Citations de Didier Decoin (535)
« Ces deux hommes avec toi, que sont-ils au juste ? / Une attente. » (p. 217)
L'encens avait depuis longtemps acquis ses lettres de noblesse, il était reconnu pour donner de l'énergie aussi bien que pour apaiser, stimuler les facultés mentales, guérir certaines maladies, lutter contre l'angoisse et l'insomnie, sans oublier ses vertus aphrodisiaques. Mais nul n'avait encore hasardé qu'il pût aussi s'exprimer comme un poète.
Dans tout fait divers, il y a des trous ; et ce qui est intéressant, c’est la façon dont le scénariste et le réalisateur comblent ces vides.
Le second coup de canif qui allait être donné n'ébranlerait plus ma seule conviction mais celle de tout l'empire britannique. Mais, il s'en fallait encore de cinq ans et de plusieurs dizaines d'exécutions. Contrairement aux idées reçues, la vie est plus patiente que la mort.
Or, dans ses célébrations aromatiques, le directeur du Bureau des Jardins et des Etangs cherchait la pure odeur du souffle, celle qui accompagne la parole et le soupir, et fait d'une inconnue - car la plupart du temps, il ne savait pas, et ne saurait jamais, le nom de sa donatrice - quelqu'un d'inoubliable.
Je sais des écrivains qui ont ainsi perdu les mots comme les arbres leurs feuilles. Un dernier flamboiement d’automne, comme celui des érables, a pu faire illusion. Et puis l‘arbre et l’auteur sont entrés en hiver. Nus, grêles, ils n’arrêtent plus la vue. Ne les regardent encore que les diverses confréries d’amis des arbres, comme il n’y a plus guère que les associations d’amis d’ écrivains pour continuer à lire certains romanciers oubliés.
Le miracle est logique, et même banal, en ce qu'il dévoile la suprématie de l'inventeur sur son invention, du moteur sur la machine, de la cause sur ses effets.
- De quel négociant tiens-tu ton saké ?
- D'une brasserie fort discrète, seigneur, et qui entend le rester, dit la Mère aux lèvres vertes. Mais sachez que le breuvage exquis que je vous sers ce soir est du bijinshu, du saké de beautés.
- Du bijinshu, vraiment ? Je croyais que l'antique méthode consistant à mâcher et à recracher le riz avait été abandonnée depuis longtemps ?
- Vous dites vrai, seigneur. Mais je connais une maison où le miracle du grain de riz qui devient alcool est encore obtenu par la mastication assidue et la salive de jeunes vierges qui n'ont pas plus de dix- sept ans.
Comme le client se penchait en arrière pour boire jusqu'à la dernière goutte de son saké, offrant ainsi son visage à la lumière de la lune, Miyuki put détailler ses traits.
La lune était pleine, dispensant une lumière fraîche qui marquait les ombres comme de grands aplats d'encre noire et brillante - on aurait dit que le pinceau venait tout juste de la poser.
Les Dieux avaient créé le néant pour persuader les hommes de le combler.
Ce n'était pas la présence qui régulait le monde, qui le comblait : c'étaient le vide, l'absence, le désempli, la disparition.
Tout était rien.
Le malentendu venait de ce que, depuis le début, on croyait que, vivre, c'était avoir prise sur quelque chose, or il n'en était rien, l'univers était aussi désincarné, subtil et impalpable, que le sillage d'une demoiselle d'entre deux brumes dans le rêve d'un empereur.
Bien des gens croient les chats distants, indifférents - quelle erreur ! Les chats sont au contraire d'une extrême sensibilité à la détresse humaine, mais leur réserve naturelle, leur pudeur atavique les retiennent de s'épancher trop ostensiblement.
Simon , dit Kate , la pureté n' existe pas . Ce pays n' est pas pur , les gens n' ont plus .
« L'odeur séduisante ou fétide qu'il émet ne reflète jamais la réalité d'un être, [...] elle témoigne seulement de la façon dont cet être se manifeste à nous. »
Après une longue claustration accompagnée de la stricte observance des restrictions alimentaires liées au deuil, et après avoir lustré le corps de Katsuro à l'aide d'une étoffe sacrée dstinée à en absorber les impuretés, Amasuka Miyuki s'était soumise au rituel destiné à la purifier de la souillure entraînée par la mort de son mari.
Rivées aux carreaux, des ventouses électromagnétiques maintiennent John l’Enfer comme une mouche contre les façades des buildings. Et pour ça, il touche un peu plus de six cents dollars par mois. Il sait par expérience que chaque gratte-ciel est une petite montagne, avec ses vents propres, son microclimat, ses pièges.
- Je sais Atsuhito, je sais, ce n'est pas parce que j'ai vieilli que j'ai l'esprit épais d'une bécasse. Mais s'il ne brûle pas, l'or fond à forte température, il coule, il ruisselle, il dessine des dentelles, des estuairres, des forêts, alors qui nous dit qu'il n'émet pas aussi un parfum ? Quelle connaissance profonde avons-nous des odeurs ? Nous disons que ça sent bon ou que ça empeste, et nous n'allons pas plus loin.
Au fond, nous n'en savons guère plus sur la suavité et sur la puanteur que sur le Bien et le Mal.
Cette langue eut d'abord un goût de pomme assez prononcé, mais qui se dissipa bientôt pour laisser place à une saveur simplement salée, comme quand on boit de l'eau de mer dans le creux de ses mains, en beaucoup plus chaud quand même, et puis le baiser n'eut plus de goût du tout.
[...] il y a d'innombrables avantages à être un chat. L'un d'eux étant la capacité que ces félins, au contraire des humains, ont à dormir le jour et à être la nuit dans une forme éblouissante.
L'aubergiste dans la cour examine les gendarmes, les chevaux, et Babe enfin - mais d'un regard agacé, comme si elle ne méritait pas d'être ainsi soupesée par un honnête homme.
- Et elle? demande-t-il. Que voulez-vous pour cette fille?
Jean et Guillaume ne répondent pas. Gendarmes ou non, ils ont vaguement peur de déplaire à ce gaillard qui, si ça lui chante, peut parfaitement les envoyer au diable sous prétexte que ses chambres sont toutes occupées. Il faudrait alors traîner Babe à travers les ruelles à la recherche d'une grange, d'une bergerie, risquer qu'elle tombe encore et passe cette fois pour de bon sous les sabots.
L'aubergiste balance sa lanterne, les ombres des chevaux grandissent démesurément sur le mur de l'autre côté de la poterne :
- Il y a des chaînes et des anneaux dans l'écurie. Les chaînes sont préférables à tout, messieurs : une nuit bien tranquille, quel est le prisonnier qui ne viendra pas à bout d'une corde en la rongeant? Les femmes encore jeunes ont des dents qui valent bien les nôtres.
- Elle couchera dans notre chambre, décide Guillaume.
- Elle mangera avec nous autres, dit Jean.
Les dieux avaient créé le néant pour persuader les hommes de le combler.
Ce n'était pas la présence qui régulait le monde : c'étaient le vide, l'absence, le désempli, la disparition.