"Entourant la pièce avec bienveillance, les étagères en bois présentaient leurs livres comme meurs biens les plus précieux. Cette bibliothèque abandonnée dégageait une telle sérénité qu'Adèle avait intuitivement éteint sa musique pour mieux la contempler. Ses doigts étaient frigorifiés, manier son appareil photo lui était difficile. Elle mitraillait malgré tout l'endroit dans tous les sens : les perchoirs de luxe qui servaient autrefois de lustres, la fourmilière au pied du chauffage en fonte qui éventrait la marqueterie de chêne et le lierre qui grimpait sur les encyclopédies, rappelant clairement que la nature avait toujours le dessus sur l'humanité malgré sa science et sa culture."
"La vie c'est le souffle d'un bison en hiver..."
Surtout ne jamais contredire un fou, c’était le conseil que lui avait donné sa mère lorsqu’elle avait quitté Honfleur pour New-York. “ Si tu tombes sur un déséquilibré, souris, sois aimable et trouve un prétexte pour t’éloigner. N’essaie pas de l’attaquer et surtout ne mentionne pas sa folie. “
Il faisait également partie de la catégorie des managers médiocres qui tirent une certaine légitimité dans leur rôle de l’ajout des prénoms de leurs interlocuteurs en fin de phrase. Comme si connaître l’intégralité de ses subalternes était en soi une preuve de leadership incontestable.
"C'est tellement plus facile d'être optimiste pour les autres..."
Il semblait faire partie de cette catégorie d’humains moins perméables au souci en général et dont la simple présence apaise.
"_A nos retrouvailles imminentes avec Adèle, trinqua solennellement monsieur Duhamel.
_Et à sa remise sur pied, sourit madame Duhamel.
Monsieur Duhamel défia sa femme du regard et déclara :
_Il s'agit d'être sur le pied de guerre pour lui remettre les pieds sur terre !
_Il ne faudra pas trop lui casser les pieds quand même...
Monsieur Duhamel reprit une gorgée, hésita quelques secondes avant de répliquer avec une énergie excessive :
_Je mettrai les pieds dans le plat pour lui en parler !
En haussant le ton, elle enchaîna :
_J'espère au moins qu'elle n'est pas tombée aux pieds de ce garçon dont on ne connaît même pas le nom !
A bout d'idées pour répondre, monsieur Duhamel colla son pied contre celui de son épouse et déclara, avec l'assurance d'avoir le dernier mot :
_Mais enfin, tu me fais du PIED ?"
"Elle perçut la spirale de raison se refermer doucement sur elle : reprendre son rythme pendulaire, mais un poste prometteur qui pouvait évoluer vers un autre poste prometteur...Et puis, c'était quand même confortable la stabilité [...]."
"_Vous savez, la tradition, ça peut avoir du bon en gastronomie, faire n'importe quoi ne fait pas nécessairement de vous un novateur.
_On n'est plus au dix-neuvième siècle, merci ! Et quand on a une vitrine avec des sculptures en plastoque à dix mille balles, on ne se permet pas de commenter les innovations culinaires, au moins elles nourrissent mes créations à moi !"
"Maggie venait de suspendre la dernière des œuvres du vernissage et Ernesto passait derrière elle coller des gommettes rouges sur certaines d'entre elles. Adèle s'étonna de le voir en mettre sur une de ses photos :
_C'est une technique, expliqua-t-il, en cultivant son accent italien.L'humain est influençable, tu sais bien ! S'il croit qu'une de tes photos a déjà été vendue, il va plus facilement se demander si lui aussi, il ne devrait pas en acheter une."