la retrouver tous les vendredis soirs au pied de l’immense escalier du pavillon de droit ? Opiniâtre, entêté, déterminé, amoureux fou, il l’avait attendue, avait accepté les longues heures qu’elle consacrait à l’étude du Code pénal, du droit civil, des articles de lois, l’avait soutenue, avait craint les échecs avec elle, célébré ses succès.
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Y a un volcan dans mon ventre, on dirait que toute chavire, ça crie dans ma tête, un archet fou sur le corps d’un violon innocent. Elle a du front tout le tour de la tête de débarquer de même ! Si j’avais su, je serais partie ben avant. Pis lui, le traître !
Légèrement haletante, Christine ouvre les yeux, surveille les rues défiler. Plus que quelques arrêts. Il lui tarde d’enfiler ses chaussons, danser la soustrait au monde, crève l’abcès, la libère momentanément du corset qui l’entrave. Le studio de danse devient un espace bienfaisant où elle cesse enfin de s’appartenir.
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Il a retrouvé une ancienne flamme lors d’une de ses fréquentes visites dans le Bas-du-Fleuve d’où il est natif, une femme qui a attendri le cuir aride de son cœur. Bien qu’il ne compte plus ses liaisons, c’est la première femme avec qui il a envie de refaire sa vie. Patricia – Patsy –, aussi douce et blonde que Thérèse est rousse et ardente, au cœur intelligent et à l’esprit bien tourné, qu’il fréquentait lorsque l’ouragan Thérèse avait fait irruption dans sa vie il y a vingt-cinq ans, balayant tout sur son passage.
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