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Citation de COLPINDidier


"Préface
Patrick PICORNOT

L’ALEXANDRIN :
BEAUTÉ D’UN VIEILLARD QUI NE PEUT MOURIR

Parlant de lui-même, Didier Colpin le dit et le répète : lorsque certains commencent leur journée par une pratique sportive, il débute quant à lui par un poème. Prolixe, nous pourrions presque aller jusqu’à affirmer qu’il pratique la poésie « comme il respire ». Il ne se prive d’ailleurs pas pour considérer que la poésie est « son oxygène ». Cela va peut-être même jusqu’à cette recherche d’une « montée d’adrénaline » menée par tant de coureurs de fond.

Dans le sillage de Baudelaire, il sait pertinemment que la poésie « a le droit de tout dire ». Elle peut largement se permettre de traiter des réalités les plus banales comme des plus sublimes. Si Didier Colpin se montre soucieux de la forme, visant là une beauté classique, si de plus son vocabulaire fait preuve de retenue le plus souvent, il ne s’interdit nullement parfois des mots du langage populaire – zinzin – voire carrément argotiques – pépettes (pour
oseille, flouze, « argent »). Il ne recule pas non plus, quoiqu’assez rarement aussi, devant certains termes anglo-
saxons assimilés, tels que surf, flash, ou encore smartphone.
En résumé, son lexique n’a rien de restrictif ; son spectre se
montre des plus ouverts.

En notre époque ayant vraisemblablement dépassé toutes les
chamailleries liées à des questions formelles du mitan du XIXe siècle à celui du XXe, en notre époque donc, qui connaît une incroyable floraison de formes poétiques, nous savons qu’il n’y a finalement plus rien de désuet, voire même de ridicule, à revenir à notre bon vieil alexandrin. Le livre critique de Jacques Roubaud, La vieillesse d’Alexandre (1978), marque le « tournant des années 1980 », et finit par dater un peu lorsque la suite ininterrompue des ruptures caractérisant la « modernité » commence à perdre de son sens, à s’essouffler en somme. À l’instar d’un Jacques Réda, usant tant de l’alexandrin que du 14-syllabes 6/8, la poésie de Didier Colpin reste portée par la syllabe et la métrique. Souvent attaché à l’hexasyllabe, ce mètre simple « très français », sa Beauté classique en mire se voit entièrement dédiée à l’alexandrin.

Quand en son prologue le poète signale que son poème « accompagne le lever du soleil », il rejoint, intuitivement sans doute, le décompte temporel hérité de nos lointains ancêtres babyloniens. On sait que dans leur civilisation (dont nous autres avons hérité en plus de celle des Grecs) tout s’organisait autour du nombre 360. Entre autres notions d’espace et de temps, nous avons conservé jusqu’à nos jours les 360° du cercle, ou encore les 12 heures de la journée. Pour Babylone le 12 dénombrait tout autant les signes du Zodiaque que les mois d’une année. Si l’alexandrin fut le mètre souverain de notre Grand Siècle (ce pourquoi il fut peut-être par la suite tant attaqué), c’est qu’il est intimement lié à une maîtrise spatio-temporelle. Le contrôle du temps n’était-il pas déjà pour Louis XIV une affaire politique capitale ?

Oui, les 12 syllabes de notre alexandrin peuvent être perçues tel que le déroulement du jour, avec son zénith, par la césure, entre ses syllabes 6 et 7. Les théoriciens de l’alexandrin montrent souvent celui-ci comme une parabole (la courbe du soleil) avec sa montée, puis sa descente, sa croissance en intensité sonore puis son extinction graduelle jusqu’à la 12ème syllabe. Didier Colpin nous dit : « Ensuite ce même soleil se couchera et demain sera un autre jour ».
Certes, Beauté classique en mire aborde, parfois de façon récurrente, les thèmes éternels de la poésie : l’amour, la mort, l’ironie, le hasard, la vie, la non-permanence… Mais un autre thème domine, tout aussi traditionnel que tous les autres : le temps.
Le poète considère que l’alexandrin lui sert de cadre (un espace et un temps donné), à quoi s’ajoute l’organisation en quatrains, parfois en quintils (de type symétrique apollinarien a-b-a-b-a). Cadre – ou cadran – contrôlant en quelque sorte l’effusion poétique débordante, le jaillissement désordonné des émotions. Il va même jusqu’à parler du cadre du flipper, à l’intérieur duquel la bille folle reste captive. Cette idée revient à celle d’une journée à la durée bien définie, mais à l’intérieur de laquelle tout se « fait de tout et de rien ».

L’inexorable fuite du temps : voilà l’essentiel motif de réflexion – motif déjà cher aux anciens poètes d’Alexandrie, motif allègrement repris (et même copié) par Pierre de Ronsard, grand connaisseur de l’Anthologie grecque. Les alexandrins de Didier Colpin parviennent à renouveler quelque peu la déclinaison du concept : Disparaît le présent – ce passé de demain ; Je ne suis que banal égaré dans le
temps/Perdu dans mon époque attendant l’échéance ; Ému je me perçois comme en suspension ; Dans le sillon du temps l’Homme éternel fredonne. Avec des formulations plutôt heureuses, on le constate, les exemples foisonnent.

En point d’orgue, l’amour, ce sel de la vie, s’associe de plaisante manière à la lumière, aux couleurs, à la musique : La couleur est musique et tu donnes le « La » ; à l’harmonie entre corps et esprit : Quand l’esprit quand la chair sont dans un mariage ; à la transcendance : Ce merveilleux bonheur fut une belle chance / Transcendant le banal par des feux éclatants ; à la métaphore apaisante : Parce que le bonheur est la fleur de tes yeux.

Mais l’écoulement tranquille du temps peut parfois se trouver contrarié par certaines réminiscences, troublants ou douloureux reflux du passé : Le passé resurgit d’emblée à tire-d’aile ; Les blessures d’hier au hasard refleurissent. En son
parcours, l’individu se voit soudain aléatoirement confronté à des situations psychiques imprévisibles, mais aussi, plus généralement à l’impermanence du monde, la précarité du réel. Sans fin, par le fil constant du vers, jour à jour, le poète quête son équilibre entre hasard et possible réalisation d’une harmonie.

La texture est riche, pouvant se prêter à une analyse multiple. L’alexandrin de Didier Colpin se voue à refléter une époque : son époque, celle d’un temps particulièrement troublé où bien des certitudes acquises par les siècles se délitent, où s’observe la désintégration de bien des valeurs fondamentales. Époque de crise sur fond d’incertitudes, de doutes, de perte de tout sens du sacré, d’effondrement ou de radicalisme religieux, époque où la science omnipotente n’a pu, malgré sa puissance innovatrice, ressusciter aucun dieu (sauf aiguillonné celui de l’argent).

Une certaine amertume face au constat d’une folie grandissante de notre infortunée planète : Sur le grand échiquier où tous on se démène / De nombreux pseudo-rois ne sont que simples fous. Sans doute est-ce par la vitale
ironie que le poète finit par découvrir une veine drolatique des plus plaisantes : Un œil de grand seigneur aligner ses pépettes / Compter ses petits sous qui nous rendent zinzins / Fier du miroir sifflant « Comme tu te la pètes ».

Nous le constatons aisément : si l’alexandrin de Didier Colpin respecte plutôt rigoureusement les « canons » malherbiens – césure, diérèse et synérèse, e muet, e sonore, hiatus évité, etcetera, non seulement il est situé dans une époque et un espace donnés, mais il fait preuve d’une belle souplesse (quasiment suppression de toute ponctuation, comme le fit Apollinaire en 1912) et d’une relative liberté syntaxique propre à fixer de neuves postures langagières. Terminons sur deux vers tenant de la verve satirique par un regard aiguisé sur le fait social : Et mon conjoint ceci moi mon voisin cela / Et sais-tu pour untel non mais vite raconte. Oui, des alexandrins parfaits dans leur structures, mais certainement pas des alexandrins raciniens ! Oui, l’alexandrin est vieux, très vieux, mais il n’est pas mort…

Patrick PICORNOT - novembre 2019

Patrick PICORNOT, poète et musicien, est diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, fut professeur de dessin puis sculpteur-décorateur chez Cristal Lalique. À partir de 1992, il deviendra bibliothécaire et se vouera entièrement à la poésie.
Il est lauré d’une centaine de prix, tant régionaux que nationaux.
En 2009, il fonde avec Aumane Placide l’association PAROLE & POÉSIE, puis en 2010 la revue de poésie ROSE DES TEMPS. Il est le Président de son Conseil d’Administration.
Sociétaire de la Société des Poètes Français, de l’Académie de la Poésie Française et du Conservatoire de la Poésie Classique Française, il est à signaler également qu’il est membre actif de plusieurs associations poétiques en France, en Belgique et en Suisse.

Parmi les nombreux prix obtenus, citons :
• Grand Prix des Jeux Floraux Alpins,
• Prix national Charles Cros,
• Prix de la délégation de la Société des Poètes Français,
• Prix des « Arts croisés »,
• Médaille de la ville de Montpellier,
• Prix de poésie Jean Aubert, organisé par Flammes Vives."
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